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Après le référendum

Les Mystères de l’abstention

février 1961.

Il est assez curieux qu’au pays de Descartes, (mais quelle parenté existe-il entre Descartes et la France de de Gaulle,) il est assez curieux que dans cet aimable pays, l’on puisse poser deux questions et prétendre ne recevoir qu’une réponse.
Un tel traquenard peut s’énoncer en équation.
Le référendum formulait en gros les interrogations suivantes :

  • Êtes-vous pour l’autodétermination ?
  • Faites-vous confiance à de Gaulle pour la réaliser, par la nomination d’un gouvernement algérien ?


Ceux qui étaient d’accord sur la première et la seconde des questions pouvaient répondre « oui » et étaient seuls à pouvoir le faire.

Ceux qui étaient contre l’autodétermination (qu’ils croient ou non de Gaulle capable de la réaliser) se devaient de répondre « non ».

Tous les autres ne pouvaient que s’abstenir.

Cependant, les partis, plus férus d’opportunisme et d’appétits que de logique, ont cru bon d’inviter leurs ouailles à des choix marqués au coin de la plus pure des fantaisies.

C’est ainsi que le Parti communiste, au coude à coude avec les ultras d’Alger, a lancé la consigne du « non » à ses troupes.

Celles-ci quelque peu désemparées d’avoir à opposer la négative à une promesse s’autodétermination revendiquée par le Parti depuis toujours ont-elles suivi ses leaders ?

Les Radicaux se sont engagés sur la même pente savonneuse.

Cependant, plus malins (et plus aptes à recevoir quelque maroquin pour prix de leur servilité), les Socialistes ont pris le vent et ont invité leurs suiveurs à voter « oui », ce qui leur permettra de se revendiquer du succès d’une majorité qui ne faisait de doute pour personne. Ainsi, tous ont participé au référenduim : UNR, MRP, SFIO, Indépendants, Communistes, Radicaux et même PSU, nul n’a suivi la saine logique qui consistait à inviter les militants, les sympathisants et les lecteurs à se tenir à l’écart d’une pareille mascarade.

Celui qui l’aurait fait, se revendiquerait sans doute aujourd’hui de l’accroissement du nombre des abstentions.

Nous ne nous donnerons pas ce ridicule, sans sous-estimer l’activité que nous avons déployé durant cette campagne ; nous avons alerté l’opinion par des affiches qui dénonçaient l’imposture et même certains journaux locaux ont bien voulu se faire le porte-parole de notre position, c’est ainsi que nous pouvons lire dans Le Centre Matin, l’article suivant :

Le Groupe libertaire de l’Allier (abstention)

« Le groupe libertaire de l’Allier communique : Nous ne doutons pas que, pour le référendum, de nombreux "citoyens" voteront nul ou s’abstiendront, il est trop apparent, en effet, que la consultation du 8 janvier, au lieu de régler la question algérienne prolongera la guerre à laquelle seulement la négociation peut mettre fin.

Aussi, beaucoup hésiteront après la duperie, maintenant évidente à tous du premier référendum, à plébisciter de Gaulle ou à voter comme les ultras.

Les libertaires quant à eux estiment qu’il faut résolument boycotter le référendum : participer à une telle opération, même pour déposer un bulletin « non », c’est reconnaitre une valeur démocratique à ce qui n’est qu’un plébisciste ; c’est accepter de jouer gaulliste, c’est avaliser l’escroquerie.

Qu’était-il besoin d’ailleurs, d’un nouveau référendum, de Gaulle a déjà tous les pouvoirs. Et il n’en fait qu’à sa tête. La pétition laïque a pu recueillir près de onze millions de signatures : cela a-t-il changé quelque chose ? Le désir de paix a été suffisamment exprimé par le peuple en janvier 1960 et par la grève totale du 1er février : celà a-t-il empêché la "tournée des popotes" et le sabotage des pourparlers de Melun ?

Mais les événements dramatique de décembre 1960 en Algérie démontrent lumineusement le bluff de mai 1958 : les paras ne sauraient débarquer en métropole sans qu’immédiatement le FLN ne profite des troubles. Est-il concevable, en outre, que des centaines de milliers de jeunes du contingent acceptent sans réagir de suivre une tentative de subversion militaire ?

