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La Rebellion de l’armée prend sa source dans la pourriture des cadres de l’État moderne

une réforme des institutions ne suffira pas, seule une refonte complète de la société, la suppression de l’armée et la promotion du monde ouvrier mettront fin au danger fasciste
mai 1961.

Tout a commencé le 13 mai. Une armée pourrie par des mercenaires prêts à hisser sur le bouclier les chefs de bande les plus doués pour les conduire aux rapines. Des politiciens roublards, véreux, lâches, une population affalée dans ce qu’elle considérait comme un bonheur relatif. Une classe ouvrière distribuée entre des partis qui se nourrissaient d’un verbalisme de sous-préfecture, tel est le contexte dans lequel l’aventure devait s’inscrire.



Nous vous ferons grâce d’un rappel historique d’événements que vous avez vécu comme nous. Il nous suffit de feuilleter l’histoire pour retrouver aux périodes de décadence des civilisations, ce climat de Bas-Empire qui annonce Byzance, l’Italie de la fin du Moyen-Âge, les soubresauts de l’empire Ottoman.

Le 13 mai, les janissaires avaient élu un roi. Le « 14 mai », c’est-à-dire deux ans et demi après, comme ces grenades qui au soleil d’Afrique murissent et déchirent brusquement l’écorce qui les enserrent, les mythes éculés, de la patrie, d’honneur militaire, de discipline, se sont déchirés laissant apparaitre le visage le plus repoussant du fascisme : celui des chefs de bande, des aventuriers, des prébandiers. Ce fut d’abord la stupeur. L’armée, la haute administration, la police, les corps vénérables de l’État, tout ce qu’on vous ordonne d’admirer, tout ce qu’on vous défend de discuter, tout ce que l’État chamarre d’hochets ridicules, se liquéfiait, se désagrégeait, passait à la dissidence ou pire encore et soulignant mieux la décadence, s’effaçait, disparaissait, attendant tapi dans l’ombre le jugment des combats pour se précipiter dans les bras du vainqueur avec la frénésie d’une catin que le « Jules » pousse sur le devant de la porte.

Et bien sur, cela n’est pas nouveau : au moment où du ciel d’orage une pluie de centurions risquait de crever, à l’appel angoissé de Debré, vous savez, ce Debré qui, quelques jours auparavant interdisait aux patrons d’augmenter les salaires, nous avons couru dans la nuit pour rassembler les hommes de cœur. Nous avons réclamé des armes, car la naïveté du peuple n’a d’égale que la canaillerie des hauts dignitaires, félons ou pleutres, nous avons jeté dans la balance le poids d’un monde du travail qui, dans les circonstances graves, conserve encore de « beaux restes ».

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Dans cette bataille, notre Fédération anarchiste fut constamment pésente. Dès le premier jour de l’insurrection militaire, elle envoyait à la presse le communiqué que nous publions ci-après. Elle prenait les liaisons nécessaires avec les organisations syndicales, elle reconstituait autour d’elle le Comité de coordination, les organisations syndicalistes et libertaires, elle préparait une proclamation situant les responsabilités et appelant à la lutte pour la défense des libertés essentielles. Des permanences étaient ouvertes, une liaison avec nos camarades qui ayant une responsabilité syndicale restaient à leur poste, était assurée. Nous pouvons dire très tranquillement que dans le désarroi et la panique qui s’étaient emparés des esprits, les militants de notre Fédération, qu’entouraient un certain nombre de syndicalistes révolutionnaires et de militants de l’émigration antifasciste qui a trouvé sur notre sol un refuge, ont constitué une force certes réduite, mais des plus sure et des plus solidement organisée du monde du travail.

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À Alger, la rébellion des généraux marquait le pas. Le pouvoir en la personne du général de Gaulle s’était enfin décidé à donner aux soldats du contingent l’ordre de désobéir que nous réclamions ici depuis le début de l’aventure militaire et qui, dès le treize mai, en isolant des officiers factieux le gros de l’armée issue du peuple, aurait rapidement mis fin aux espoirs nourris par les Bidault, les Soustelle, les Morice, et réduit l’aventure fasciste à des proportions négligeables. Ces hésitations du pouvoir nous les comprenons bien sur. Car cet ordre qui enfin a été donné, c’est le premier coup sérieux porté à la discipline imbécile sur laquelle depuis la révolution française sont bâties les armées permanentes. C’est l’aveu implicite que le militaire sous les drapeaux reste une conscience. Ce droit du refus reconnu, proclamé, encouragé, c’est le démantèlement d’une machine odieuse, inhumaine, contre nature.

Nous n’avons jamais dit autre chose ! Et c’est pour l’avoir crié que notre journal a été inculpé à trois reprises. En vérité, le seul reproche qu’à la lueur des événements le juge d’instruction soit en droit de nous faire, c’est d’avoir sous-estimé la pourriture qui avait gagné le coprs des officiers de l’armée d’Algérie.

