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Arcade

Jalons pour un premier bilan de la grève

Le jeudi 20 mars 2003.

La grève s’est terminée par la signature d’un accord « confidentiel », qui restera entre les mains des avocats sans avoir été donné aux grévistes, lesquelles ont seulement signé un avenant à leur contrat de travail. Cette confidentialité montre à quel point Arcade craint que les résultats obtenus n’incitent d’autres salariés à suivre leur exemple. Nous reconstruisons donc ces résultats à partir de documents précédents et des informations transmises oralement par les grévistes. En voici une synthèse :



Les cadences — qui étaient le point central du conflit — sont ramenées à 4 chambres par heure dans les hôtels Etap, à 3,25 dans les hôtels Ibis, à 2,50 ou 3 (selon le type de chambre) dans les hôtels Mercure, Novotel et Suite hôtel et à 1,9 (double) ou 2 (simple) dans les Sofitel (les couloirs sont exclus de la charge de travail). Ces nouvelles normes ont été consignées dans le « protocole d’accord d’entreprise » du 15 janvier 2003 et découlent directement des concessions faites par la direction d’Accor en fin d’année. Concessions qui se sont aussi traduites par la signature avec les organisations syndicales du groupe, le 3 décembre, d’un « protocole sur l’orientation des conditions de recours à des entreprises extérieures de nettoyage » par lequel Accor reconnaît de fait sa responsabilité dans les conditions faites aux salariés de ses sous-traitants. Rappelons que ce dernier protocole entérine le principe d’un rapprochement des conditions de travail des salariés des entreprises sous-traitantes de celles des salariés directs du groupe et surtout du paiement de toutes les heures de travail effectuées par les salariés de la sous-traitance, avec un droit de contrôle accordé aux syndicats. Il y est aussi question de mettre en place une formation professionnelle, d’équiper les personnels de tenue de travail, de mettre à disposition des locaux pour les repas, équipés de four à micro-ondes et de frigo.

 Tous les contrats de travail sont portés à 130 heures mensuelles.
 Les sept grévistes licenciés pour fait de grève sont réintégrés (le huitième licencié a déjà fait l’objet d’une mesure de réintégration). Les poursuites judiciaires et les demandes d’astreinte sont annulées. Toutes les sanctions sont levées.
 Une prime de chantier est accordée, y compris aux non-grévistes, pour les sites touchés par la grève.
 Une indemnité de compensation des jours de grève est versée à l’ensemble des grévistes, équivalente à environ 35 % des salaires sur douze mois. Cette indemnité est libre de toutes charges sociales et non imposable, mais ne donnera sans doute pas droit à des points de retraite. Les grévistes ont décidé de la partager entre elles de façon égalitaire.

Sur toutes les revendications des grévistes, il y a donc eu des avancées substantielles. Sur la question cruciale des cadences et sur celle des temps partiels imposés, la victoire n’est certes que partielle, mais il n’en reste pas moins que sur tous les points l’employeur a bel et bien dû céder.

Nous sommes conscients que les avancées obtenues par la grève auront besoin d’être défendues pied à pied par les salariés sur leur lieu de travail, et qu’il leur faudra faire preuve de beaucoup de vigilance pour éviter que le terrain gagné ne soit repris par l’adversaire. Pour cela, il faudra que les acquis de la grève soient connus et s’étendent à tous les autres salariés.

Contre toute tentative de récupération de la lutte

En ce qui nous concerne, nous pensons que si l’on veut comprendre le sens de l’expérience du collectif de solidarité et de son rapport aux grévistes, il faut éviter que les cartes soient brouillées par tous ceux qui aimeraient s’attribuer les mérites de la victoire. C’est pourquoi nous essayons dès maintenant de poser des jalons pour un bilan.

Cette lutte a démarré avec le soutien du syndicat Sud. Sans cet appui du syndicat à ses membres qui avaient débrayé, cette grève n’aurait sûrement pas existé. L’aide financière apportée par le G10 Solidaires a été indispensable. Et sans la ténacité des grévistes, qui ont gardé le contrôle de leur propre lutte durant douze mois, rien ne serait arrivé.

Si la grève n’est pas parvenue à s’étendre, c’est certes à cause de la peur et du climat de chantage qui domine dans le secteur du nettoyage (et à Arcade en particulier), mais aussi à cause du véritable cordon sanitaire organisé par la CGT du nettoyage, qui a « découragé » activement les autres salariés d’y prendre part.

