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« Magdalene Sisters » de Peter Mullan

Si t’es pas sage j’te fous chez les curés

Le jeudi 27 mars 2003.

La double peine. À peine si j’ose en parler, mais elle ne date pas d’hier. Double culpabilité, pécheresses et condamnées mais surtout coupables d’être femmes. Voilà la leçon magistrale de Peter Mullan. Une dénonciation sans faiblesses de l’Église catholique romaine et apostolique, une défense du féminisme venue de ces terres d’Irlande ou il fait bon être catholique parce que républicain ou républicain parce que catholique. Un paradoxe unique que même les armes n’arrivent plus à trancher.

C’est à travers ce film, Magdalene Sisters, que Peter Mullan, un camarade de jeu de Ken Loach, nous apprend de manière effrayante que pendant nos vacances en Irlande ou l’on s’extasie sur le mystère des eaux noires du Connemara ou la douceur de vivre du Donnegal, l’intégrisme religieux aura fait force de loi jusqu’en 1996.

Trois jeunes femmes mineures. L’une sera violée, l’autre mère célibataire et la troisième simplement désirable. Trois péchés capitaux insupportables pour l’Église. Leur san-benito à elles sera une robe de bure. Histoire vraie que celui de cet esclavage moderne. On est loin, très loin de ces bonnes sœurs accortes à la Blues Brothers ou à la Whoppy Goldberg, qui, montées sur patins à roulettes, tentaient misérablement et pitoyablement d’agrémenter la religion à la sauce yankee. Cette religion en peau de lapin assaisonnée de ketchup, de même que les séries maintes fois serinées des Don Camillo, a beaucoup fait pour une chrétienté présentable, propre sur elle et surtout sans jamais évoquer les problèmes de fond. Les tentatives d’humour à la Jean Yanne du style cornette frites ou poudre arrêt curé (ouaf ! ouaf ! ouaf !) ou les religieuses en 2 CV dans La Grande Vadrouille, et j’en passe, nous réconfortent dans une vision assez peu respectable, au pire, d’un cléricalisme un peu désuet et poussiéreux, et procèdent de la même logique. On peut se moquer des hommes mais pas des idées.

Tout n’est affaire que de spectacle et de représentation. Peter Mullan vient nous rappeler tous les dangers de ces dérives, souvent volontaires et pernicieuses, et apporte par son film une réponse cinglante à toutes ces tentations de nous faire étouffer de rire et de nous faire accepter la religion. C’est à dire la tentative de soumission par le mensonge et le primat de la vérité appliquée à toutes celles et à tous ceux qui préfèrent croire plutôt que penser. Quand il n’y a plus aucune place pour la moindre parcelle de doute, le totalitarisme n’est jamais bien loin.

Mais cette féroce répression mise en scène n’a pas, si j’ose dire, pour seul but de soulever un coin du voile. C’est aussi une dénonciation de toute cette morale fétide. Léo Ferré disait si bien que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres. Appliquée aux « femelles » elle fait des ravages, cette carne. Salope parce que désirable, salope parce qu’amoureuse, salope parce que violée, voilà enfin révélé le mystère de La Trinité. Ces Torquemada des temps modernes ne sont le reflet que de leurs propres médiocrités. L’avidité du pouvoir spirituel et temporel relayé par le poids des familles, par l’absolue nécessité du dressage des âmes et des corps, l’abrutissement de ces jeunes femmes, sujettes absolues, leurs désirs bafoués, leur corps humilié, cet enfermement total aura existé en Irlande jusqu’en 1996.

Difficile désormais de ne pas associer les agissements de ces crypto fascistes dans la croisade où voudrait bien nous entraîner Georges Bush au nom de Dieu tout puissant qui a fait le ciel et la terre. Et ta sœur ? Ce sont deux aspects d’une même idéologie qui nous empuantit depuis plus de deux mille ans. Cette morale judéo-chrétienne qui vient encore et encore s’occuper de ce qui passe dans nos cerveaux, dans nos callebards et dans nos soutifs, cette morale dont quelques-uns et quelques-unes d’entre nous, même affranchis de l’autoritarisme, continue parfois d’en payer le coût par la peur irraisonnée de l’autre, la frustration ou l’inhibition. Sans oublier la petite pipe au curé avant d’aller dire la messe.

Passons cependant sur le manichéisme manifeste du film, oublions tous ces curés peut être oui mais de gauche, ces prêtres-ouvriers avec lesquels parfois… et gageons que cette œuvre maîtresse pourrait bien devenir un film, j’allais dire culte, mais il y a des mots qu’il vaut mieux éviter.

Religions : je vous conchie et je vous hais !

Jipé