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L’Environnement, c’est Kapital !

mars 2003.

En 2003, le bilan de santé de la planète peut nous pousser à un pessimisme certain. Il y a bien sûr à notre porte les marées noires à répétition, le trou d’ozone dans l’atmosphère, le réchauffement climatique et l’effet de serre, les déchets toxiques et autres dioxines, les nappes phréatiques imprégnées de nitrates, métaux lourds et autres substances chimiques, les espèces végétales et animales qui mutent au rythme des laboratoires génétiques, les maladies nouvelles. Évoquons la diminution des forêts tropicales, la disparition de nombreuses espèces animales, l’augmentation vertigineuse de la population mondiale avec l’aggravation des carences nutritionnelles et des difficultés de survie… L’origine commune à tous ces maux est l’activité humaine, et plus précisément son organisation par le système capitaliste.



En pleine récession économique des pays riches, avec des guerres ouvertes ou larvées, le G8 environnement d’Angers du 25 au 27 avril a donc une fonction précise : affirmer que les dégâts environnementaux, causés par la recherche de rentabilité, seront sinon réparés, du moins limités par la perpétuation de cette même logique.

De droite, de gauche ou écologistes, les sept ministres regroupés autour de Roselyne Bachelot vont s’efforcer au-delà des intérêts nationaux respectifs, d’installer des contre-feux à l’inquiétude montante des populations. Ce G8 environnement abordera notamment les thèmes de l’énergie (relance du nucléaire) et du développement durable (nouvelle « tarte à la crème » des médias). Pour nous, révolutionnaires libertaires, ce sommet se gardera de poser la question centrale, celle de l’activité humaine qui, dans le cadre capitaliste, dégrade inexorablement l’environnement.

Contrairement aux propositions sociales démocrates, trotskistes ou de l’écologie politicienne, nous affirmons que la problématique environnementale ne peut pas être dissociée de la question de la production socialement utile, décidée par les populations pour satisfaire leurs besoins réels. Ce journal n’a pas la prétention de développer toutes les facettes relatives à l’environnement. Mais les trois aspects abordés ci-dessous — l’énergie nucléaire et le maintien du programme français, le développement durable, l’utilité sociale du travail — esquissent une approche révolutionnaire de la question environnementale.

Arrêt immédiat du nucléaire

C’est vers 2017 que le parc français devra être progressivement renouvelé… si l’option nucléaire est confirmée. Et elle le sera si aucun mouvement de grande ampleur ne se construit dans de brefs délais. Beaucoup estiment que c’est d’abord au projet EPR qu’il faut s’attaquer. Pourtant, sa réalisation est peu probable : le parc français est en surcapacité, Siemens rechigne à participer à cette aventure et toutes les études laissent paraître qu’EPR ne sera absolument pas rentable. Serait-ce une centrale plus sûre ? Non, ce n’est qu’une version modernisée de Chooz ou de Civaux, qui ont déjà connu de graves problèmes de sûreté. Vitrine pour l’exportation, alors ? Pas plus, car le marché international du nucléaire est en pleine stagnation et il faudrait en fourguer une bonne dizaine pour rentabiliser le prototype. Ce qui paraît plus vraisemblable, c’est éventuellement la mise en chantier de quelques nouvelles centrales, mais surtout un vaste programme de prolongation de la durée de vie de celles existantes, soit faire du neuf avec du vieux en multipliant les risques, bien entendu.

Car c’est bien de risques dont il s’agit : celui d’une catastrophe majeure dont la probabilité — maintenant admise par les tenants eux-mêmes du nucléaire -devrait suffire à elle seule pour arrêter immédiatement le nucléaire… sans que notre société ne tombe dans le dénuement apocalyptique décrit par les nucléocrates. Certes, aucun moyen pour produire de l’électricité n’est sans risques et il faudra bien que, le plus vite possible et de manière décentralisée, soient utilisées des énergies renouvelables. Il faudra bien que très vite nos sociétés ne soient plus fondées sur le règne de la consommation mais sur celui de l’utilité. Mais en attendant, accepter que le nucléaire se prolonge un, deux, dix ou vingt ans est tout simplement criminel. Et c’est en plus un blanc-seing offert à tous les requins de la finance et de l’industrie pour qui seul le profit a un sens, les êtres humains n’étant là que pour le produire.

Le développement durable : mystification et boniments

Le développement durable est la dernière potion à la mode que l’on tente de nous faire avaler. Aujour’dhui il est question de refuser le mythe du progrès et tout le fatras d’armes, de technologies… et de confort qui l’accompagne.

Ainsi donc, le « développement » pourrait être « durable ». Il semble bien pourtant que si « nos » dirigeants, « nos » scientifiques et autres tenants du Progrès continuent de nous développer ne serait-ce encore qu’un demi-siècle, il ne restera pas grand-chose de la planète ni des êtres vivants qui l’habitent ! Ou plutôt, le risque existe qu’il ne reste qu’une humanité nettement divisée en castes et sous-castes, qu’une planète à bout de souffle, avec des riches super-pollueurs rejetant sur les pauvres la responsabilité de la misère.