Arcade a choisi de laisser pourrir le conflit, misant sur l’isolement et l’épuisement des grévistes, et Accor a longtemps cherché à en nier tout simplement l’existence.

Durant les trois premiers mois, la grève est gérée sur un mode syndical classique : elle est menée avec beaucoup d’activisme, mais comme l’affaire d’une chapelle syndicale (Sud Propreté et Services), les autres individus et groupes suivant éventuellement, mais n’étant pas associés de façon active.

Vers la fin mai, le collectif de solidarité prend le relais du soutien à la lutte. Pendant neuf mois, il alternera actions bihebdomadaires dans les hôtels du groupe Accor et réunion hebdomadaire, tout en multipliant les initiatives de popularisation de la lutte [1].

À partir du mois de juin, les syndicats restent présents aux réunions du collectif, mais dès septembre on ne les voit plus. Sud-Rail continue à suivre de loin les activités menées sur le terrain, fournissant une utile aide logistique, donnant quelques interviews et assurant le suivi juridique. Fonctions qu’il serait injuste de sous-estimer, mais qui restent accessoires par rapport au problème central, à savoir faire évoluer les rapports de forces sur le terrain.

La petite intersyndicale Sud-CNT-Collectifs oppositionnels de la CGT fait son apparition à la mi-mai (63e jour de grève), à travers un tract. C’est elle qui organisera la manifestation du 3 juillet (départ d’Abilis et arrivée au siège d’Arcade, suivie d’une intervention des CRS), puis celle du 22 juillet (départ du siège de la CFDT, passage place du Colonel-Fabien, arrivée au tribunal des prud’hommes) ; elle participera en outre à l’action du 9 juillet place d’Italie et à la fête du 13 juillet place de la Réunion et verra sa banderole fort remarquée à la fête de L’Humanité, en septembre. Mais, au total, elle aura une vie plus virtuelle que réelle, marquée par la méfiance entre les trois organisations parties prenantes.

On peut donc dire qu’une fois que le collectif est intervenu dans la lutte, les syndicats ont plus fonctionné comme un bureau d’aide juridique que comme instrument de lutte. Et cela non sans quelques cafouillages d’ailleurs, qui auraient pu être évités s’il y avait eu une meilleure coordination entre les initiatives des uns et des autres.

De son côté, le collectif de solidarité va, dès le mois de juin, tenter de modifier une situation qui semble bloquée : dans leur boîte, les grévistes sont isolées, la grève n’arrivant pas à s’étendre ; elles n’ont pas le soutien actif des milieux militants (qui se bornent souvent à des messages de solidarité et parfois à une petite collecte) ; leur lutte n’a guère de visibilité, n’ayant pas de lieu physique où apparaître (contrairement à la grève de McDo), ce qui amènera certains à parler de « grève en perdition ».

Il est vrai qu’un point semble avoir été marqué lorsque le 4 juin, à la réunion du comité du groupe Accor, le PDG Espalioux énonce les principes d’une « charte » devant présider aux rapports entre le groupe et ses entreprises sous-traitantes. Pourtant, il apparaît vite qu’il ne s’agit que d’une habile opération de communication destinée à redorer le blason d’un groupe dont l’image « sociale » commence à être gravement ternie par la divulgation de ses pratiques auprès du grand public. Et seule la ténacité des grévistes finira par contraindre Accor, six mois plus tard, à passer aux actes — et à la caisse.

Par la suite, il faudra en plus contrer les discours annonçant la fin de la grève. Jusque dans le bulletin de Sud-Rail (octobre 2002, nº 22) on parlera en effet de « victoire annoncée » [2], signifiant par là que son existence même est une victoire et que — vu le rapport des forces — on ne peut pas en demander plus. Les plus engagés semblent ainsi ne pas croire eux-mêmes à la possibilité de gagner et donnent l’impression de se contenter d’une victoire largement symbolique. (En fait des divergences d’analyse et de stratégie finiront par apparaître au sein de Sud-Rail, qui auront de fâcheuses répercussions sur l’engagement concret du syndicat.)

Ce qui a permis à la grève de tenir

Sans fausse modestie, on peut dire que c’est le Collectif de solidarité qui a réussi à faire évoluer les rapports de forces, défavorables au départ, en donnant à Accor d’abord et à Arcade ensuite de bonnes raisons de chercher à clore le conflit. Comment cela a-t-il été possible ?

