Grève des agents des Impôts

Les raisons de la colère

La direction générale des impôts (DGI) voulait mobiliser ses agents pour donner une ampleur jamais égalée encore à la campagne d’information pour la déclaration des revenus. Les personnels se sont effectivement mobilisés, mais pour faire avancer leurs revendications !

Depuis le 1er mars, les centres des impôts sont sujets à d’importants mouvements de grève. L’origine de cette grève est la mission 2003 pondue par quelques énarques et qui prévoit de réformer de fond en comble d’ici 2003, dans une logique libérale, le système fiscal français. Pour bien saisir la grogne des fonctionnaires des finances il convient de préciser l’originalité de ce système qui est basé sur la séparation de l’assiette et du recouvrement. C’est-à-dire qu’elle calcule l’impôt d’après les déclarations déposées dans les centres des impôts (CDI). La seconde administration, la Direction générale de la comptabilité publique (DGCP), encaisse les divers impôts émis par la DGI dans les perceptions. Cette originalité prend sa source avec la Révolution de 1789 qui combattit les fermiers généraux (le fisc de l’ancien régime) dont le but était de remplir les caisses du royaume en asseyant les impôts selon leur bon désir, donc sur le tiers État. Cette introduction un peu lourde permet toutefois de mieux comprendre la suite…
 

La logique libérale de la réforme

La mission 2003 s’exclut de toute notion de service public pour aller vers une logique de coût-rendement. L’État s’appuie sur le fait que le coût de gestion de l’impôt en France est un des plus élevés au monde (environ 1,5 % du montant des collectes fiscales). Ce chiffre incontestable est quand même comparé à celui de pays où l’organisation de l’État, fédéral ou non, et du système fiscal sont totalement différents donc incomparables. Les conclusions de cette mission prévoient la fusion de l’assiette et du recouvrement (de la DGI et du DGCP) pour un système fiscal unifié. Les services du cadastre (géomètres) seraient privatisés, donc payants. Les déclarations d’impôts seraient envoyées préremplies aux contribuables et via un réseau Intranet pour les entreprises et activités libérales. L’informatisation des services serait accélérée. Les services fiscaux seraient divisés en deux structures, une pour les particuliers et une pour les entreprises. Il travailleraient selon l’organisation anglo-saxonne de la compliance avec le système déjà mis en place dans les banques et assurances du « front office/back office ».

Pour être plus clair, la compliance distingue les bons des mauvais contribuables. Les bons (qui déposent et paient dans les délais) sont laissés tranquilles. Quant aux seconds, des personnes aux fins de mois difficiles ou des petits artisans et commerçants dont la situation économique se rapproche de biens des salariés, le fisc aura toute latitude pour s’acharner sur eux. Et les grandes entreprises me direz-vous, là où la fraude est la plus importante ? Pour elles sera crée une Direction nationale des grandes entreprises (DGE) directement rattachée à Bercy. De quelle façon seront-elles traitées sachant que la fraude fiscale est celle qui coûte le plus cher à la collectivité et est la moins poursuivie pénalement. Nous ne doutons pas qu’elles seront galamment traitées, par des fonctionnaires courtois et compréhensifs, sachant qu’elles financent les partis politiques. Puis comme pour EDF et France Télécom, il y aurait création de centres régionaux d’informations téléphoniques et d’encaissements de chèques.

Voici les principales données de la réforme qui est présentée au public comme une simplification des impôts puisque maintenant on va déposer ses déclarations et payer ses impôts au même endroit. Cela paraît correct en sachant qu’il y a une perpétuelle confusion entre centre des impôts et perception chez pas mal de gens qui de fait se trouvent baladés d’une service à l’autre. Pourtant en y regardant de plus près quelques anomalies sont apparues aux agents du fisc.

Qui dit fusion de la DGI et de la DGCP, dit logiquement suppression de postes ou d’emplois au travers de départs à la retraite non remplacés (il n’y a pas encore de licenciements dans l’administration). Mais aussi fermeture de beaucoup d’implantations, petits CDI et pratiquement toutes les perceptions. N’oublions pas que ces dernières ont des missions de service publics particulièrement en zone rurale pour les personnes âgées. Sur certains « petits départements » on peut même imaginer un seul site par département. Bonjour le service public de proximité, surtout pour les chômeurs et autres laissés pour compte. Encore une nouvelle exclusion de la citoyenneté par une prise en charge factice qui évite de s’interroger sur le système. La logique du coût/rendement oriente cette réforme à négliger les particuliers, jugés non rentables (l’impôt sur le revenu rapporte peu) au profit des entreprises qui reversent la TVA (l’impôt le plus indolore mais aussi le plus productif). La logique de cette réforme aura aussi des incidences pour les personnels qui devront être mobiles, polyvalents sur l’ensemble de la fiscalité qui est très compliquée et recouvre de nombreux domaines. Mais le plus dramatique, à la fois pour les agents du fisc et les contribuables sera l’évolution vers un régime indemnitaire au mérite. Aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire et quel que soit leur tâche, les fonctionnaires des finances touchent les mêmes primes (elle varient uniquement en fonction du grade et de l’ancienneté). Cela afin d’éviter tout favoritisme et d’assurer une égalité de traitement sur tout le territoire pour tous les citoyens. Est-ce que tous les agents auront la même attitude avec ces primes au mérite ?
 

