Progrès de la démocratie directe

Depuis des années le nombre de jours de grève annuel est au plus bas. Pour les boursicoteurs et les gouvernants, cela signifie que la gestion actuelle de l’État et des entreprises sont optimum et que tout va bien dans le meilleur des mondes des prédateurs.
Pourtant, dans le même temps, quelques coups de colère collectifs ont momentanément assombri l’horizon radieux des grands organisateurs de la mondialisation capitaliste. Si le plus marquant a sans aucun doute été le mouvement de novembre 1995, n’oublions pas l’étonnante manifestation de femmes qui l’a tout juste précédé. Incroyables furent aussi l’émergence des sans papiers à la vie sociale et politique, la révolte des chômeurs, la lutte solitaire mais solidaire des enseignants de Seine-Saint-Denis, le conflit des routiers, Vilvorde ou Michelin.
 

L’absence d’adhésion populaire au libéralisme

Chacune de ces mobilisations nous aura surpris par la vitesse de sa propagation et sa capacité à être assumée et appuyée par une grande partie de la population. Et c’est sans aucun doute ce mouvement d’adhésion et de solidarité populaire immédiate à ces luttes qui aura perturbé le plus les gouvernements successifs. En effet, la rupture de l’apparente inertie ambiante, ne serait-ce que quelques jours, brisait la légitimité des orientations politiques du pouvoir. À l’évidence et dans ces moments là, il s’avérait que l’assise sociale des dirigeants était beaucoup plus instable et précaire que ce que les statistiques quantitatives laissaient voir.

Néanmoins chacun de ces assauts revendicatifs finissait par perdre de sa puissance et disparaissait des préoccupations quotidiennes. Il suffisait au gouvernement en place de faire le dos rond, d’attendre que l’orage passe pour ensuite continuer activement les réformes qui doivent, selon eux, nous faire entrer brillamment dans la modernité. Seul Juppé a été viré, mais l’essentiel de ses « idées» ont été reprises et appliquées par la gauche plurielle.

Depuis plus de vingt ans, il y a une continuité de la politique de l’État, convergente avec celle du patronat et qui tend à créer les conditions d’une domination de classe renouvelée. Il s’agit de construire un rapport social basé sur une relation terroriste dans le sens où la précarisation institutionnelle des individus comme des salariés donne tout pouvoir à la bourgeoisie de faire et défaire notre situation économique et sociale. Nous sommes déjà à chaque instant, et dans tous les domaines, à la merci de leur volonté ou des aléas de leurs intérêts immédiats.

Cette nouvelle forme d’esclavage qui se met en place tient plus du lien relationnel pratiqué sous la féodalité que du salariat qui a prévalu durant le XIXe et XXe siècle. Ce projet est la conséquence directe d’une volonté idéologique de la bourgeoisie d’en finir avec la lutte de classes parce que cette lutte induit une action collective de la classe dominée. Pour les possédants, il est beaucoup plus pratique et juteux d’affirmer que l’ordre existant est un ordre naturel et que toute tentative de passer outre se termine dans les affres de la dictature communiste ou autre. Les anarchistes ne cessent de dénoncer les logiques capitalistes et l’encadrement étatique qui participent à la construction des violences faisant les choux gras des médias et le bonheur des tenants de la police de proximité de merde.
 

Le mouvement social a mûri

En soi, nos analyses pourraient être tenues pour insignifiantes, la démocratie représentative n’ayant pour le moment aucune raison de s’inquiéter de nos capacités militantes. Pourtant le fait que Jospin ait dû rassembler toutes les chapelles et sous-tendances de la gauche plurielle révèle une peur certaine de l’avenir.

Au fil des luttes de ces dernières années, la rupture, ancienne mais toujours latente, entre l’État et la société, a pris plus de vivacité et de réalité au fur et à mesure qu’était remise en cause l’identification de service public avec l’État. L’accroissement de la pauvreté dans une société produisant de plus en plus de richesses, comme la mise en place d’une précarité de masse, contribuent aussi à préparer les bases d’une contestation radicale de la société.

Dans le même temps, l’intégration de la gauche plurielle dans l’appareil d’État a joué comme un retardateur et un temporisateur pendant une longue période tout comme le Front national a troublé le jeu en jetant la confusion sur les causes et les responsabilités politiques du chômage. Enfin l’effondrement du communisme totalitaire a obligé le mouvement social à s’interroger sur ses références, ce qui a limité pour un temps ses capacités de résistances à la pression capitaliste et étatique. Cette période de repli mais aussi de maturation est maintenant derrière nous.

Depuis plusieurs semaines, les conflits sociaux ne cessent de se développer, les pressions de la gauche plurielle n’arrivant plus à contenir les luttes. Contrairement à la période précédente il y a une prise de conscience de la nécessité de s’organiser dans la durée pour aboutir, comme est acquise l’idée qu’il n’y a rien à attendre des politiciens. Dans différentes villes, des salariés ont brûlé collectivement leurs cartes d’électeurs devant les médias, sous les applaudissements des manifestants. Ils sont prêt à passer à la démocratie directe.

Les travailleurs ne sont pas dupes du jeu douteux des grandes confédérations syndicales. Ils sont capables de s’auto-organiser dans des coordinations, au rythme des assemblées générales souveraines et décisionnelles. La progression très nette chez les travailleurs, d’un courant de sympathie pour des syndicats à caractère révolutionnaire, tel que la CNT ou SUD, est aussi un élément important de structuration de l’imaginaire collectif.

L’heure est à la définition de mode de fonctionnement, de mandatement et d’organisation. Il est aussi à la définition d’un projet sociétaire permettant de fédérer les revendications par des propositions alternatives à la guerre individualiste imposée par le capitalisme.
Qui pourrait douter de l’avenir de l’anarchisme ?

Bernard — groupe Déjacque (Lyon)