Dans ces conditions, accepter le jeu d’une consultation populaire, dont les dés sont pipés, c’est accepter le renforcement du pouvoir gaulliste.

Il ne reste donc qu’à récuser d’avance un scrutin qui n’est qu’une mystification. Ne tombons pas dans le piège : voter, c’est reconnaitre la validité du référendum, c’est asseoir plus solidement le régime gaulliste.

En fait, en abandonnant son destin aux mains d’un homme, il a signé sa propre déchéance. Inconsciemment par la démission collective de mai et de septembre 1958, le peuple français est complice de la continuation de la guerre.

Il ne mettra fin à celle-ci et à l’aventure gaulliste qu’en reprenant en mains son propre destin.

Le référendum ne résoudra rien. Seule, serait décisive l’intervention résolue des classes laborieuses. »

***

Nous ne prétendons pas pour autant que les 29,05 % d’abstentions représentent la proportion des anarchistes ou même de leur influence dans le pays. Ce serait trop beau !

Disons simplement que la stupidité d’un tel référendum a contraint les électeurs à agir en anarchistes, et cela malgré la retape éhontée du gouvernement et malgré le chantage à l’aventure que causerait, dit-on, le départ du saint sauveur Charles de Gaulle, et qui a fait peser la balance en faveur du « oui » par l’adhésion de tous les apeurés à qui le spectre de la révolution fait tout accepter, la guerre y compris.

Deux enseignements sont à tirer des résultats obtenus.

D’abord, la désaffection des masses vis-à-vis des partis politiques, l’absence d’influence et d’autorité de ceux-ci sur celles-là.

Les dirigeants, les leaders, les comités nationaux peuvent décider, décréter, tailler dans les textes et rogner dans les décisions, leurs ordres ne vont qu’à une troupe aveugle et limitée de suiveurs. La masse de ceux qui les ont mis au pouvoir leur échappe.

Je n’en veux pour preuve, que les résultats de 15,20 % de « non » que se disputent Indépendants, Communistes, Radicaux et PSU, chacun prétendant y retrouver les siens.

Plus important encore (et c’est là, le deuxième enseignement à tirer) est la question des abstentions… De vastes enquêtes sont ouvertes à ce sujet qui révèlent plus la stupeur d’y voir une proportion supérieure à celle de chacun des partis, quel qu’il soit, que de faire une analyse véritable.

La saison, la participation des femmes au corps éléctoral, les difficultés de déplacement des populations campagnardes en région montagneuses, les heures de travail de certains, la maladie et l’âge des vieillards sont invoqués pour expliquer cette désaffection des devoirs civiques (sic) et cette absence de sens des responsabilités (resic).

En réalité, il n’est plus temps de se livrer à ce chantage classique en raison duquel l’électeur moyen ne voulait pas se voir comparer au pêcheur à la ligne.

L’expérience nous a prouvé que, dans le même temps où la concierge interwievait ses locataires pour savoir si elle devait voter « oui » ou « non », des hommes pourvus de sens politiques et soucieux de tous les problèmes sociaux, jugeaient bon de se tenir à l’écart d’une pareille pantalonnade.

Aujourd’hui que la farce est terminée, et les lampions éteints, les mêmes politiciens vont se retrouver devant les mêmes événements avec un programme ou plutôt une même absence de programme.

On vantera dans un même enthousiasme verbal, l’acheminement vers la paix et l’armée qui poursuit la guerre, le droit des peuples à la liberté et le respect des institutions qui l’ont toujours contesté, l’affirmation de l’autodétermination et la mise ne place d’un gouvernement qui n’a été déterminé par personne.

Nous n’avons, aujourd’hui, pour espoir de voir finir la scandaleuse, criminelle et ridicule aventure algérienne que la crainte des Occidentaux devant un GPRA abandonné de tous, et prêt à accueillir l’aide de l’URSS et de la Chine.

Les USA et l’Europe attendront-ils impassibles un nouveau Dien-Bien-Phu pour se remuer, et laisseront-ils au caprice d’un chef d’État vaniteux, le soin de mener le monde à l’abime.

Maurice Laisant