Quatre films, quatre pays, quatre façons
de rendre compte du réel : ma première est iranienne, infirmière,
candidate aux élections municipales. Elle donne son nom au film
d’Ebrahim Mokhtari Zinat, une journée particulière.
Autour d’elle s’agitent ses enfants, ses supporters, ses détracteurs,
alors qu’elle fait à manger, prend la tension d’un vieux, prépare
une piqûre. Ebrahim Mokhtari la filme quand elle vaque à ses
préoccupations quotidiennes, même le jour des élections.
Elle lutte contre l’ignorance en matière d’hygiène élémentaire,
plaide la cause de l’eau potable, ne s’offusque de rien. Elle sait que
sa détermination est venue à bout de bien d’autres épreuves.
Seule au village à ne plus porter le ghorbeh, véritable ceinture
de chasteté du regard et de la bouche, elle travaille, un point,
c’est tout. Elle sera élue, maire.
Zinat
Deux : Lao tou de la chinoise Yang Li Na regarde d’un œil attendri
des vieux adossés à un mur ou sur des chaises au soleil…
des vieux dans un quartier de Pékin, que seuls les repas font bouger.
Les repas, la maladie ou la mort. La réalisatrice ne pose pas de
questions, surprend plutôt des conversations. Sa caméra enregistre
la course éperdue d’un chinois très âgé qui
exprime ainsi sa joie de voir revenir un ami qu’il croyait disparu. Yang
Li Na capte les saisons, les postures, leurs impatiences. Seuls les disputes
font apparaître l’autre sexe. Dehors, on est entre hommes.
Trois. En Afrique, entre Yaoundé et
son village, c’est Jean Marie Teno qui filme, pose les questions, donne
ses commentaires, car dans Vacances au pays, il refait les 30 km qui séparent
le village de la capitale, ce chemin qu’il a parcouru, il y a 30 ans, dans
le sens contraire. Jean-Marie Teno caresse son Afrique à rebrousse
poil car d’après lui, elle a perdu son âme. Son commentaire
raille et interpelle ses compatriotes. Vacances au pays montre que seuls
les vieux analysent lucidement le côté désastreux du
progrès matérialisé par des T-shirts et d’autres gadgets.
L’événement le plus drôle ou le plus tragique est sûrement
un match de foot que les joueurs ne veulent plus jouer, car leur terrain,
par manque d’entretien, est redevenu la brousse.
Quatre : Rithy Panh montre comment le progrès
matérialisé par du travail pour des milliers de Cambodgiens
d’un côté se mue en gigantesque machine à déplacer
des populations, donc d’appauvrir encore les pauvres. La terre des âmes
errantes, montre des paysans sans terre, des soldats démobilisés
qui creusent la tranchée (où logera à un mètre
sous terre le câble de fibres optiques que Alcatel installe au Cambodge).
De temps en temps ils déterrent une mine, qu’ils désamorcent,
qu’ils entassent en bord de route. Puis ils découvrent des ossements,
se croient possédés par ces âmes sans sépulture,
condamnés à errer comme elles. Le film de Rithy Panh montre
comment des familles avec plusieurs petits enfants travaillent sur le tracé
qui parcourt le pays en entier, de la Thaïlande jusqu’au Vietnam.
On s’attache aux familles, suit leur lutte incessante pour survivre. Et
malgré tout, la vie continue, un enfant naît. Quatre films,
quatre pays, quatre mondes. Ou est passé le cinéma ? Il n’y
en a pas, ce sont des films documentaires avec leur vérité
singulière.