Grève des services publics : une école
des luttes
Services publics, retraites, Sécu,
Code du travail, tout doit disparaître. C’est le grand projet de
ce gouvernement, comme ce fut celui des précédents et comme
ce sera celui des suivants. Ce travail de démolition est malheureusement
facilité par le découragement de beaucoup de salariés
et surtout par les principaux syndicats collaborateurs (CGT, FO, CFDT,
FSU etc., sans distinction). Ils s’enferment dans les termes d’un débat
dépassé en privilégiant l’appel à une intervention
plus sociale de l’État.
L’hésitation à en découdre
avec le gouvernement et ses représentants, mais aussi avec le patronat
paralyse pour une grande part l’évolution de la société.
Pourtant les mouvement récents dans l’éducation nationale,
la Poste ou les Hôpitaux laissent à croire qu’il est possible,
plus que par le passé, de sortir par le haut de cette impasse et,
pour le mouvement social, de retrouver dignité et efficacité.
Lutter sans concessions
La lutte des enseignants qui se dessine sous
des formes nouvelles depuis quelques années et pourrait bien aboutir
à un véritable conflit social prochainement est probablement
la plus dangereuse potentiellement pour le pouvoir. Non seulement on y
retrouve les mots d’ordre traditionnels et soporifiques des syndicats bourgeois
mais on y perçoit aussi des spécificités très
encourageantes qui avait déserté ce milieu depuis les grandes
heures de l’école Émancipée de l’entre-deux-guerres.
L’implication des parents d’élèves, si elle n’est pas nouvelle,
prend des formes plus radicales : occupations longues d’écoles ou
de collèges, participation massive aux manifestations avec les enseignants.
Les moyens d’action des enseignants témoignent aussi d’un certain
durcissement : assemblées générales nombreuses mêlant
syndiqués et non-syndiqués, mobilisation maintenue pendant
les congés, grèves de la faim (dans le Gard et l’Hérault),
présence de piquets de grève dans certains lycées
professionnels. On se prend à rêver de profs quittant leurs
habitudes de petits-bourgeois camif pour découvrir le véritable
ressort du progrès social : la lutte, collective et sans concessions.
La première grande journée de grève nationale a eu
lieu jeudi dernier et les profs remettent le couvert vendredi 24 mars.
Enrayer la libéralisation des services
Pour les apparatchiks du ministère
il s’agit de « manifs cagnotte ». L’entourage de Claude Allègre,
au premier rang duquel se trouve l’ex-mao de la gauche prolétarienne,
Alain Geismar, véritable éminence grise du mammouth de la
rue de Grenelle qui a fait ses classes de briseur de grève à
l’occasion de la dernière grève lycéenne, tente de
se rassurer et considère que le ministre paie avant tout «
la communication désastreuse » du gouvernement sur le pactole
de Bercy. Les 10 milliards accordés aux hôpitaux ou les 5
milliards de la marée noire ont pu, il est vrai, encourager les
revendications des milieux éducatifs. Mais on n’en est plus là
et il faut espérer que ces fins stratèges se trompent encore
longtemps sur les véritables motifs de la contestation. Pour le
moment, Claude Allègre a choisi de faire le dos rond en attendant
le résultat de la mobilisation. Nous lui donnons rendez-vous le
24 mars, en espérant que les établissements scolaires soient
nombreux à débrayer d’ici là. Une bonne vieille grève
générale dans ce secteur serait de nature à donner
des idées à beaucoup.

Il faut dire que le problème est extrêmement
grave. L’éducation tend a devenir un service marchand à part
entière, dont le domaine d’activité s’élargit progressivement
à l’enseignement secondaire (surtout dans les filières techniques
et professionnelles mais il n’y pas besoin d’être grand clerc pour
deviner qu’elles servent de laboratoire social à l’ensemble du système
d’enseignement). Claude Allègre ne fait qu’appliquer à la
France les recettes de la fée mondialisation. Les visées
de l’OMC sont limpides dans ce domaine. Dès 1994, la plupart des
pays qui allaient fonder l’Organisation Mondiale du Commerce en janvier
1995, ont conclu à Marrakech un premier accord général
sur la libéralisation des services. L’objectif est clair : privatiser
l’enseignement et au-delà l’ensemble des services publics.
En 1998, à la demande du Conseil pour
le Commerce des Services, le Secrétariat de l’OMC a constitué
un groupe de travail chargé d’étudier les perspectives d’une
libéralisation accrue de l’Éducation. Dans son rapport (classé
« restricted » mais néanmoins disponible sur Internet),
ce groupe insiste sur « le rôle crucial de l’éducation
dans la stimulation de la croissance économique ». Le libéralisme
est en marche et il avance à visage couvert. Les anarchistes le
savaient depuis longtemps et notre discours sur les services public, qui
s’est largement actualisé depuis quelques années, devrait
nous permettre d’être au premier rang dans les luttes à venir,
avec des propositions concrètes et en prise directe avec les préoccupations
des travailleurs. En effet, les luttes ne se limitent pas à l’éducation,
chacun a pu s’en rendre compte. Les conflits très durs qu’a connus
la Poste sont un exemple de détermination à ne plus se laisser
faire. Dans cette entreprise, la marchandisation du service public est
pratiquement arrivée à son terme.
La prochaine étape risque bien d’être
la privatisation pure et simple. Les postier qui ont conscience de l’ampleur
du danger savent que s’ils perdent maintenant il leur sera très
dur de revenir en arrière. La prétendue réduction
du temps de travail, véritable attrape-couillon gouvernementale,
est l’arme principale de la remise au pas de la fonction publique.
Il nous faut donc, dans chaque conflit, réaffirmer
l’analyse libertaire du rôle de l’État qui ne représente
pas le bien public mais bel et bien un patron comme les autres, garant
qui plus est de la bonne santé du capitalisme par la défense
acharnée qu’il fait du libéralisme. La réappropriation
du social qu’entreprennent les travailleurs ne doit pas passer par un recours
à l’État qui sait avec habileté jouer son rôle
de sauveur. La mise en scène de la trop fameuse cagnotte, qui n’est
qu’une pure et simple manipulation de l’opinion dans un contexte difficile
pour le gouvernement, devrait inciter les travailleurs, au contraire de
l’effet escompté par les puissants, à progresser encore dans
l’autogestion de leurs luttes.
Franck Gombaud