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La Guerre, une bonne affaire

Le jeudi 27 mars 2003.

« Une guerre en Irak serait une bonne chose pour les marchés » Shimon Peres (prix Nobel de la paix !)



Certains ne perdent jamais le nord pécuniaire et la perspective de la mise à mort programmée de civils en Irak est l’occasion pour eux de lancer sur le marché le produit adéquat, bien dans l’air du temps, et de s’en mettre dans les fouilles au passage. C’est le cas de la société Altaya.

Altaya est une de ces boîtes qui inonde en permanence les kiosques et maisons de la presse à coup d’innombrables collections de babioles, miniatures et figurines de toutes sortes. Tout ce qui se collectionne, en fait, et c’est souvent n’importe quoi (il est vrai que je n’ai pas la fibre collectionneuse). Le principe de ces séries est d’acquérir une pièce par semaine. À partir du début février, c’est de petits soldats de plomb (à l’uranium appauvri ?) qu’il s’agit. Les bruits de bottes états-uniennes font frémir la population irakienne, la guerre est considérée comme « inévitable », alors, c’est le moment de vendre du petit soldat à la semaine !

La publicité ventant ce produit ne cherche pas à cacher son lien avec la guerre annoncée. Il est trop évident pour cela. Les petits soldats forment une série représentant les plus célèbres « forces spéciales » des armées du monde. Une par semaine débarquera dans votre kiosque à journaux. Celles des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France etc. se succéderont. La publicité dit à peu de choses près : « Guerre du Golfe, conflits des Balkans. Une collection unique des forces spéciales en opération… bla-bla-bla… troupes d’élite… bla-bla-bla… magnifiques figurines peintes à la main. »

Ne me dites pas que l’actualité casquée et bottée n’est pas à l’origine de la sortie de cette collection, je n’y croirai pas. À y réfléchir, les personnes qui conçoivent ces produits sont vraiment perverses, cyniques et tordues. Un massacre — c’est à dire la mort de milliers (dizaines de milliers ? centaines de milliers ?) d’être humains, donc nos semblables — risque de commencer d’un moment à l’autre. Et à quoi pensent ces personnes ? Que ressentent-elles ? De l’écœurement ? De la solidarité avec les futures victimes ? De la révolte face aux gens sacrifiés pour du pétrole ? De la haine pour le président des États-Unis ? Nib !

La seule idée qui a germé dans leur cerveau déshumanisé est de surfer sur cette vague guerrière pour concevoir un produit qui pourra se vendre facilement. Le produit n’est pas spécialement adressé aux enfants, d’ailleurs, puisque la pub montre un adulte alignant avec soin ses « forces spéciales » bien proprement sur son étagère. Car les GI miniatures ne se disposent pas n’importe comment. L’armée, même à petite échelle, exige ordre et discipline ! Soldats modèle réduit… cerveau atrophié. Je propose à Monsieur Altaya, afin d’être honnête — ou du moins, si c’est trop lui demander, d’être réaliste —, de faire des figurines des victimes des guerres du Golfe et des Balkans, des morceaux de bombardés de toutes les guerres, des brûlés agonisants, des cadavres humains bouffés par des chiens errants, avec les taches de sang et diverses souillures corporelles « peintes à la main ». Cette face de la guerre qu’on ne montre pas, dans un monde où, depuis dix ans, l’Occident « civilisé » déclame à qui veut bien le croire qu’il fait des guerres « justes », « humanitaires », « propres » et « chirurgicales », épargnant au mieux les victimes « collatérales » tuées « par accident ». L’« axe du Bien » tue toujours des civils par erreur, c’est connu.

Allons, Monsieur Altaya et Monsieur Crétin-qui-va-acheter-les-petites-troupes-spéciales, la guerre, ça fait des victimes presque exclusivement civiles qui meurent en souffrant, criant, pleurant. C’est sale, c’est moche. Pour vous le remettre en mémoire, voici un texte [1] évoquant les victimes des bombardements « démocratiques » alliés sur Hambourg, durant la Seconde Guerre mondiale. Alliés qui disaient chercher à épargner les civils et ne viser que des objectifs militaires.

« Les "pauvres types" étaient assis dans les abris antiaériens des 16’000 immeubles qui ont brûlé. Ceux qui avaient suivi les instructions, restant sagement dans les abris comme je l’aurais fait moi-même, ont tous été tués. Ils ont été asphyxiés quand la fumée a envahi les abris, ou quand la tempête de feu a fini de consommer tout l’oxygène. Seuls leurs corps ont porté témoignage de la façon dont ils étaient morts.

 » Les cadavres étaient le plus souvent entassés près des sorties bloquées. D’autres étaient figés dans leur propre graisse noircie, qui avait fondue et s’était répandue sur le sol. Des bébés étaient alignés comme des poulets grillés. D’autres cadavres s’étaient volatilisés — il ne restait d’eux qu’une fine couche de cendres sur les tables et les bancs.

 » Pour la plupart, ceux qui avaient quitté les abris antiaériens avaient brûlé dans la rue. Beaucoup étaient étalés, visage contre terre, un bras sur la tête en guise de protection. Beaucoup avaient tellement rétréci qu’on aurait dit des nains, d’autres étaient gonflés comme des ballons. Certains avaient l’air intacts, mais ils étaient nus — tous leurs vêtements, sauf leurs chaussures, avaient disparu. D’autres encore étaient couchés les bras en croix, le visage gommé, comme celui des mannequins dans les vitrines. D’autres étaient complètement calcinés. Leur cerveau dégoulinait de leur crâne brisé, et leurs viscères sortaient de dessous les côtes ».

Oliv

groupe Nada, Toulon


[1Sven Lindqvist, Maintenant tu es mort, le siècle des bombes, Le Serpent à plumes, 2002.