La lutte des étudiants sans-papiers de Toulouse

L’université s’accommode du racisme d’État

Le 29 mars 2000, la présidence de l’Université Toulouse le Mirail faisait appel aux CRS pour mettre fin à l’action du Collectif des étudiants sans-papiers. Depuis 5 heures, ceux-ci retenaient dans la salle du conseil trois Inspecteurs Généraux de l’Administration de l’Éducation nationale. Cette action s’inscrit dans une lutte menée depuis plusieurs semaines dans un silence assez assourdissant. Elle s’apparente aux luttes menées par les collectifs de l’Université de Lille III (IEP) et de Paris VIII. Les trois collectifs sont d’ailleurs en contact pour coordonner leurs actions. La réponse répressive des présidents ou directeurs d’établissements de l’enseignement supérieur est un autre trait commun des actions de Toulouse, Lille et Paris. Dans les trois cas, ces autorités ont choisi de criminaliser l’action d’étudiants qui ne visaient qu’à défendre des valeurs ­ le droit d’étudier pour tous, la diffusion de la culture et des savoirs ­ qui sont au principe de l’université en France. (Comme, il est vrai, la liberté, l’égalité et la fraternité sont au principe de l’École républicaine, c’est-à-dire que des principes aux faits, il y a un abîme).

Faire entrer les CRS au sein des établissements universitaires n’a guère dû se produire en France depuis 1968. D’ailleurs, même aux heures les plus chaudes de mai, le président de l’Université de Toulouse le Mirail n’avait pas voulu appeler les CRS. Les faits invoqués par les directeurs d’établissements pour réprimer l’action des collectifs n’ayant aucun caractère tragique, d’urgence absolue, de mise en péril de quoi que ce soit, on peut se demander pourquoi ces mesures exceptionnelles. La première raison sans doute tient à la banalisation de plus en plus grande de l’intervention des CRS pour « régler » des mouvements sociaux. On n’imagine pas que les présidents des Universités de Toulouse 2, Lille III ou Paris VIII se sont passés le mot ou qu’ils ont reçu des consignes de fermeté de la part du ministère de l’intérieur. Mais on comprend très bien que n’importe quel chef d’entreprise ou responsable d’institution se sente aujourd’hui autorisé à commander sa petite intervention républicainement musclée. Les autres le font, pourquoi pas moi ?

La seconde raison tient à la totale dépolitisation, à la perte de conscience morale de ce corps professionnel des enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur. Voilà maintenant six mois que le Collectif de Toulouse a commencé ses actions : manifestations en ville, devant ou dans la Préfecture, délégations, occupation du siège départemental du Parti socialiste (tiens, ils n’ont pas encore changé de nom ? !), actions de sensibilisation sur le Campus. L’implication des profs est nulle, leur absence aux AG flagrante. Autrefois repère de marxistes, l’Université cultive désormais le relativisme moral : effectivement, cette histoire de sans-papiers est bien gênante, mais l’ouverture des frontières, le respect de la loi républicaine, la nécessité de distinguer les cas, de ne pas faire d’amalgames, tout cela est bien compliqué. (Avec ce petit air de supériorité du mandarin à l’étudiant : vous verrez (quand vous saurez), les choses ne sont pas si simples.) Il ne faut pas pousser beaucoup tel prof qui déclare son soutien à la cause des sans-papiers pour qu’il vous assène qu’« on ne peut tout de même pas accueillir toute la misère du monde » (sic).

Quelques jours avant de faire appel aux CRS, le président de l’Université Toulouse le Mirail manifestait officiellement son soutien au Collectif. Mais, comme il l’indiquait par la suite, « le campus ne peut devenir le sanctuaire de l’impunité » (on aura reconnu la rhétorique citoyenne). Un certain nombre de membres de la présidence le proclamaient également avec emphase : il y a une loi, c’est la loi républicaine et l’on ne peut agir que dans le cadre de la loi républicaine… On imagine très bien ces individus faisant appliquer n’importe quelle loi pourvu qu’elle soit labellisée « républicaine ».

C’est donc sous la pression de l’indifférence que le Collectif radicalise ses actions. Une semaine après l’intervention des CRS (qui, filmés par des étudiants et encadrés d’enseignants ont dû se limiter aux classiques déclarations d’affection aux « bicots » et aux « chevelus »), le Collectif organisait une soirée de soutien aux étudiants sans-papiers sur le campus. Depuis le 6 avril, une trentaine d’étudiants occupent un amphi, de nuit comme de jour. Face à cette occupation, la présidence de l’Université montre son vrai visage et dénonce maintenant clairement les actions menées, rejette le Collectif pour ne plus dialoguer qu’avec les représentants de syndicats étudiants.

Le Collectif est constitué d’étudiants sans-papiers (cinq), d’étudiants non syndiqués, de quelques JRE (Jeunes contre le racisme en Europe, mouvement trotskiste au niveau national mais, paraît-il, autonome sur Toulouse), de SCALP et de membres des syndicats SUD-Etudiant et AGET-SE. Si les SUD sont connus, l’AGET-SE l’est peut-être moins puisque ce syndicat est issu d’une scission récente avec l’AGET-UNEF dès lors que ces derniers se sont rapprochés de l’UNEF-ID, ont abandonné la référence au syndicalisme de lutte et ont accepté le plan Allègre dit U3M. Alors que des élections de représentants étudiants ont lieu, les étudiants de l’AGET-SE affichent : « si nous ne faisons pas de campagne électorale (iste) c’est que notre conception du syndicalisme nous fait privilégier les luttes actuelles aux élections ».

Présents au tout début du Collectif, les étudiants de l’UNEF-ID se sont rapidement fait sortir à la fois pour des raisons de forme de l’action (manifester son soutien oui mais sans déranger et en faisant confiance aux institutions démocratiques) et de fond (difficile de parler de racisme d’État à un membre des JS).

Que demande ce collectif ? Bien peu de choses à vrai dire, mais à l’heure des lois Chevènement, du racisme d’État qui contraint des milliers de personnes à vivre dans la clandestinité, qui entrevoit dans tout étranger non-européen un terroriste islamiste, un sauvageon ou un représentant de « toute la misère du monde », il semble que ce soit un privilège extraordinaire : le droit d’étudier sans se cacher et, pour ce faire, une carte de séjour d’un validité suffisante. En l’an 2000, cette nouvelle ère dont on nous a rabattu les oreilles, il faut se battre, se confronter aux CRS, occuper un amphi, y dormir, y manger, pour avoir l’insigne privilège de se rendre régulièrement à des cours, entendre disserter sur l’esprit critique, l’héritage des Lumières, le progrès social, le sens de la liberté… sans risquer de se faire arrêter !

François. — groupe Albert-Camus (Toulouse)