Les activités antimilitaristes des
anarchistes moscovites
Une énorme propagande antiterroriste
n’est pas parvenue à déclencher un consensus parmi la population
russe sur la nécessité d’un « nettoyage » ethnique
en Tchétchénie. Mais elle a en fait rassemblé une
large majorité, le fort sentiment antimilitariste qui avait prévalu
au cours de la première guerre en Tchétchénie ayant
disparu comme jamais auparavant.
La guerre en image
Un changement radical de l’opinion publique
russe montre que la rhétorique antiterroriste est l’un des meilleurs
outils de la classe dirigeante. Un autre outil tout aussi important a été
la banalisation de la situation et peu nombreux sont ceux à avoir
de la famille sur le front et encore moins nombreux à avoir des
morts ou des blessés. La guerre n’est qu’un show télévisé
éloigné : au lieu d’être considérée comme
une stupidité humaine, elle tend à démontrer au peuple
que la Russie a enfin un leader fort.
Poutine a réussi à créer
un état d’esprit à la Orwell où « la guerre
est synonyme de paix et la paix synonyme de guerre », « la
vérité est le mensonge et le mensonge est la vérité
». Les moscovites peuvent s’apercevoir de ce changement du fait d’immenses
panneaux sur les autoroutes qui leur rappellent les numéros de téléphone
de la police et du F.S.B. (ex-K.G.B.) qui sont une véritable machine
à diffuser la propagande et que les anarchistes ont pris pour cible
en organisant plusieurs actions. Comme celle du 19 mars, où les
membres du comité contre la guerre composé de différentes
O.N.G. et d’anarchistes ont brandi une « bombe de la paix »
de 2,50 mètres de haut décorée de slogans orwelliens.
Cette bombe a dénoncé Poutine comme voulant se faire passer
pour la seule alternative au terrorisme.

D’autres ont aussi attaqué les principaux
médias au cours d’une manifestation organisée par «
Soyouz 2000 » et « nouvelle gauche » qui appelait au
boycott des élections. Des équipes de télévision
y ont été la cible des manifestants. Aucune voix dans les
médias ne s’élevait contre la guerre avant que le reporter
Andreï Babitsky ne fut enlevé. Ce n’est que lorsque l’ont apprit
que les responsables russes étaient à l’origine de son enlèvement
et des tortures qu’il avait subies qu’un groupe de journalistes réagit
et édita un article dénonçant l’affaire et la censure
dont ils étaient victimes dans l’exercice de leur profession.
De nombreux groupes ont organisé des
actions contre la guerre (anarchistes, antifascistes, trotskistes…) dans
toute la Russie. Si des groupes staliniens se sont opposés à
la guerre, ils n’ont organisé aucune manifestation. Les mères
de soldats ont été quasiment absentes des rues de Moscou,
peut-être parce qu’elles étaient démoralisées
et n’étaient pas soutenues par l’opinion publique. Cependant elles
fournissent de l’aide aux conscrits et diffusent les nouvelles du front.
Elles ont aussi organisé des manifestations régulières
à Saint-Pétersbourg ; certains observateurs ont rapporté
l’hostilité du public.
Résistance anti-guerre à Moscou
Depuis le début de cette année,
les anarchistes ont organisé sept manifestations contre la guerre
à Moscou avec un maximum de 110 participants. Ces manifestations
comprenaient une coalition qui réunissait : le mouvement anarchiste
contre la guerre, Dikobraz, Kaz et le journal « Utopia » ;
les membres des autres groupes anarchistes y ont participé en tant
qu’individuels. Pour exiger l’arrêt de l’état de terreur en
Tchétchénie, les anarchistes ont brandi des pancartes relatives
au climat politique ambiant : « À bas l’État policier
» ou « Staline est mort, Poutine vit ! ». Avant les élections,
les anarchistes ont manifesté en brandissant des urnes représentant
des cercueils et en soulignant le fait que la guerre faisait partie intégrante
des programmes électoraux.