Les grévistes contre l’injustice fiscale

Les grévistes d’aujourd’hui sont persuadés que le système fiscal français doit être réformé. Mais avec eux, avec des notions de service public pour soutenir en priorité ceux qui sont dans les situations les plus difficiles. Alors que les contribuables sont très craintifs vis-à-vis du fisc, ça touche à leurs revenus, cette réforme conduit à une superficialisation des services rendus car une trop grande polyvalence sur la fiscalité sera réclamée aux agents. La fiscalité elle-même doit être réformée pour plus de justice fiscale. Ils veulent un abandon des impôts indirects (TVA, taxes sur l’essence, etc.) où tout le monde paie au même taux quelque soit le revenu (Rmiste, chômeur, salarié, rentier) au profit d’un impôt direct (impôt sur le revenu) réellement progressif, c’est-à-dire que plus les revenus sont élevés, plus l’impôt progresse par tranche. Dans une fiscalité de plus en plus lourde et complexe, les agents veulent pouvoir mieux assurer l’accueil et l’information des usagers qui ne peuvent pas se payer des conseils privés (avocats, comptables). L’outil informatique ne doit plus servir à faire uniquement ce qui est « statistiquement rentable » au détriment du service à l’usager qui, lui, stagne malgré les réels progrès liés à l’informatisation. Les gains de productivité de cette dernière ont jusqu’à présent servi uniquement à supprimer des effectifs au lieu d’améliorer les conditions de travail comme les 35 heures qui là aussi vont se traduire par moins d’emplois, moins de congés payés, plus de flexibilité et l’annualisation du temps de travail.

Le travail précaire va faire son entrée dans les futurs centres régionaux de renseignements téléphoniques et d’encaissement de chèques. Les études pour la mise en place de nouvelles structures prévoient du personnel peu qualifié, faiblement rémunéré, avec de nombreux CDD et peu de perspectives de carrière. Enfin, il y a l’essence même du travail des agents des impôts : la fraude fiscale ! Ces fonctionnaires en ont marre, pour satisfaire l’outil statistique, de redresser des salariés ou de petits artisans qui sont loin de mettre en péril les finances de la nation.
 

Le jeu trouble des syndicats

La vraie fraude fiscale, ce sont les grandes entreprises françaises et multinationales qui la font. Elle est estimée à plus de 230 milliards par an. C’est la délinquance qui coûte le plus cher à la collectivité, pas le petit jeune qui casse un abri bus. Pourtant, c’est la moins poursuivie. Étonnant, non !

L’action a commencé dès l’annonce du projet de réforme début février surtout à la DGCP pour s’amplifier le 1er mars à la DGI sans un réel travail syndical. Par contre, il y a eu une intense propagande du ministère qui présentait le malaise et affirmait tous les jours qu’il n’y aurait pas de suppression d’emplois et de fermetures de sites en zone rurale. C’est cette propagande, trop intense, qui n’apportait rien de neuf, qui a déclenche ce mouvement d’une telle ampleur. Les piquets de grève se sont imposés dès les premiers jours de l’action grâce à une forte participation. Une seule revendication, le retrait de la mission 2003 et l’ouverture de négociations pour réformer l’administration fiscale dans le sens d’un meilleur service public pour tous. L’attitude des syndicats n’a pas été toujours très claire. Le SNUI (syndicat autonome majoritaire) et FO suivaient le mouvement. La CGT (deuxième organisation) était plus frileuse.
Aux Impôts et aux Finances, elle est à la pointe du virage « d’adaptation » type CFDT pris par l’organisation, le numéro 2 de la confédération, J-C Le Duigou, vient du syndicat des impôts. La CGT impôts était plus encline avant le mouvement à négocier la mise en place de la mission 2003 et ses à-côtés. L’action a fait dévier l’attitude de la CGT.

À ce jour, Sautter a reculé, il a juste gelé son projet, espérant faire avaliser les négociations engagées la semaine passée. Les grévistes ne se font aucune illusion car dès vendredi dernier les assemblées générales votaient à une écrasante majorité la reconduction de la grève générale jusqu’au jeudi 16 mars, pour la grande manifestation nationale à Paris prévue de longue date.

Philippe Spec. — groupe Camille Pissaro du Val d’Oise