Départements d’outre mer
Aux colonies, la traite continue
L’information n’a fait l’objet d’aucun traitement
significatif dans la presse nationale (1) et pourtant elle mériterait
à elle seule une analyse détaillée sur plusieurs pages.
Par sa nature, par les préjugés qui la fondent, par
l’argumentaire qui la justifie, elle est symptomatique de la dérive
particulièrement alarmante de la politique gouvernementale envers
les chômeurs et précaires et autres exclus. De quoi s’agit-il
? De rien d’autre qu’un projet de loi sensé « rénover
le pacte républicain » et contribuer au « développement
économique » de Départements d’outre-mer (DOM).
Sur l’intitulé, une remarque préliminaire
s’impose : « rénover le pacte républicain » est
l’argument systématiquement employé par l’actuelle majorité
pour justifier des mesures coercitives aux relents nettement réactionnaires.
C’est en effet au nom du « pacte républicain » que le
ministre de l’Education nationale réintroduit à l’école
des cours de morale civique. C’est le « pacte républicain
» qui est à nouveau avancé par Chevènement pour
mater le sauvageon des banlieues. C’est encore dans le but de faire ressentir
le « pacte républicain » unissant l’ensemble des Français,
que les hommes et les femmes nouvellement naturalisés se voient
soumis à une cérémonie ridicule stigmatisant leur
entrée dans la République française. C’est enfin au
nom du caractère sacré du « pacte républicain
» que Pasqua justifia la mesure qui voulait qu’un jeune né
en France de parents étrangers, fasse sa demande de naturalisation
en exprimant sa volonté d’être français. On le voit,
le « pacte républicain » esr un concept particulièrement
commode pour signifier une autorité non personnifiée, sinon
sous le seul visage de la République dont la symbolique et le caractère
éminemment sacré suffisent à signifier à qui
de droit ses devoirs !
Manœuvres patronales pour échapper
au droit du travail
En l’occurrence, et avec le double objectif
donc de « rénover le pacte républicain » et de
favoriser le développement économique », ledit projet
de loi envisage de créer « une allocation de revenu d’activité
» qui serait versée aux individus percevant les minima sociaux,
qui accepteraient de travailler dans des PME de moins de 11 salariés
ou chez des particuliers, avec à la clé non pas un contrat
de travail (susceptible précisément d’ouvrir des droits aux
personnes visées par cette mesure !), mais « un titre simplifié
» comparable au chèque emploi-service instauré par
le gouvernement… Balladur.
Si, pour l’instant, le texte ne prévoit
pas de mesures contraignantes à l’égard des titulaires des
minima sociaux, il anticipe l’intérêt que les patrons et les
particuliers nantis des DOM portent à ce providentiel projet : le
dispositif prévoit en effet un volet « employeurs »
du plus bel effet : ils bénéficieront, quoiqu’il advienne,
d’une exonération sociale ou fiscale, dont la nature incitative
sera définitivement établie par le Parlement. Ce dispositif,
s’il venait à être adopté, est dans tous les cas sans
précédent.
Il signifie d’une part que les titulaires
des minima sociaux, par leur statut, échapperaient au code du travail
tel qu’il est en vigueur sur l’ensemble du territoire, sitôt qu’on
leur trouve une activité. Il entraîne l’apparition d’une nouvelle
catégorie de salariés, sans contrat de travail, payés
à la tâche, offrant à l’employeur une rentabilité
exceptionnelle, de loin supérieure aux missions d’intérim.
C’est dire ! Il légalise enfin le fait qu’un riche s’offre un pauvre
en gagnant de l’argent dessus.
Le rôle de l’État dans ce vaste
processus de déréglementation du marché de l’emploi
au bénéfice des entreprises est rendue évidente, et
sa volonté d’articuler développement économique et
exploitation des plus démunis flagrante. Le taux de chômage
élevé dans les DOM (30 % contre 11 % en métropole)
ne saurait justifier l’idée d’un tel projet de loi. Seuls le cynisme
et le mépris du gouvernement pour la population peuvent expliquer
l’émergence d’un tel dispositif. Mais que voulez-vous, la rénovation
du pacte républicain et le développement économique
est à ce prix… une paille ! Aux colonies, la traite continue !
Rodolphe Delcros
(1) à l’exception d’Alternatives
Économiques, n°177.