Quand il se rend a Beyrouth en septembre
1982 sur une invitation de Leila Shahid, aujourd’hui Déléguée
générale de la Palestine à Paris, Genet se sait atteint
d’un cancer à la gorge. Il visite le camp de Chatila au lendemain
du massacre. L’horreur de ce qu’il voit, l’envie de témoigner fondent
son texte « Quatre jours à Chatila » publié à
l’époque dans la Revue des Études Palestiniennes. «
Un captif amoureux » (1) sera son livre consacré aux Palestiniens.
Il y travaillera jusqu’à sa mort, écoutant le Requiem de
Mozart. Richard Dindo ouvre et clôt son film « Genet à
Chatila » en montrant la tombe de Genet, avant de nous emmener sur
les lieux du massacre, rencontrer les survivants. Il fait lire des passages
du livre de Genet à une jeune femme qui établira le dialogue
entre les vivants, l’écrivain disparu et leurs morts. « Le
ciel, comme seul lieu commun », la terre comme seul lieu pour «
vaincre, mourir ou trahir. » Le documentaire de Dindo se saisit du
défi formulé par l’écrivain : « il y a des choses
qu’on a vues qu’on ne pourra jamais dire avec des mots ». Ainsi se
trouve au centre du film une scène d’une violence extrême.
Richard Dindo montre une bande vidéo du massacre aux survivants
du camp : « Ils avaient su que j’avais une bande vidéo avec
moi. Ils voulaient voir leurs morts. Ils n’avaient jamais vu les images
filmées de leurs morts. Un responsable politique qui nous a accompagné
à travers le camp me l’avait dit. Car il fallait travailler avec
les responsables politiques pour avoir les autorisations… J’ai donc organisé
une projection. D’une part pour montrer a mon spectateur les images des
morts, ces images terribles, mais aussi pour les montrer aux autres afin
de nous confronter tous avec cette terrible réalité montrée
par les images. Parce que les gens ont besoin d’images pour croire…
Moi, je crois beaucoup à la force de
l’image document qui nous prouve même l’inimaginable. Et c’est pourquoi
je leur ai montré ces images. Ils ont pleuré quand ils ont
vu leurs morts. Par exemple, cette femme en rouge qui avait perdu sa petite
sœur.
Elle a pleuré en voyant comment on
les a enterrés. Ça m’a donné l’idée d’aller
filmer aussi le cimetière qui n’est pas un cimetière et dont
ils souffrent. Car les garçons qui jouent au foot sur le sable,
ce ne sont pas des Palestiniens. Ce sont des Syriens. Jamais les Palestiniens
ne joueraient au foot sur les corps de leurs morts. C’est doublement douloureux
pour eux : vivre dans ce camp où sont enterrés leurs morts
et regarder comment des Syriens, des étrangers, des occupants jouent
au foot sur leurs cadavres, c’est inimaginable. C’est une des douleurs
immenses de ce peuple de Palestine : ils n’ont pas de cimetière,
ils ne peuvent pas vivre avec leurs morts et ils ont perdu leur patrie.
Chatila, c’est en même temps le
réel et sa métaphore, ça renvoie toujours à
ce qu’on peut montrer et à ce qu’on ne peut pas montrer. Le massacre
de Chatila, ce n’est pas seulement un massacre, c’est aussi une métaphore
de la volonté de détruire le peuple palestinien. Tous les
massacres dans le monde ont toujours eu le même but : faire comprendre
à des minorités : “vous devez partir d’ici”. Les Israéliens
sont entrés au Liban parce qu’ils voulaient en chasser tous les
Palestiniens… Les massacres de Sabra et Chatila étaient préparés
en accord avec les Israéliens.
Il est même probable qu’ils aient participé
aux massacres. Je n’ai pas osé le dire parce qu’il n’y avait pas
de preuves. Mais les Palestiniens me l’ont dit. Officiellement c’étaient
les milices chrétiens du Sud, mercenaires d’Israël et les phalangistes
de Beyrouth. En tous cas, ils ont agi en accord avec les Israéliens…
Et c’est pourquoi j’ai toujours cru à la force des images comme
une preuve de réalité. »