Le Mille feuilles

C’est à une heure de Toulouse. Tu t’y engouffre dans des vallées qui serpentent jusqu’aux pied des Pyrenées. À gauche et à droite, ce n’est que collines tapissées de bois impénétrables. Au bout, c’est la montagne et ses horizons déchirés de hauteurs inquiétantes. De ci de là quelques fermes faméliques hantent le paysage de leurs pierres arrachées au torrent. Au cœur du cyclone ou dans la moiteur de rares carrefours surgit d’on ne sait d’où quelques gros bourgs paressent au soleil d’une hargne à survivre. Des cimes enneigées sont toujours là pour rappeler au voyageur qu’on ne passe pas par l’Ariège, mais qu’on y va.
Et ils y sont venus !

Les hommes de cro-magnon qui fuyaient la loi de la jungle. Les croquants et autres malandrins qui aimaient à se baigner dans le sang bleu des oppresseurs du moment. Les anars espagnols qui, pour avoir initié la plus grande révolution sociale de tous les temps, se retrouvaient coincés entre Franco la muerte et les camps de concentration français. Les babas et autres cœurs purs d’un printemps trop bref qui, faute d’avoir pu changer la vie, se piquaient de changer la vie. Et d’autres, comme moi, gens de plaine et de mer, troubadours de rêves incertains mais tatoués au fer rouge de la révolte et de l’espoir y viendront ;

Depuis toujours, depuis l’aube des temps, l’Ariège, cette terre courage, a été terre d’asile. Oh, bien sûr, ça fait parfois des étincelles entre les purs porcs (dixit Benoist Rey) qui ont tendance à oublier leurs origines et les derniers en date de la fuite. Mais… ! Mais au bout du compte, ça ne se passe pas si mal que ça. Pour preuve, ce n°27 du Mille feuilles, la revue du Mille pattes, qui en est à 2000 pages de publication, et, donc, à mille feuilles.

On y retrouve le meilleur (le best of comme on dit maintenant) de douze années de résistances, d’épopées et d’une volonté incontestable de vivre autrement. Écologiquement (pas comme encravatés de vert qui nous gouvernent). Et, osons le terme, libertairement (pas comme les curés noirs de toutes les paroisses).

Paco Ibanez, Léo Ferré, Jacques Higelin, chantant à Saint-Girons en 1990, au profit du Mille Pattes, devant 3000 personnes ; le drapeau noir flottant sur la mairie de Saint Girons le 1er avril de la même année ; des poèmes : des dessins ; le coup de patte de l’incroyable Bobol Glocq ; les coups de cour de Dan Giraud ; des textes de Francis Guibert, Alain Gibertie, Jean-Claude Ajax, Yves Le Pellec, Claude Pélieu, Jean-Pierre Moreau… cent mille et une petites nouvelles du front de cent mille et une alternatives en actes ; des portraits de Stirner, une pub pour les Égorgeurs et même des articles… du Monde libertaire.

Bref, encore plus que les autres, ce numéro du Mille feuilles est un régal et, comme avec le gâteau du même nom, tous les gourmands d'espoir s’en délecteront.

Jean-Marc Raynaud

Le Mille feuilles n°27. 76p. 20 F. chèque à l’ordre du Mille feuilles (28 F avec port). Le Mille feuille du Mille pattes, 14 rue du Pujol, 09200 Saint-Girons.