Nous ne reconnaissons pas le concept de « développement » qui est, en fait, le développement de l’individu Blanc, riche, de sexe masculin, jouissant de droits civiques, au travail, etc. Quant à l’adjectif « durable », il implique le rejet a priori de toute révolution et, tout au contraire, la tentative de bien mesurer le développement afin qu’il soit « durable » et que les actuelles élites, surtout, se maintiennent au pouvoir. Le développement durable consiste ainsi à maintenir un équilibre précaire entre riches et pauvres, exploitation de la nature et protection de la biodiversité, trou d’ozone et réduction des émissions de carbone, production d’électricité nucléaire et inconvénients du style de Tchernobyl, etc. De façon à ce que les « masses » ne soient surtout pas tentées par l’« aventure » de l’opposition au développement qui est implicite dans la révolution, l’abolition des États, la liberté, la fraternité/sororité humaine. Cet équilibre subtil se fonde sur le pouvoir des experts, pouvoir que le développement durable garantit à long terme, car il faut être expert pour dire jusqu’où on peut faire fondre l’Antarctique et jusqu’à quel point on peut brûler l’Amazonie. Le développement durable est donc, en réalité, tout à fait profitable aux élites actuelles, économiques, politiques, financières et scientifiques.

Non seulement le développement durable est une position de repli des tenant-e-s de l’industrialisation et du Progrès, mais il est en même temps un outil offensif au service d’une politique de domination qui interdit de s’attaquer aux racines des problèmes. En ce sens, la critique du développement durable doit non seulement être une critique du Progrès, de l’industrialisation et du développement comme de la durabilité de ce monde-ci. Elle devrait être aussi une dénonciation sans merci des faux critiques : d’Attac au Monde diplomatique, du gourou Toni Negri aux écologistes façon Greenpeace. Ce que nous voulons est une critique radicale de l’existant, du réel, abolition de tout ce qui permet la perpétuation de l’ordre qui nous opprime.

Qu’est-ce qu’un travail socialement utile ?

On ne peut aborder les problèmes liés à l’environnement sans se poser la question de l’utilité de ce qu’une société produit, pour qui, et dans quels objectifs. Et avec quels dégâts collatéraux, tant sociaux qu’écologiques.

Si tous les esprits sains conviendront qu’une tonne de blé est plus utile qu’une bombe atomique, au-delà de cette évidence, nous entrons sur un terrain qui peut être miné si on n’y prend pas garde. Qui déciderait de ce qui est utile ou inutile ? Les États ? Un gouvernement mondial ? Les intellec- tuel-le-s ? Les scientifiques ? Les entrepreneurs ? Il n’en est évidemment pas question !

Tout le monde doit-il consommer les mêmes choses ? Il y aurait là un arrière goût de totalitarisme, une façon toute bureaucratique de dresser la liste de ce qui est utile ou de ce qui ne l’est pas ; une soumission collective à un ordre moral de mauvais aloi ou à des impératifs nationaux dissimulés.

Et pourtant, tout le monde est conscient que l’envahissement du consumérisme n’est pas le produit de décisions collectives démocratiquement décidées, mais bien un impératif pour le capitalisme qui doit faire passer le développement pour du mieux être ; que nous n’avons aucune prise ni aucun avis à donner sur ce qui devrait être produit en priorité, sur ce qu’il serait bienvenu d’abandonner.

En fait l’utilité sociale, l’utilité de ce qu’on produit, est d’abord un problème politique. Autrement dit : « On veut vivre comme ça et on s’en donne les moyens », et non le contraire : « on produit d’abord et on verra ensuite ». Le capitalisme a sacralisé la production au point que c’est le processus productif qui détermine nos rapports sociaux, nos envies, nos désirs. Et c’est précisément cela dont nous ne voulons plus !

Mais qui, « nous » ? Nous entrons là de plain-pied dans la définition de la, ou des, collectivités humaines. Pas cette communauté mondiale et abstraite qui n’existe qu’au travers des médias et du capital, mais celles, en chair et en os, faite de rapports de proximités, de connaissance de son environnement, celles qui permettent d’envisager la démocratie directe. Celles entre lesquelles peuvent se construire des rapports de solidarité et d’égalité, et non de haine, de guerre et de concurrence, comme cela se produit lorsque la collectivité a été détruite ; car le problème est bien que la primauté de l’économie sur le politique (au sens noble) déstructure perpétuellement les communautés humaines, y compris celles que le système a lui-même créé, atomise les individu-e-s, et laisse le champ de la communication, des interactions et des décisions aux différents pouvoirs.

Parler d’utilité sociale renvoie donc au territoire, au communautaire, au collectif, au « maîtrisable », autant dire à tout ce dont nous sommes dépossédé-e-s dès que nous en saisissons un morceau.

Un travail utile le sera, non pas au nom d’une morale ou d’intérêts supérieurs, mais sera celui d’une communauté humaine donnée, dans un lieu et un temps donnés, qui aura décidé, pour fonctionner comme elle l’entend, de produire ceci ou cela. Une communauté qui saura calculer le pour et le contre de tel effort humain (le travail) en fonction des répercussions que cette production peut avoir sur l’organisation sociale et non en fonction du marché et du prix de la production.

Autrement dit, l’économique sera là seulement pour permettre d’approcher les choix politiques et sociaux préalablement définis.