Libéralisme et prostitution
Contre le commerce des corps
Le corps des femmes n’est pas à vendre,
pourtant il est bien souvent acheté. La prostitution est vieille
comme nos sociétés et a encore de beaux jours devant elle,
surtout si l’on regarde les changements qui se sont produits ces dernières
années. Depuis la fin des années 80, les formes de prostitution
ont évolué : beaucoup travaillent dans des salons de massages,
des saunas, tandis qu’ont explosé les minitels et les téléphones
roses. Pour l’exemple, une société de téléphone
rose sur Lyon reçoit environ 4 000 appels par semaine. Mais si les
lieux changent, les prostituées aussi. Des réseaux se forment,
passant par les anciens pays de l’Est et aboutissant principalement en
Allemagne, aux Pays-Bas, en Autriche. Les jeunes filles arrivent munies
de faux papiers en pensant trouver un emploi. Elles se retrouvent en appartement
à recevoir des clients 12 heures par jour, sans papiers et sans
argent. Si elles se font arrêter, au mieux, elles sont renvoyées
chez elles avec interdiction de séjourner en Europe.
Le droit de se vendre
Face à cette situation, les dispositifs
qu’ont mis en place les différents États européens
semblent bien faibles. Mais ce qui semble bien faible surtout, c’est leur
volonté de lutter contre l’asservissement sexuel des femmes. Dans
plusieurs pays, l’Allemagne et les Pays-Bas, la prostitution est légalisée.
La législation pousse alors à son paroxysme la logique libérale
: tout est à vendre, le droit à la santé, au logement,
bientôt l’éducation… Alors pourquoi pas la sexualité
? En Hollande, seule la « prostitution forcée » est
interdite. Le proxénétisme est autorisé sous le doux
nom de « managers ou intermédiaires », et la prostituée
rebaptisée « professionnelle de la sexualité »
(les épouses étant sans doute considérées comme
des amatrices).

La prostitution forcée se distingue
de la prostitution simple dans sa définition car elle s’accompagne
de contraintes (viols, coups, chantages) tandis que l’autre découle
d’un choix de la personne. La liberté sexuelle est détournée
de son sens premier, au profit d’une marchandisation des corps. Dans cette
logique, il faut défendre le droit de la personne à se prostituer
librement, c’est-à-dire en gros, sans avoir un fusil sur la tempe,
à avoir un mac qui la défend et des clients qui la paient.
Les rapports de domination qui accompagnent cette situation sont zappés,
il ne reste que l’aspect lucratif. Non, vraiment, on se fout de la gueule
du monde et surtout de celle des femmes. Ces lois sont de nature complètement
inhumaines et privilégient l’argent et la consommation au respect
de l’individu. Certainement, à un moment, la personne doit choisir
entre la peste et le choléra. Peut-on parler de libre choix quand
beaucoup de prostituées sont toxicomanes, pour pouvoir tenir le
coup, et ont besoin de ces rentrées d’argent rapides ? Peut-on parler
de libre choix quand depuis l’enfance on apprend aux femmes la soumission
aux désirs masculins ? Et où se trouve la différence
dans les violences que les prostituées subissent régulièrement,
par le seul fait qu’elles soient prostituées ? Et qui ira donc voir
la différence entre une prostituée forcée et une autre
? La justice ?
Des lois pour faire beau ?
Depuis dix ans aussi, les peines à
l’encontre des proxénètes et des trafiquants de femmes sont
en diminution. Les lois ne sont pas là pour être appliquées
et les moyens ne sont pas mis en place. En France, les peines ont diminué
de moitié en moins de dix ans. En Hollande, le trafic de personnes
est deux fois moins puni que le trafic de drogues dures, quand l’histoire
ne finit pas par un non-lieu. Alors, bien sûr, on nous sort encore
une grosse histoire de temps en temps, on fait appeler De Niro comme témoin
pour faire croire à une lutte active, mais le dessous des cartes
est bien moins rutilant. En 1995, à Pékin, à un niveau
international, le terme « forcée » a été
rajouté à prostitution. De même, le tourisme sexuel
est autorisé si le crime reproché n’est pas punissable dans
le pays où a lieu l’acte. Alors du moment qu’il a les moyens de
se payer le billet d’avion, le client est roi.
Ces États partent du principe que la
prostitution est une réalité et qu’on peut seulement limiter
son « expansion ». Au vu de la misère économique
qui se développe, ce vœu pieu semble illusoire, mais c’est surtout
ce constat de départ qui fait frémir. La prostitution a beau
être ancienne, elle n’est pas universelle, et il y a des sociétés
qui ne la connaissent pas, comme elles ne connaissent pas le viol. Quant
à ceux qui pensent que la légalisation limiterait les abus,
l’exemple français à l’époque des maisons closes est
là pour prouver le contraire, car cela n’empêcha ni les problèmes
d’hygiène publique et de sécurité, ni les filières
clandestines.
Le corps des femmes n’est pas un objet
La prostitution est liée à la
misère sexuelle. S’il n’y avait pas de clients, il n’y aurait pas
de prostituées. Le fait de la légiférer ne résout
pas ce problème. Le viol n’a pas diminué en Allemagne, et
la prolifération d’eros center et de salons de massage n’entraîne
pas une diminution des violences sexuelles dans l’espace public, voire
au contraire. Quand on réussit à parler à des clients,
ce qui n’est pas évident, on s’aperçoit que ceux-ci vont
voir des prostituées pour des actes qu’ils n’osent pas demander
à leur épouse ou compagne. On s’aperçoit aussi que
beaucoup de clients vont voir des transsexuels, des transgenders, ce qui
interroge sur le refoulement de l’homosexualité. Payer intervient
peut-être alors comme un facteur de déculpabilisation, puisque
l’autre devient redevable. L’argent place l’homme, car les clients sont
des hommes pour l’immense majorité, en situation de dominant. Il
peut exiger, puisqu’il paie. La femme est l’objet consommé, et tant
que cette image aura cours, la prostitution ne pourra pas disparaître.
Ces nouveaux textes qui veulent placer la
prostitution sous la responsabilité de celles qui l’exercent en
plaçant la distinction entre « forcée » ou non
visent surtout à ouvrir de nouveaux marchés. En autorisant
ainsi le commerce des corps et de la sexualité, de nouvelles perspectives
se profilent à l’horizon des entrepreneurs. On ne peut pas parler
du libre choix à se faire exploiter. Nous sommes nombreux à
aller nous faire exploiter au travail sans être sous des menaces
physiques, cela n’enlève rien au caractère coercitif du travail
salarié en société capitaliste. S’il n’y avait pas
les contraintes économiques, il y aurait sans doute moins d’individus
qui vendraient des parties de leur corps et des « services »
sexuels. Surtout, tant que les femmes seront considérées
seulement comme des corps et non comme des individus à part entière,
tant que chacun, chacune, ne pourra pas vivre sa sexualité sans
contrainte, on ne pourra pas venir à bout de la prostitution.
Gaëlle. — groupe Durruti (Lyon)