Sans papiers, grévistes, précaires

Pour la convergence des luttes

Initiée voilà près de 4 ans de cela, la lutte des sans-papiers se poursuit avec beaucoup d’ardeur. Les 63 000 personnes qui avaient déposé en toute confiance leur demande de régularisation se sont vus déboutées. Au choix clandestinité ou expulsion ils ont préféré la lutte collective : se battre ensemble pour qu’on leur rende leur dignité et que leurs droits sociaux et humains soient reconnus.
Les résultats, en termes de régularisation, ont été plutôt minces et fort différents selon les régions.

Il est pourtant utile de rappeler que le principe d’auto-organisation mis en place par les sans-papiers a permis d’inscrire la lutte dans la durée. Les assemblées souveraines fonctionnant le plus souvent à l’unanimité (principe libertaire incontestable), le caractère unitaire des actions et le recours à l’action directe ont été, et restent, des éléments fondateurs et structurants d’une lutte qui a su se fixer des objectifs, qui a défini des étapes pour atteindre les dits objectifs et qui n’a jamais permis aux combines et errements politiciens de s’installer durablement (1).
 

Pourquoi… la lutte ?

La non régularisation de dizaines de milliers de sans-papiers en France et les solutions qui ont été avancées ailleurs en Europe s’inscrivent dans le cadre d’une politique de répression contre les immigrés, politique tendant à favoriser l’attente sécuritaire d’un électorat rétrograde. La dimension libérale et capitaliste de cette politique ne peut nous échapper tant il est évident que la main-d’œuvre des « sans-papiers » est fragilisée, taillable et corvéable à merci. Une cible rêvée pour des exploiteurs qui peuvent, sans vergogne, maintenir une pression sociale généralisée sur les conditions de travail et les salaires…

En France, en Espagne, en Italie, en Belgique cette réalité est incontestable. Les régularisations partielles, les fermetures de frontières sont autant d’actes réfléchis et autant d’éléments d’une stratégie qui remet en cause la liberté de circulation des personnes et qui renforce les prérogatives des États et de leurs polices respectives en matière de contrôle.
 

La place des anarchistes dans la lutte…

Nos analyses et notre position concernant la lutte contre l’État n’a pas varié d’un iota. En revanche, nous avons tenu à privilégier en toutes circonstances la finalité de cette lutte : Des papiers pour tous les sans-papiers. La question du rôle des révolutionnaires dans cette lutte ainsi qu’une hypothétique reconnaissance de la loi n’étaient du reste pas de mise. En tant qu’anarchistes nous avons toujours dénoncé, et avec virulence, l’agencement des flux migratoires au profit exclusif des tenants du capitalisme de plus en plus sauvage et agressif.

Les acteurs de la lutte ne se sont jamais situés en fonction d’une position de légalité mais bien en fonction de leur situation sociale. De ce fait nous avons toujours eu à l’esprit de réaliser la fusion entre la lutte des sans-papiers avec le mouvement social (et le mouvement ouvrier en premier lieu). Aussi, notre volonté de favoriser l’autonomie absolue du mouvement se situait (et se situe toujours) dans l’optique qui est la nôtre de permettre au mouvement ouvrier lui-même de réaliser son autonomie propre vis à vis de tous les « politiciens ».
 

Et maintenant ?

La manifestation récente devant le camp de rétention de Choisy (94) réclamant « la fin des conditions de travail esclavagistes… et l’arrêt de la répression étatique » et, dans un autre registre, la lutte des étudiants sans-papiers de la fac de Saint-Denis réunis au sein du C.L.E.S.P. (2) montrent, nous l’avons déjà dit, que la lutte se poursuit et rebondit avec toujours autant de détermination et toujours la même méfiance vis-à-vis des institutions politiques. C’est à coup sûr un encouragement pour tous ceux qui s’engagent actuellement dans les luttes sociales.

La manifestation nationale des sans-papiers, le samedi 18 mars 2000 à Paris ainsi que dans d’autres villes de province, devrait pouvoir servir de détonateur à un formidable mouvement de convergence sociale : rassembler le mouvement printanier de contestation entrevu dans les Services des impôts, les PTT, l’Éducation nationale avec celui des sans-papiers et celui des chômeurs et des exclus sociaux…
Un mouvement capable d’envisager pour l’avenir une société fondée sur la solidarité, l’égalité économique et la liberté sociale des individus : une société opposée à division de la société en classes. Une société dans laquelle tous les individus jouissent de la liberté de circuler, de vivre et de s’installer là où ils le désirent, sans considération de frontières !

Loin des mythes républicains, « Égalité, Liberté, Fraternité», énoncés en fonction d’hypothétiques «droits historiques» (3), le mouvement devra pouvoir se situer dans la tradition révolutionnaire et libertaire. La capacité d’atteindre, dans un premier temps, les objectifs fixés en commun et, dans un second temps, de dépasser ce cadre pour parvenir à la lutte directe contre le capital et l’État, se situe dans ce choix.
Ce choix renforce la détermination des anarchistes au moment d’exprimer leur solidarité active, tant la lutte des sans-papiers est la lutte de tous.

Edward.— groupe Puig Antich (Perpignan)

(1) Quelques tentatives ont été faites en pure perte… La dernière en date, la revendication de la carte d’électeur pour les élections communales si elle est défendable, pour nous anarchistes, sur le plan du droit, est dans les faits une réelle opération partisane à l’approche des échéances des municipales de 2001. De sordides calculs boutiquiers !
(2) Voir l’article paru dans les colonnes du M.L. n°1196
(3) droits constamment démentis et bafoués au nom de la Raison d’État ou de son corollaire la raison des institutions économiques et financières.