Sénégal : des énergies sociales en mouvement

AUPEJ (Actions utiles pour l’enfance et la jeunesse), née du secteur social informel a tiré profit de ses fondations. Elle s’appuie sur un réseau communautaire. Elle n’a pas présenté des outils sociaux et culturels clé en main aux habitants mais les a construits avec eux. Ce travail préparatoire est émancipateur dans la mesure où les populations apprennent à lire leur environnement, s’approprient des besoins réels et tentent d’y répondre de façon autonome. Étant complètement indépendante des autorités religieuses, étatiques, elle s’organise librement et établit des autonomies collectives. En effet AUPEJ coordonne la vie associative alternative et participe à l’éclosion de pratiques sociales ou économiques émancipatrices.

A la fois but et moyen, cette autonomie demande du temps, découle de tâtonnements, de mise en synergie très éprouvantes pour la collectivité et les personnes. Cela explique en partie la reproduction immédiate de relations formelles dans les espaces alternatifs. Créer dans la précarité épuise les expérimentateurs sociaux. Ce qui devrait être un simple préalable à la créativité culturelle devient un parcours du combattant. Les problèmes sociaux sont tels que la réinvention pédagogique devient un luxe ! La lutte pour imaginer des solutions à des problèmes sociaux urgents est entravée par les difficultés économiques, les lourdeurs administratives.

La stabilisation de ces espaces éducatifs devient donc un enjeu social non seulement pour l’émancipation présente des participants mais pour la pérénisation d’espaces collectifs alternatifs. Pour créer, il faut du temps et de l’avenir ! AUPEJ a travaillé, travaille et travaillera encore et toujours dans l’urgence. Ce combat par et pour l’autonomie passe par l’indépendance économique, l’apprentissage de la prise d’initiatives et la coopération individuelle et collective. Vaste programme qu’AUPEJ a réellement concrétisé. Elle est à l’initiative de la caisse des femmes et de l’ACAPES (collège-lycée alternatif scolarisant des jeunes évincés du système scolaire traditionnel). Elle a préféré tisser des liens transversaux durables que de centraliser des initiatives sociales. Cette synergie emplie de partenariat multiple pose certainement des problèmes d’efficacité institutionnelle. Elle confronte des frilosités, oppose des égoïsmes, concrétise l’acceptation des différences, organise la gestion collective non pas dans un schéma linéaire mais centrifuge.

Se pose à elle maintenant le problème de la création d’outils permanents à l’émancipation des personnes. Cela passe par un renforcement des structures, la formation des personnes, la création de relations pédagogiques et institutionnelles démocratiques.
En fait il n’y a qu’une dizaine de volontaires pour animer cette association. Les personnes-ressources travaillent en majorité à Dakar. La création de postes d’animateurs sociaux devient donc une urgence ! Grâce à l’apport financier de la campagne de solidarité internationale organisée par Bonaventure, les premiers locaux ont été construits. Cela a permis de visibiliser et de cadrer les espaces éducatifs.
 

La garderie (classe maternelle)

Un groupe de vingt gamins est encadré par deux animatrices. Jusqu’à l’an passé, des volontaires se relayaient chaque heure pour assurer les séances éducatives. Ce turn-over imposé par des nécessités économiques était préjudiciable au fonctionnement de la classe. Suite à un travail de regards croisés avec une animatrice et une membre de Bonaventure, AUPEJ a décidé de renforcer la structure scolaire au détriment de l’accueil quantitatif. Elle a donc demandé une participation financière réelle des familles de l’ordre de cinq francs français par mois. Une chute de la moitié des effectifs a suivi cette nouvelle politique. Les animatrices sont les responsables pédagogiques du lieu : elles ont divisé les enfants en deux groupes (les groupes Bonaventure et Thyde sic !), elles élaborent le projet pédagogique et le règlement intérieur. La permanence des animatrices a permis de mener à terme les activités : chant, dessin, collage, coloriage, contes, chansons, exercices d’écritures… L’éducation physique, jeux, football, course, cache-cache est assurée par un jeune animateur collégien.

Les choix budgétaires sont du ressort du bureau des parents d’élèves. Malheureusement les animatrices ne sont pas rétribuées pour ce travail. Il est bon de rappeler qu’il n’y a pas d’école maternelle au Sénégal. La plupart des écoles privées prépare les enfants à l’entrée au CP, le mérite de cette garderie est de valoriser les activités artistiques, sociales et la langue maternelle des enfants avec très peu de moyens (quelques chaises, quelques bancs, un simple carton de matériel éducatif). Il est envisagé, suite à des débats collectifs occasionnés par la présence de la délégation bonaventurienne de transformer le paiement de la scolarité pour les familles qui n’en n’ont pas la possibilité en échange de savoir-faire, en don de compétences.
 

Le soutien scolaire

Chaque soir une des animatrices anime des séances de soutien pédagogiques pour les enfants scolarisés dans les écoles du quartier (du CE1 au CM2 pour un coût de 7 ; 50 FF mensuel). Plus de trente enfants suivent régulièrement ces séances.

La bibliothèque Bonaventure :
Suite à la défection de l’ancien bibliothécaire deux nouveaux venus en sont responsables. Ils ont d’énormes difficultés à l’animer, à contacter les enfants du quartier. Le principe d’une biblio-charette a été retenu au cours d’une réunion de coordination.
Le secteur informatique est en sommeil. Malgré l’apport du matériel, AUPEJ a du mal à structurer cette activité par manque de local et de budgétisation. Pour autant elle a à cœur d’organiser des formations informatiques.
La formation professionnelle :
Les machines à coudre dorment dans un coin. Les animatrices recherchent de quoi payer les matières premières (fil et tissus) en tricotant des vêtements dont le bénéfice découlant de leur vente sera utilisé pour leur atelier. Les apprenties attendent. Il n’y a pas de local électrifié pour les accueillir. Ce secteur avait donné naissance, il y a quelques années à une coopérative de production !
 

Désenclaver les initiatives

Les échanges internationaux nés du hasard entre Oléron et Tivaouane ont véritablement ouvert AUPEJ au monde extérieur. D’une part en accueillant régulièrement des invités européens, d’autre part en utilisant les évaluations croisées entre ces deux structures si semblables et si différentes. Bonav a imaginé de nouveaux liens sociaux et politiques pour y créer de nouveaux liens sociaux et donner un sens collectif à une initiative particulière. AUPEJ s’est appuyée sur les réseaux existants pour les démocratiser et les valoriser. Bonav a contextualisé des principes théoriques en les réinventant au fil de leur manipulation. AUPEJ a inventé de nouveaux espaces sociaux sans pour autant y expérimenter de nouvelles pédagogies.

Deux systèmes équivalents et complémentaires : l’une est le faire-valoir de l’autre. L’une est frileuse sur un plan d’initiatives sociales, l’autre l’est sur un plan pédagogique. Ces regards en miroir ont permis à AUPEJ de mieux analyser ses possibilités de créativité sociale. Des contacts réguliers sont maintenant créés avec d’autres initiatives alternatives sénégalaises. Il fallut ces aller et retour entre ex-colonisée et ex-colonisatrice pour créer un lien social durable entre partenaires sénégalais : incroyable ! Cela symbolise tout à fait la représentation pyramidale des pouvoirs. Bonav aurait pu se contenter de ce tiers-mondisme valorisant pour elle. Mais en s’appuyant à son tour sur les initiatives émancipatrices d’AUPEJ elle donne un sens social réel à son projet politique. Il nous reste donc à approfondir ce nouveau partenariat international alternatif entre secteur politique et social : chiche ?

David Quéron, Thyde Rosell. — groupe Bakounine