Mots creux pour ventres vides au sommet Europe-Afrique
Réunis au Caire, le 3 et 4 avril, à
l’occasion de la première conférence Europe-Afrique, les
chefs d’Etat des 67 pays représenté ont donné le spectacle
de mots creux pour s’adresser à des ventres vides. En effet, quel
sens peuvent bien avoir « les défis du développement
durable », « l’éradication de la pauvreté »
ou « assurer la sécurité alimentaire » quand
la famine menace a nouveau de ravager l’Ethiopie et que la plupart du continent
noir n’est guère dans une situation plus favorable (Madagascar,
le Soudan ou le Mozambique sont là pour le rappeler). Le verbiage
des corrompus et des sanguinaires venus se serrer les coudes au Caire n’aura
pas d’effet sur le naufrage d’un continent que René Dumont estimait
« mal parti » dans les années 1960 est qui est à
coup sûr mal arrivé. La part de l’Afrique dans l’économie
mondiale est en constante diminution. Dans les années 60 sa part
du commerce mondial était de 6 %, elle est tombée à
2 %.
La situation est du même ordre pour
les investissement étrangers. L’Afrique n’attire que 1,5 % des 315
milliards d’Euros investis chaque année dans le monde. Par contre
la dette du continent atteint la somme vertigineuse de 350 milliards d’Euros.
Il est bien évident que jamais l’Afrique ne sera en mesure de rembourser
cette somme. Le simple remboursement des intérêts saigne des
économies faibles et augmente encore la misère pour peu qu’à
ces niveaux de dénuement cela puisse encore avoir un sens à
nos yeux d’occidentaux. La dette est l’occasion pour le FMI d’imposer ses
plans monétaristes et libéraux dont les effets directement
dévastateurs pour les populations n’ont même plus besoin d’être
soulignés. Pourtant, dans ces conditions tragiques, la revendication
africaine d’annulation de la dette est de nouveau restée sans réponse.
Les participants ont toutefois décidé
de créer une commission conjointe composée de technocrates
chargés d’élaborer un rapport sur la question qui sera examiné
à un niveau ministériel « dans un délai raisonnable
». À se tordre de rire ! À croire aussi que les milliards
de pots de vins qui ont dû être versés aux familles
des requins du Caire ont mis à sec la cagnotte européenne.
En fait l’économie a pris le pas lors de ce sommet sur les questions
humaines, révélant par là sa véritable nature
: faciliter l’entrée de l’Afrique dans la mondialisation et dans
la mafia OMC, sous la houlette du parrain Europe.
Les populations otages des grandes puissances
La place de l’Europe en Afrique est en effet
de plus en plus incertaine faces aux avancées du géant américain.
Le monde d’après la chute du communisme soviétique cherche
à retrouver de nouveaux rapports de forces qui remettent en cause
les positions acquises. Pourtant, la référence à l’histoire,
omniprésente dans cette conférence, rappelle le poids toujours
actuel d’une décolonisation mal engagée, mal menée
et finalement bien inachevée. Quand ce n’est pas le roi du Maroc
qui demande sans surprise un « plan Marshall » pour l’Afrique,
c’est le nigérian Olusegun Obasanjo qui appelle de ses vœux une
nouvelle « conférence de Berlin », en référence
à celle des puissances européennes qui, en 1885, s’étaient
mises d’accord sur le dépeçage de l’Afrique. C’est à
croire que pour certains chefs africains la colonisation a été
une bénédiction qu’ils aimeraient voir se reproduire. Qu’ils
ne s’inquiètent d’ailleurs pas trop, ce sont bien toujours les anciennes
puissances coloniales (principalement la France et le Portugal) qui tiennent
à leur emprise géopolitique sur l’Afrique. Il faut dire que
l’Afrique, pour pauvre qu’elle soit n’a jamais cessé d’être
l’objet des convoitises géopolitiques des grandes puissances.
Autrefois terrain de la guerre froide, elle
est aujourd’hui au cœur de la lutte d’influence que se livrent américain
et européens. En Asie et en Amérique latine la messe est
dite : l’Amérique règne sans partage. Aux européens
reste l’Afrique pour se donner l’impression d’être une puissance
qui compte. La partie n’est pas gagnée pour ces derniers mais elle
est déjà perdue pour les populations qui sont les otages
de ces tractations et rapports de forces.
L’Europe pose ses pions en espérant
pouvoir en pousser quelques uns. L’Afrique essaye de grappiller quelques
miettes laissées de côté par un prédateur ou
un autre. Finalement, dans ce jeu de pouvoir sans pitié, Le Caire
n’aura été qu’une réunion de famille. En regardant
la photo souvenir, Abdou Diouf le Sénégalais battu aux élections,
pourra se rappeler le bon temps en contemplant Mohammed 6 qui fait sont
entrée et Kadhafi revenu après une mise au placard de quelques
années. Il risque de bien rigoler s’il relit la « déclaration
du Caire » et ses promesses pompeuses sur le « développement
durable », à moins que les peuples que lui et ses amis oppriment
ne leur aient fait passer le goût de la plaisanterie.
Frank Gombaud (Rennes)