La Commune : deux expositions, un film...*
La Commune est à l’honneur ! Aussi
surprenant que cela puisse paraître, le très respectable Musée
d’Orsay consacre, pour quelques mois, deux expositions à cette éphémère
expérience révolutionnaire qui eut lieu du 18 mars au 28
mai 1871.
La première exposition, «
La Commune photographiée », met en valeur de nombreuses photographies
de l’époque ayant trait à cette période agitée.
En 1871, la photographie n’en est qu’à ses débuts mais Paris
est néanmoins considérée comme la capitale mondiale
de ce nouvel art. Logique alors que les photographes parisiens descendent
dans la rue, du moins pour ceux qui étaient restés dans la
capitale et n’avaient pas fui à Versailles. Malgré les limites
techniques de l’époque, notamment l’impossibilité de prendre
des photos de mouvement et donc le caractère impératif de
la prise en fixe, les clichés exposés permettent de mieux
se rendre compte de l’atmosphère de la Commune, de matérialiser
des choses et des hommes et femmes tant de fois entendus, racontés,
lus et relus. Les clichés exposés, et accompagnés
de commentaires et même parfois de documents d’archives, sont regroupés
en trois grands thèmes, trois grands ensembles.
Le premier met en relief les communards
et surtout la défense de la Commune. Barricades, ouvrages de fortification,
portraits de gardes nationaux… Le second ensemble, peut-être le moins
intéressant, regroupe les photos des dévastions et ravages
des combats lors de la chute de la Commune. Hôtel de ville incendié,
immeubles détruits, édifices publics ravagés témoignent
de la violence des affrontements et de la haine des Communards pour le
vieux monde et les tenants de l’ordre social en train d’anéantir
leurs rêves et espoirs. Le dernier groupe de photos est construit
autour du thème des « horreurs de la Commune ». Il est
constitué d’une part de portraits de communards lors de leur arrestation,
procès ou après leur exécution au cours de la terrible
« semaine sanglante » qui fit, rappelons le, plus de 30 000
morts (soit plus que sous la Terreur) et d’autre part des photos de personnalités
ecclésiastiques et militaires exécutées par les communards
en représailles des assauts des Versaillais. Et, oh surprise, on
rentre là dans le domaine de la photomontage ou de la photo-trucage,
symbole de l’ordre moral régnant dans les années qui suivent
la Commune. En effet, ces photos sont des commandes des classes dirigeantes,
politique, militaire et religieuse de l’époque, destinées
à être largement diffusées et surtout à développer
le souvenir et le mythe d’événements « honteux »
pour la France parmi la population. On voit donc mis en scène des
bons abbés, curés, généraux et autres oiseaux
de malheur, dans leur meilleure posture, faisant face aux pelotons d’exécution
des affreux gardes nationaux. Comme quoi le trucage et la manipulation
de l’information n’ont attendu ni Staline ni les médias modernes.
Courbet, un peintre engagé
La seconde exposition, plus sereine et reposante,
est consacrée à « Courbet et la Commune ». Si
le peintre réaliste Gustave Courbet n’a pas peint de tableaux durant
la Commune (il avait beaucoup trop d’autres choses exaltantes à
faire durant ces deux mois), il a néanmoins laissé de nombreux
documents et lettres qui témoignent de son soutien et même
de son engagement total au sein de la Commune. Courbet fut en effet président
de la Fédération des artistes de Paris durant les événements
avant de participer directement aux décisions de la Commune en tant
que maire du 6e arrondissement à partir de fin avril 1871. De même
de nombreux tableaux, antérieurs ou postérieurs aux événements,
témoignent de son engagement révolutionnaire. L’exposition
s’ouvre d’ailleurs sur le portrait de Jules Vallès puis sur celui
de Proudhon que Courbet a réalisé au lendemain de la mort
du révolutionnaire. Outre le fait d’être un compatriote franc-comtois,
Proudhon était un ami du peintre. « Je me suis toujours intéressé
à la question sociale et aux idéologies qui s’y rattachent,
traçant ma voie derrière celle de mon camarade Proudhon »,
rappelle Courbet sur un des murs de l’exposition. Tout cet engagement,
Courbet le payera cher après la Commune.
