La mutation du capitalisme

Dans son ouvrage « Propriété et Mondialisation » Serge Mahé, instituteur, laïque et anarcho-syndicaliste, nous conduit à travers son analyse de l’évolution de la propriété à celle du capitalisme. Depuis les « trente glorieuses » ce dernier s’est profondément transformé. Cette fin de siècle est marquée par d’importants changements, la mondialisation de l’économie de marché, la hausse des bourses, l’explosion de la sphère financière, l’effondrement du vrai socialisme pour un libéralisme social… Tout un tas de faits qui ont transformé les données politiques.

Quelles sont les causes de cette évolution ? En quoi a-t-elle modifié le rôle et les fonctions de l’Etat ? Quelles positions les politiciens vont-ils prendre ? Quelle attitude les travailleurs et le mouvement syndical doivent-ils ou peuvent-ils prendre face à cette nouvelle donne ? C’est à cet ensemble de questions que répond Serge Mahé.

Tout d’abord à travers son analyse historique des différentes formes prises par la propriété, il relance le débat en confrontant les points de vue marxiste et anarchiste. Il montre dans ce qui est la partie la plus neuve de son ouvrage les divergences fondamentales existant entre Karl Marx d’une part et Proudhon, Bakounine d’autre part. Il le fait, en replaçant la propriété dans son contexte historique. Ce processus déjà ancien a produit des crises et pourrait en causer une autre, fort dommageable à l’humanité. Ensuite dans la démarche keynesienne, le personnalisme communautaire de Mounier et le principe de subsidiarité, il dénonce le « moins d’État-mieux d’État » comme le disait Rocard avant Blair. Originaire de la pensée chrétienne de saint Thomas d’Aquin, hérité du droit canon et développé dans l’encyclique de Pie XI Quadragesimo Anno de 1931, le principe de subsidiarité est à présent l’œuvre de la France (par la décentralisation) et de l’Europe. Les conséquences de son application se font sentir dans tous les domaines de nos sociétés, les services publics, le social et le culturel. Serge Mahé évoque aussi les réactions politiques et passe en revue des concepts comme l’État-nation, la pensée unique, le communautarisme, l’ultralibéralisme, le nationalisme et le nationisme. Il évoque Bourdieu et « sa version moderniste de l’exploitation de l’homme par l’homme » et précise que « le regroupement défensif des exploités est à coup sûr naturel et salutaire. Il ne peut être efficace, voir devenir offensif, qu’à la condition de rester indépendant des forces capitalistes et des Etats qui les protègent ».

Ensuite, il consacre un chapitre au syndicalisme, il décrit la position de la CGT, « sous la surveillance de sa marraine, madame Notat, depuis son intronisation dans la confédération européenne des syndicats (CES) et sa volonté de s’inscrire d’une manière nouvelle et critique sur la RTT de Mme Aubry ». Puis, celle de la CFDT qu’il condamne pour son abandon du programme d’autogestion et de l’égalité pour « le manteau de saint Martin » et l’équité. Il fait un rapprochement entre les lois Robien et Aubry qui pour « les bons esprits […] sont également l’occasion de mettre en œuvre […] des pratiques participatives ». Il s’attache un peu trop à l’attitude de la CGT-FO en oubliant que ce syndicat tombe parfois dans certaines entreprises ou fonctions publiques dans le travers du syndicalisme maison avec ses attitudes de « jaunes ». Il conclut dans son chapitre « perspective collectiviste fédéraliste » en proposant quelques pistes de réorganisation sociale pour remplacer la barbarie capitaliste tout en évitant l’oppression totalitaire. Au total, un grand livre fort documenté où dans une analyse purement anarcho-syndicaliste, l’auteur évoque dans son historique de la propriété Marx, Trotsky, Rosa Luxembourg pour mieux parler de Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Malatesta, Fabbri, Pelloutier, la charte d’Amiens, puis décrire les failles du capitalisme et de sa mondialisation, pour finir par une prédiction : le XXIe siècle sera celui des révolutions ». Chiche !

Michel Sahuc. — groupe La Sociale (Montpellier)

Propriété et mondialisation. Serge Mahé. Editions l’Harmattan, 192 p. 110 F.