Politique de la ville

Les illusions de la mixité sociale

Les banlieues, même repeintes en rose, restent moroses. Les émeutes urbaines viennent périodiquement nous rappeler vingt ans d’échec des politiques urbaines. Cela n’empêche pas la gauche plurielle de prétendre à nouveau redonner un visage humain à nos cités sinistrées. Sans doute espère-t-elle rallier aux urnes un électorat populaire dont elle a depuis longtemps perdu la confiance.

Le projet de loi sur « la solidarité et le renouvellement urbain », dix ans après la LOV (loi d’orientation sur la ville), se présente comme un cocktail de mesures pour résorber le délabrement des banlieues populaires, réorganiser les transports et planifier une mixité sociale à laquelle les dirigeants semblent prêter des vertus quasi miraculeuses.

Il s’agit, entre autres, d’imposer aux communes des grosses agglomérations un quota d’habitations à loyer modéré. Ces 20 % « minimum » provoquent la fronde des maires et des habitants de communes qui, comme au Vésinet ou à Neuilly, considèrent que l’homogénéité sociale de leur quartier est un garant de sécurité et de tranquillité. Qu’on se le tienne pour dit, ceux-là préféreront déménager plutôt que se mélanger aux pauvres. Ils n’en seront certainement pas réduits à de telles extrémités, puisqu’il leur suffira de payer l’amende réclamée par l’État aux récalcitrants. Ils ont déjà sorti leur carnet de chèques…
 

La politique urbaine : un cache-misère

L’idée de mixité sociale, partie intégrante de l’idéologie urbaine, n’est qu’une nouvelle façon de masquer l’antagonisme entre les classes sociales. Cet antagonisme, qui se cristallise dans la ségrégation spatiale, n’est pas pour autant réductible à ce constat d’une ville à deux vitesses. Ainsi, la proximité spatiale entre l’habitat des plus démunis et des nantis n’est pas, comme le croyaient certains chercheurs marxistes des années 70, « potentiellement révolutionnaire ».

Aujourd’hui, prôner une mixité sociale imposée par des quotas est une nouvelle illusion. On veut nous faire oublier que changer la cité, c’est d’abord changer la société. Rappelons-nous que la gauche au pouvoir n’en est pas à son premier essai dans ce domaine. En 1989, appelant à la rescousse l’architecte Roland Castro, ils avaient voulu changer le visage des banlieues à grands coups de réhabilitations. L’échec fut patent car la destruction de quelques tours insalubres n’a évidemment pas eu pour corollaire la disparition des problèmes qu’elles étaient sensées engendrer.

L’illusionnisme architectural est pourtant encore de mise avec la SRU, puisqu’on insiste sur la dimension humaine de ces nouveaux HLM, comme si un retour à des logements plus bas (comme l’étaient les corons) pouvait être un gage de progrès sociaux.
Ceux qui trop longtemps sont restés confinés dans une dénonciation superficielle des discriminations sociales (le fameux « réparer les ascenseurs » de Sos-racisme) en sont donc pour leurs frais, pris au piège de leurs propres revendications qui n’embarrassent personne et auxquelles le gouvernement a beau jeu de donner satisfaction. Pendant ce temps, ils peuvent continuer à servir les intérêts capitalistes.
 

Le capitalisme à visage urbain

Loin de la « révolution urbaine », les politiques de la ville sont soumises aux logiques de marchés. Les ZAC (zones d’activité concertées) déterminent la spécialisation des lieux en fonction des intérêts des investisseurs locaux. Les concessions faites au privé dans le domaine du bâtiment et des transports réduisent d’autant les pouvoirs de la commune dans la structuration de l’espace urbain. D’ailleurs, la gestion de la ville se situe de plus en plus à un niveau intercommunal ce qui limite encore l’influence que pourraient exercer les habitants.

Les intérêts économiques sont prédominants dans les dynamiques urbaines. C’est le cas lorsque la spéculation immobilière chasse les classes populaires des centres ville, mais aussi lorsqu’on y implante des bureaux d’affaires ou des grands centres commerciaux dont les vitrines luxueuses sont protégées des velléités d’expropriation immédiate des « classes dangereuses » par des vigiles en arme.

Enfin, la « globalisation » de l’économie, avec la souplesse productive qu’elle induit, interdit toute planification à long terme de la structuration urbaine car elle reste à la merci de la disparition du tissu industriel et des délocalisations. Cette globalisation laisse aujourd’hui de nombreuses zones déprimées, contournées par les autoroutes du profit.
 

Urbaniser pour neutraliser

Outre les impératifs d’intégration et de rationalisation économiques dont les politiques urbaines se font le relais, la volonté de contrôle des quartiers à risque est au cœur de l’intervention étatique. Les contrats locaux de sécurité avec le développement de la police de proximité, les contrats éducatifs locaux et toutes les mesures spécifiques qui se multiplient dans les banlieues tendent à mobiliser l’ensemble des services publics et des réseaux associatifs pour un quadrillage sans faille des quartiers.

L’établissement de ce nouvel ordre local vise à la pacification du champ urbain dont nos dirigeants veulent éviter qu’il devienne le champ de bataille de la lutte des classes. Mais face à la misère grandissante des laissés pour compte de la mondialisation, le surenchérissement sécuritaire n’offre que la perspective du chaos et de la criminalisation de populations de plus en nombreuses.
Loin de disparaître donc, les ghettos se multiplient et sont de plus en plus vécus comme tels.
 

Autogérons la ville

Ce tableau peu réjouissant ne doit pas nous faire oublier qu’il reste possible de gérer la ville différemment. Certes, nous n’avons rien à attendre des « schémas directeurs de développement » devenus « schémas de cohérence territoriale » ou du « plan d’occupation des sols », devenu « plans locaux d’urbanisme ». Pourtant il reste possible de gérer certains aspects de la vie des quartiers par des comités autonomes, les plus aptes à répondre aux besoins de ceux qui y vivent. De telles organisations collectives sont d’ailleurs les seules qui puissent opposer une résistance efficace au tout sécuritaire, aux huissiers, et autres vautours du libéralisme triomphant.

Jean. — groupe Kronstadt (Lyon)