Arrêté et condamné,
Courbet passera plusieurs mois en Prison avant d’être mis au ban
du monde artistique. Ses tableaux furent systématiquement interdits
de tous les grands salons et expositions des années 1870. Un artiste
a (re)découvrir de toute urgence !
La Commune au cinéma… d’hier à
aujourd’hui
Enfin, en parallèle à ces deux
expositions, l’auditorium du Musée d’Orsay projette le film de Peter
Watkins, cinéaste britannique ayant notamment réalisé
La Bombe et Punishment Park. Sa Commune de Paris 1871 a été
réalisée durant l’été 1999 dans un hangar de
Montreuil avec des comédiens non professionnels. Si ce film est
d’un premier abord déroutant, par sa longueur et son mode de réalisation,
il se révèle être au final une petite perle de diffusion
des idées et pratiques révolutionnaires, dans une très
large mesure colorée de thématiques libertaires. Voilà
peut-être pourquoi plusieurs « grands » journaux lui
ont réservé un accueil des plus froid.
Le film vise deux objectifs : réaffirmer,
à la lumière de l’expérience de la Commune, qu’un
idéal d’émancipation sociale est toujours d’actualité
et dénoncer le rôle de manipulation et d’encadrement des masses
médias dans la société. Le déroulement du film
est en effet rythmé par des flashs de la télé nationale
versaillaise et les interventions d’un et d’une reporters de la télé
communale parmi les communards et la population du 11e arrondissement de
Paris où se déroule l’ensemble de cette Histoire-fiction-improvisation
sur la Commune. Si les deux premières heures et demi restent bien
attachées à la chronologie de la Commune et à la restitution
des faits et des enjeux, les deux heures suivantes voient les acteurs s’emparer
des dialogues et du déroulement du film. En effet, au travers de
scènes de vie et de réunion dans le cadre de la Commune,
des discussions sont menées sur des thèmes comme la délégation
de pouvoir, la place des femmes et/ou des immigrés dans la société,
l’importance de l’éducation ou encore l’organisation du travail
et les possibilités offertes par les coopératives ouvrières.
Et dans toutes ces discussions et débats librement menés,
il est bien difficile de faire la différence, de cerner ce qui concerne
l’époque de la Commune ou la société actuelle.
À plus d’un siècle de différence
les enjeux semblent être les mêmes. De grands moments d’effervescence,
de réflexion et d’élaboration collectives pris sur le vif
et qui témoignent de la portée, de la nécessité
et de l’actualité d’un projet révolutionnaire fondé
sur l’égalité économique et sociale. Pour tous ceux
qui n’ont pas l’occasion de se rendre à Paris, ne loupez pas la
projection prévue sur arte le 26 mai.
D’ici là, il ne reste donc plus
qu’à se replonger dans Un si bel espoir de Michel Ragon (1) pour
vivre, notamment en compagnie de Courbet, les dernières années
du Second Empire et les événements de la Commune. Allez,
Vive la Sociale !
David. — groupe Durruti (Lyon)
* Expositions « La Commune photographiée
» et « Courbet et la Commune » jusqu’au 11 juin au Musé
d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, Paris 7e, tél : 01
40 49 48 73. Tous les jours de 10 à 18h (prolongation jusqu’à
21 h 45 le jeudi).
* La Commune de Paris 1871, un film de
Peter Watkins (5 h 45), tous les dimanches à 11 h jusqu’au 28 mai
(sauf le 7 mai). Diffusion de la version courte (4 h 30) le sur arte le
26 mai à 20 h 30.
(1) Michel Ragon, Un si bel espoir, éd.
Albin Michel, 1998, 390 pages, 135 F. Sur la Commune : Louise Michel, Mémoires
et souvenirs sur la Commune, éd. La Découverte, 85 F. Ouvrages
disponibles à la librairie du Monde libertaire (145, rue Amelot,
75011 Paris, + 10 % de port).