Congrès Force ouvrière

La base s’exprime

Le 19e congrès confédéral de la CGT-Force Ouvrière s’est tenu du 6 au 10 mars à Marseille. L’intérêt de celui-ci ne consistait pas, comme pour certains journalistes, à connaître le dernier bulletin de santé de Blondel, ni même son score concernant l’approbation du rapport d’activité, encore moins à jouer à la devinette quant à son successeur dans 3 ans, mais à prendre le pouls des syndicats de base, de leur analyse de la situation, de leur volonté ou non d’en découdre.

De ce point de vue, un congrès FO est un outil précieux. Plus de 3 000 délégués présents, ayant discuté parfois très précisément du rapport d’activité, des orientations et des mandats, c’est non seulement un démenti spectaculaire à tous ceux qui pensent ou veulent faire croire que « FO est à bout de souffle », mais c’est surtout une photographie utile d’une partie non négligeable du mouvement social. Le congrès, de plus, se situait dans une période ou FO joue un rôle important dans les luttes en cours (hôpitaux, finances, enseignement…).

Sur les 107 interventions recensées, citons en quelques unes qui résument bien le sentiment très majoritaire des militants. Ainsi le délégué de l’INSEE qui déclare : « la période est capitale. La société reste divisée en deux classes antagoniques… La doctrine de l’alliance du capital et du travail vient tout droit de la doctrine sociale de l’Église ». Ou encore ce militant de l’Éducation nationale : « l’école est en voie de privatisation. Il faut préparer une riposte à la hauteur des attaques… Construisons tout de suite la grève générale sur la base des cahiers de revendications et non de mots d’ordres d’appareils ».

Un militant cheminot expliquait bien aussi la situation particulière du moment avec des syndicats de la gauche plurielle qui soutiennent le gouvernement : « un ministre communiste, ancien CGT, un secrétaire général de la CGT, ancien cheminot et au final une organisation qui signe un accord loi Aubry avec la CFDT, qui bloque les salaires pendant 3 ans et organise la précarité (temps partiel imposé) ». Un délégué des Ardennes qualifiait quant à lui les lois Aubry « d’arnaques d’une envergure exceptionnelle ».

Une employée de la chaîne Casino, dans la même logique, a expliqué très concrètement la dégradation considérable de ses conditions de travail, avec des temps partiels subis, une flexibilité maximale, des délais de prévenance de plus en plus courts et au total une vie personnelle et familiale massacrée.

On peut citer aussi cet employé d’Euroguard, dénonçant les risques d’externalisation de pans entiers de secteurs d’entreprises. Ainsi sa boîte le « loue » actuellement à Philips pour exercer les tâches suivantes qui, avant, étaient effectuées en interne de l’entreprise : « filtrer les entrées et les sorties, tenir le standard (500 lignes groupées) en répondant non seulement en français, mais aussi en hollandais, en anglais, en allemand ! distribuer le courrier, s’occuper de la prévention d’incendie, accompagner les responsables financiers à la banque… tout cela pour 5 300 F nets par mois. »

Citons encore cette anecdote concernant les transporteurs routiers. Pour se tenir éveillés, un vieux truc consistait à utiliser des « pétards belges », mélange de coca-cola et de café. Maintenant, certains chauffeurs s’enfoncent une aiguille dans la main qui pend par la fenêtre du camion. C’est le vent, faisant bouger l’aiguille, qui est chargé en l’occurrence de tenir éveillé… Il faut dire que la « concurrence » des chauffeurs yougoslaves surexploités à 3 000 F par mois, est rude.

Dans ce cadre où la brutalité patronale ne connaît plus de limites, les pièges pour les militants syndicaux sont parfois plus insidieux : ainsi le délégué d’Axa expliquait que dans son entreprise « seul FO a refusé le système du chèque syndical. 6 500 000 F ! De vrais chèques pour de faux syndicats. »

À une autre échelle, « l’Europe de Prodi et de Delors » a été dénoncée par de nombreux délégués. L’accueil fait à Cabaglio, représentant de la confédération européenne des syndicats, courroie de transmission à peine déguisée de la commission européenne, a été plutôt frais. Celui-ci, vexé, a d’ailleurs fait remarqué que FO, à l’inverse des autres syndicats (CFDT bien sûr et maintenant CGT), ne suivait pas la même voie.

D’autres interventions encore ont concerné des sujets aussi divers que le logement social ou la défense de la convention 103 de l’organisation internationale du travail, gravement menacée notamment par les recommandations européennes.

Le congrès a été aussi l’occasion de quelques règlements de comptes de syndicats de base envers certaines fédérations, tant il est vrai que le décalage entre les syndiqués et les appareils, à FO comme ailleurs, peut être énorme sans une vigilance et un combat anti-bureaucratique de tous les instants : ainsi une mandatée PTT de Vendée a dénoncé devant le congrès l’accord pourri signé par la Fédération PTT sur les 35 heures. Applaudie par des congressistes debout, elle a pu aussi entendre huer le responsable de ladite fédération dont la réponse, un peu plus tard, était du même niveau que l’accord qu’il avait signé. Ces problèmes ne sont pas réglés pour autant…

Moins violente, mais tout aussi déterminée, l’intervention de la déléguée hospitalière de l’Assistance Publique de Paris dénonçant le projet de protocole d’accord encensé par les médias (10 milliards annoncés sur 3 ans) mais qui n’est rien d’autre, comme l’a expliqué cette militante, que la poursuite habile du plan « Juppé-Notat-Aubry ». Les responsables FO de cette fédération, tentés par une signature, étaient visiblement embarrassés…

Au total, ce congrès aura montré indiscutablement la volonté d’une base, pour l’essentiel non encartée politiquement quoiqu’on en dise, d’en découdre, sur des bases saines. La résolution générale, fruit de 7 heures de discussions parfois acharnées en commission, donne un mandat correct au bureau confédéral. Cela représente pour les militants de FO, dont les anarchistes à la FA ou non, et pour le mouvement social en général, un point d’appui. Rien de plus, mais c’est déjà cela.

Fabrice Lerestif