 Durant l’été, on maintient les contacts, on continue à se réunir dans un contexte de démobilisation estivale, à intervenir dans les hôtels, à assurer à travers des comptes rendus réguliers la continuité de l’information. Dès le départ, on concentre notre action sur Accor, cible plus sensible qu’Arcade à son image de marque et donc plus à notre portée.
 À la rentrée, on passe à la vitesse supérieure, tout en garantissant la continuité de l’information en milieu militant et des actions dans les hôtels, menées par un petit noyau dur auquel d’autres venaient parfois se joindre de façon ponctuelle. On organise d’abord quelques actions de financement, pour prendre la relève de Sud qui montre des signes d’épuisement, puis on lance une « semaine nationale d’action » contre le groupe Accor, qui permet d’élargir les contacts, notamment avec le milieu militant et les médias.
 Fin septembre, un référé des prud’hommes très attendu par les grévistes est rejeté. Le moral commence à descendre.
 Le 20 novembre, le procès devant les prud’hommes pour demande de réintégration des grévistes est reporté à la demande des avocats, qui invoquent des dossiers incomplets. S’ensuit un moment de grave découragement, les grévistes se sentant abandonnées par ceux-là mêmes qui sont censés les défendre [3]. Le Collectif décide alors de suivre de plus près les actions juridiques et de resserrer les contacts avec les avocats. Il s’agit de remonter le moral des grévistes, qui a atteint son point le plus bas, tout en faisant en sorte qu’elles puissent éventuellement rentrer la tête haute si elles prenaient la décision de le faire. Ce sera là le plus important succès du collectif, dont tous les autres vont découler.
 Début décembre, la situation a déjà changé, suite à une série d’actions menées contre les hôtels mais aussi à des interventions lors de manifestations professionnelles et lors de la rencontre entre le directeur financier d’Accor et les actionnaires au Salon Actionaria, grâce également à un début de concrétisation de la solidarité internationale, grâce enfin à des contacts avec les médias qui commencent à porter leurs fruits. Cette remontée ne fera que se confirmer dans la période des fêtes et en janvier. Le 4 décembre, la direction d’Accor annonce la signature, entre DRH et organisations syndicales du groupe, d’un « protocole d’accord sur les modalités de recours à la sous-traitance », indice clair de l’impact de nos actions sur la politique d’Accor. Prenant prétexte de ce texte, et à la demande explicite des grévistes, le collectif écrit à la DRH d’Accor, qui répond à notre courrier et à qui nous finissons par imposer une entrevue : nous essayons de lui montrer que laisser la grève durer est un mauvais calcul parce qu’elle ne pourrit pas, mais au contraire se renforce, rencontrant une solidarité croissante — ce que viennentconfirmer les quelques actions menées à l’étranger et les cartes postales de protestation qui commencent à affluer à la direction du groupe, ainsi que l’intérêt croissant des médias pour la lutte. De fait, on commence à obtenir qu’Accor exerce une pression sur Arcade, qui jusque-là pouvait se sentir à l’abri : Arcade rouvre les négociations après avoir, lors du CE du 15 janvier, entériné une baisse significative des cadences, première concession à la revendication essentielle des grévistes.
 Fin janvier, pour pousser le processus de négociation, coincé sur la question du paiement des jours de grève, nous envisageons une campagne contre les autres chantiers d’Arcade et commençons par Paris VIII, où nous avons déjà lancé en novembre une pétition demandant au président de rompre le contrat de sous-traitance avec Arcade, qui assure le gardiennage — cela dans l’idée de faire comprendre à Arcade qu’elle risque de perdre beaucoup plus d’argent que celui qu’elle refuse aux grévistes. Parallèlement, nous mettons à profit les contacts établis avec la CGT d’Accor : nous photocopions son bulletin pour le distribuer au personnel des hôtels, tout en mettant au verso de nos tracts un texte de solidarité avec les revendications des salariés d’Accor, afin de faire craindre à la direction d’Accor que la grève ne devienne un exemple y compris pour ses propres salariés et de la pousser à clore le conflit.