Des participants opportunistes du comité
contre la guerre, à savoir l’Association Radicale Antimilitariste
s’est servie des activités du comité comme d’une plate-forme
pour promouvoir le candidat social-démocrate Grigori Yavlitsky,
défenseur de la libre entreprise, une stratégie qui va à
l’encontre des principes du comité. Ce fut évidemment une
grande déception pour les anarchistes membres du comité et
cela pose la question de savoir si une telle coopération peut continuer.
La police n’a que faiblement perturbé les manifestations, mais deux
personnes qui diffusaient des tracts anti-Poutine ont été
arrêtées pour diffusion de matériel anticonstitutionnel
et la police a menacé d’arrêter les vendeurs du journal anarchiste
« Autonom ». À Nizhmi Novgorod, quelques anarchistes
ont été arrêtés pour avoir diffusé de
la propagande contre les élections le jour même où
celles-ci avaient lieu. Une répression plus importante n’a pas été
nécessaire du fait du large soutien populaire à Poutine,
mais cette répression à petite échelle présuppose
peut-être une plus grande dans les jours et mois à venir.
Différentes initiatives contre les
élections
Les trotskistes, ainsi que la nouvelle gauche
ont rassemblé quelque vingt personnes samedi 12 mars et les membres
de cette nouvelle gauche ont appelé au boycott des élections
au cours des manifestations des 11, 12 et 18 mars. Le boycott des élections
a été soutenu par les anarchistes, y compris Dikobraz. D’autres
anarchistes ont proposé « un vote contre tout », ce
qui malheureusement fut également proposé par le principal
parti nazi russe (R.N.E.) en faveur de l’unité nationale russe.
Les anarchistes ont donné un avant-goût
des célébrations du 1er mai, en organisant la manifestation
du « 1er avril » pour « soutenir Poutine » : les
slogans exigeaient que Poutine soit nommé Tsar, qu’il fasse des
garçons (puisqu’il a deux filles) et que l’État policier
soit le bien venu. Il y avait des drapeaux oranges et noirs avec un drapeau
rouge et des ballons blancs. Maintenant les anarchistes vont souffler
quelque temps avant de faire du 1er mai un grand jour d’action où
ils replaceront la guerre dans son contexte en la dénonçant
comme partie intégrante du système capitaliste mondial.
Actions à l’extérieur de Moscou
À Saint-Pétersbourg, des initiatives
anarchistes, antifascistes, trotskistes ont été lancées
par le biais d’un festival musical contre la guerre et d’une manifestation
le 27 février. Des piquets ont été mis en place chaque
samedi par le comité contre la guerre et chaque vendredi par les
mères de soldats. Dans les plus petites villes comme Novgorod, il
n’y a eu qu’un faible taux de participation. Certains groupes apportent
une aide juridique aux conscrits et déserteurs. D’ailleurs, en janvier,
deux membres d’un groupe ont été condamnés à
dix jours de prison pour avoir violé la loi. En Sibérie,
fortement conservatrice, les flics n’épargnent pas les militants
en les harcelant du mieux qu’ils peuvent. En prison, des militants ont
entamé une grève de la faim afin de protester contre les
peines qu’ont leur avait infligées ; quatre jours plus tard, ils
étaient libérés. Dimitri Neverovsky, un objecteur
d’Obninsk (région de Kaluga), a été condamné
à deux ans de prison le 25 novembre 99. Dans cette région,
de nombreux conscrits ont refusé de partir à la guerre. Neverovsky
est un militant antimilitariste et sa mère fait partie du conseil
municipal. Il a été arrêté pour faire figure
d’exemple et d’avertissement. Il a été d’ailleurs frappé
par ses geôliers au moins une fois.
Groupe anarchiste Dikobraz (Moscou)
Mail : dikobrazi@lists.tao.ca
Traduit de l’anglais par Michelle (aidée
de Erick)