Et, constatons-le, les proclamations qui ont suivi l’effondrement de la rébellion, par le porte-parole du gouvernement, qui se sont étendus sur l’armée « resté loyale », ont passé rapidement sur l’attitude du contingent ! Comme on les comprend ! « Crosses en l’air et rompons les rangs » résonne désagréablement aux oreilles des vainqueurs, partisans de la vieille armée archaïque et désuète qui viennent de l’emporter sur ceux qui avaient trop lu Mao Tsé-Toung.

Et cette volonté du contingent, comme la détermination de la population du pays ont été les facteurs psychologiques qui ont, nous ne dirons pas maintenu, mais ramené dans le devoir la grosse majorité des cadres qui aux premières heures avaient cédé à la tentation de la dissidence.

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La rébellion militaire est écrasée, Challe est à la Santé, Salan, Zeller, Jouhaud sont en fuite ! Le gouvernement s’apprête à sévir. Et déjà le caractère des « petits bonhommes » qui passent pour de grands chefs se révèle sans véritable grandeur. (Gouraud qui fait dire qu’il est resté fidèle donne le ton !) Vous verrez que cette canaille fera école. Tous auront joué le double jeu, pour mieux tromper l’adversaire. Mais laissons-les régler ensemble leurs comptes avec ceux du gouvernement, ils sont comme ces familles turbulentes que des intérêts d’héritages opposent, mais qui savent bien recosntituer le clan lorsqu’il faut faire face à un danger tribal.

La première leçon qui se dégage de ce pronunciamento, c’est le caractère néfaste de cette guerre qui porte en elle-même tous les germes de pourrissement. Toutes les guerres portent en elles des relents de dictature. Mais celle-là plus particulièrement que les autres donne à ceux qui la font mauvaise conscience, car ils combattent chez l’adversaire un nationalisme qui est leur raison d’exister. Et seule la torture, la trique, le fracas parviennet à faire parler plus haut leur mythe. Si l’on veut que de telles aventures ne se renouvellent plus, il faut mettre fin à cette guerre.

Une seconde leçon se dégage qui pose nettement le problème de l’armée dans la société moderne, de sa discipline, des castes qui la dominent. Il faut le dire : l’armée aujourd’hui ne joue d’autre rôle dans la nation, que celui de force de police. Les techniques de destruction sont devenues telles que les petites guerres ne sont plus possibles qu’avec le consentement des « grands » et le monde étant divisé en deux blocs étroitement délimités, il ne reste plus guère d’espace pour que le sous-off’ de carrière conserve encore une chance de gagner ses galons d’adjudant-chef, presque officier (sic). Dans le pays, l’armée est inutile ! Il faut la supprimer. Même la bourgeoisie n’a plus d’intérêt à conserver une institution qui ne lui ouvre plus qu’une carrière déconsidérée et qui est allègrement en route pour s’aligner sur celle de Haïti ou de Saint-Dominique.

La troisième leçon s’adresse au peuple. Un fois de plus, on a fait appel à lui alors qu’il était lancé dans la bataille des salaires. Une fois de plus, le peuple a mis à l’écart ses intérêts particuliers pour se mêler à la querelle de ceux qui se disputent l’avantage de l’exploiter. Dans l’aventure, il perd plus encore, car le gouvernement en sort armé de pouvoirs étendus destinés à servir contre les généraux félons, mais qui, au cas échéant, pourraient bien, s’il n’y prend garde, se retourner contre lui-même.

La rébellion est écrasée, c’est bien ! Il faut maintenant rétablir les libertés, toutes les libertés, en octroyer d’autres puiqu’il s’avère qu’en dernier ressort, seul le peuple peut faire barrage, soit dans les casernes, soit dans les usines. Et tant qu’il existera des bandes factieuses, il faut laisser le peuple s’armer pour leur faire face.

Il faut également que le citoyen, rempart suprême de la société, partage équitablement et d’une façon égalitaire tous les revenus et toutes les ressources de la nation.

Oui, nous savons bien qu’aucun gouvernement ne donnera au peuple ce que nous réclamons pour lui ici. Nous ne sommes pas naïfs !

Alors , ce qu’on lui refuse, il faut que le peuple s’apprête à l’arracher.

La Fédération anarchiste


La Fédération anarchiste s’élève contre le coup de force des généraux fascistes.

Ce pronunciamento a pour but de maintenir les populations, toutes les populations dans un état de servitude qui permet aux gros colons de continuer l’exploitation des masses colonisées.

Ce coup de force, la Fédération anarchiste l’avait prévu ; pour en avoir démasqué les responsables, Le Monde libertaire a été poursuivi.

Attaché à conserver les disciplines qui font la force de son système de coercition, le gouvernement s’est refusé à soustraire le contingent à l’autorité des officiers factieux. Il a préféré muter dans les sinécures en Allemagne ou autre part les cadres de l’armée en désaccord avec lui sur la façon la plus rentable de continuer l’exploitation de la population algérienne.

La Fédération anarchiste fait appel à tous les prolétaires pour que par leur association étroite et au besoin par la grève générale, ils mettent fin aux agissements d’une caste militaire désuète qui tend à dominer la société française.