La composition hétéroclite du collectif

Des individus aux appartenances diverses, syndiqués et non syndiqués, voire critiques des syndicats et du syndicalisme : militants de TCP (Travailleurs, Chômeurs Précaires), d’AC !, de la Coordination des Travailleurs Précaires (CTP), de Sud, de la CNT ou l’ayant quittée, du Collectif national pour le droit des femmes, de la Fédération anarchiste. De façon plus ponctuelle, ont participé à des réunions ou à des actions (ou pris des contacts avec les médias) des militants d’Attac, Stop-Précarité, du CAE, de No Border (lors de la rencontre de Strasbourg), de la CGT, de LO, de Droits devant, des anciens de la LCR, de Partisan, etc. Sans oublier les salariés qui toutes les semaines, des mois durant, ont cotisé pour fournir une aide anonyme et concrète, ceux qui ont imprimé tracts, affiches et cartes postales, ceux qui ont assuré la circulation de nos bulletins sur le Net ou créé une page consacrée à la grève sur le site d’AC !, ceux qui ont traduit nos tracts en plusieurs langues, ceux qui — ne serait-ce qu’une seule fois — sont venus nous aider devant les hôtels, et les quelques journalistes — parfois eux-mêmes précaires — qui ont fait en sorte que leur média parle de la grève et que le silence soit brisé.

Le nombre restreint de ceux qui ont assuré la continuité du soutien a évidemment été un handicap lors des actions, mais il a permis aussi que les décisions soient prises collectivement avec le temps de discussion nécessaire, que les bilans des initiatives soient régulièrement tirés, sans complaisance mais sans que le climat fraternel s’en trouve remis en cause. La volonté de lutte a toujours été indissociable du plaisir de se rencontrer, de se connaître de s’entraider, de comprendre, d’apprendre.

C’est ce climat qui a permis de conserver l’initiative pendant plusieurs mois, sans se laisser démonter par les difficultés qui pourtant n’ont pas manqué. Nous avons toujours pris des initiatives à la hauteur de nos forces, sans raconter d’histoires autour de nous. Nous sommes également assez satisfaits d’avoir réussi à éviter toute forme de répression ou presque contre les militants engagés dans les actions, à un moment où le climat est à l’intensification de l’action répressive.

Enfin, nous n’avons pas mégoté notre solidarité aux luttes que nous avons croisées (Maxi Livres, McDonald’s, Sin et Stes, Abilis, les sans-papiers, etc.) et, quand cela a été possible, nous avons essayé d’impulser des formes de soutien mutuel, essayant de faire comprendre autour de nous que la solidarité n’est pas un courant à sens unique.

Comité de soutien aux salariés et précaires en lutte d’Arcade, McDo, Fnac, Disney, Virgin, etc.


Infos luttes sociales, bulletin nº 45, numéro spécial sur l’accord de fin de grève à Arcade, avec un premier bilan. Pour tout contact : CICP, 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris (en précisant bien le nom du comité).
Chèques à l’ordre de ADC.

Informations et documentations sur la grève et les initiatives en cours : ac.eu.org/actudocs/arcade/arcade.htm

arcadesolidarite@hotmail.com


[1On peut trouver le détail des activités du collectif en consultant le bulletin Infos luttes sociales qui a été rédigé semaine après semaine et déposé sur la page que AC ! a consacrée à la lutte d’Arcade sur son site : ac.eu.org/actu-docs/arcade/arcade.htm

[2Y sont notamment évoqués « le côté minoritaire de l’action, l’isolement au sein de la profession, le manque de reconnaissance des autres syndicats, une faible extension du mouvement ». Ces mêmes thèmes sont repris dans deux articles, l’un publié par Rouge le 26 septembre 2002 (« Arcade victoire ») et l’autre, signé par D. Malvaux et publié dans SUDcam le 2 décembre (« Arcade : la lutte continue »), où il est fait état des avancées enregistrées par le protocole nº 4 proposé par Arcade et jugées insatisfaisantes par les grévistes.

[3On comprendra plus tard qu’il s’agissait d’une décision prise par un ou plusieurs avocats pour faire reporter le procès prud’homal sur le fond, dans l’idée d’avoir affaire à une chambre d’appel des référés a priori plus favorable et de soumettre entre-temps Arcade à une pression juridique par le biais du procès engagé pour discrimination syndicale et illégalité des contrats de travail (double clause). Mais, sur le moment, aucune explication de cette « stratégie » n’est donnée aux grévistes ni au collectif de solidarité. La déléguée des grévistes, tenue elle-même dans l’ignorance, se trouve ainsi un moment presque désavouée par les grévistes, qui se sentent gagnées par un sentiment d’abandon et de trahison.