Femmes immigrées : double peine sentimentale
L’article 3 du code civil français
dit que toute personne étrangère est soumise, pour son statut
personnel (filiation, mariage, séparation) à la loi dont
elle possède la nationalité. Les femmes issues de l’immigration
sont les premières victimes de cette règle qui consacre la
polygamie, le mariage ou le divorce célébré sans leur
accord, voire sans leur présence. Leurs filles le sont par ricochet
: si elles sont françaises en France, sur leur territoire d’origine,
elle ne perdent jamais la nationalité transmise par le père.
C’est souvent à l’occasion de vacances que le piège se referme.
Ça peut être sur le territoire national même, quand
les pesanteurs culturelles et familiales les découragent de se mettre
sous la protection du droit français. Il existe pourtant des lois
qui en principe peuvent les protéger, comme « l’ordre public
» qui reconnaît l’égalité entre les hommes et
les femmes, mais encore beaucoup de ces femmes immigrées restent
isolées, ne parlent pas ou peu le français et méconnaissent
tout de leurs droits.
Une marocaine s’est fait confisquer ses papiers
par son mari lors d’un séjour au Maroc. L’épouse, selon le
droit marocain était donc placée sous l’autorité de
son mari. Elle vivait pourtant depuis trente ans en France dans les Yvelines
et avait élevé six enfants français. Les autorités
françaises n’ont rien pu faire pour qu’elle réintègre
son lieu de résidence.
En 1999, l’association lyonnaise Femmes contre
les intégrismes (FCI) a réussi à empêcher, in
extremis, à l’aéroport, le renvoi en Algérie d’une
jeune femme répudiée. Le FCI milite depuis cinq ans pour
empêcher l’application du statut personnel en France et modifier
les législations des pays d’origine. L’attitude des pouvoirs publics
face à la polygamie est un bon exemple de mesures coercitives se
retournant contre les femmes. Depuis quelques mois, le ministère
de l’Intérieur fait appliquer une loi de 1993, en apparence progressiste
: le retrait des autorisations de séjour aux ménages polygames.
Aujourd’hui, les préfectures les mettent en demeure de divorcer
pour renouveler les titres de séjour, sans se soucier du sort de
l’épouse qui va être répudiée. Elle perdra ses
maigres droits (rente, succession), son statut social, alors qu’elle ne
jouit déjà pas de sécurité sociale et souvent
n’est pas régularisable. Perdues dans le labyrinthe des procédures
juridiques, ces femmes soutenues par des campagnes de solidarité
efficaces, auront plus de chance de faire pencher la balance en leur faveur.
Patrick Schindler. — Claaaaaash FA
Source : Libération 8 mars 2000