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Danger… trotskistes !

Le jeudi 20 mars 2003.

La prise de contrôle de l’école émancipée par les aficionados du pouvoir que sont les marxistes-léninistes n’a pas fini d’ébranler le milieu militant de l’enseignement. L’entente syndicale qui existait malgré tout depuis 1910 autour de la revue est bel et bien brisée. Le Monde libertaire s’efforce de relayer l’information sur cette affaire. Cette fois, l’auteur se livre à une charge lourde contre le trotskisme et ses appétits autoritaires et insatiables.



Il est franchement sympathique, ce jeune facteur de la banlieue de Neuilly, diplômé en histoire qui plus est ! Il a même fait un véritable tabac médiatique lors des dernières campagnes électorales… Franchement cela changeait de son prédécesseur, le Krivine looser usé des années 68 ! Et puis il a réponse à tout, ne bafouille pas, bref un discours clean et toujours « au service de la classe ouvrière » dont il se réclame à cor et à cri ! Son analyse de toute situation politique, sociale ou autre est implacable, toujours impeccable : « Sus au capitalisme suceur de sang, et aux organisations ouvrières récupérées ! »

Et puis ses copains et lui sont présents sur tous les fronts de la contestation. D’ailleurs on les voit de loin… Un LCR et un fanion rouge ! Des fois que leur appartenance politique n’apparaîtrait pas suffisamment. En plus cela fait joli et coloré dans le paysage, et amplifie leur présence et leur image de marque ! Ah ! cette forêt de drapeaux rouges ondulant dans le paysage, cela a quand même un petit air de révolution d’Octobre, non ? Toujours prêts donc (comme les boys-scouts) à rejouer un remake de la grande révolution de 1917 avec le génial Lénine et son acolyte, l’encore plus génial Trotski !

Mais il y a une forte concurrence chez les trotskistes. Comment ne pas s’emmêler les pinceaux à séparer le bon grain de l’ivraie ? Outre la Ligue communiste révolutionnaire, il y a aussi Lutte ouvrière avec Arlette, et aussi le Parti des travailleurs… sans compter d’autres mini-sectes !

Et toutes ces organisations, très disciplinées, se réclament du « marxisme-léninisme » et prônent le rôle d’une avant-garde éclairée (par la pensée du génial Trotski, comme de bien entendu) qui doit indiquer aux masses incultes le flamboyant chemin de la vérité et de la révolution ! Mais leur recrutement et leurs stratégies sont souvent fort différentes. Méprisant naguère la voie électoraliste de type social-démocrate, elles se sont aperçu que celle-ci avait quelque intérêt. Nonobstant le fait de paraître et d’apparaître pendant les périodes électorales, cela peut aussi améliorer l’ordinaire, en remplissant les caisses de l’organisation (lire sur ce sujet l’excellente analyse du Monde libertaire de juin 2002). Une voix rapporte 1,68 euros, cela fait beaucoup de thunes au bout du compte !

Historiquement, la plus ancienne des organisations à avoir entretenu, dès la fin de la guerre, des relations suivies avec les anarchistes est indubitablement l’OCI. Il y eut alors un projet de « Troisième Force », pour contrer l’influence hégémonique des staliniens du PCF et de son satellite la CGT, notamment sur le plan syndical et en liaison avec la création (voulue et financée par la CIA et le syndicalisme américain de l’AFL-CIO lors du début de la guerre froide) de Force ouvrière en 1947, la tentative de regroupement du syndicalisme révolutionnaire autour de la CNT française ayant, hélas, échoué. Leur tendance minoritaire au sein de FO, dite anarcho-syndicaliste et syndicaliste-révolutionnaire, connut des succès réels dans certaines unions départementales, et dans quelques syndicats professionnels. Par exemple, en Loire-Atlantique avec Alexandre Hébert… On les verra émerger spectaculairement lors des événements de mai 1968.

Cette OCI recruta, le plus souvent secrètement, des militants dans toutes les couches de la société, du prolo à l’énarque. Voir à ce sujet le parcours révélé d’un certain… Lionel Jospin. Ce fut la grande période d’une politique d’infiltration et de réseaux, destinée à investir de nombreux centres de la vie associative, syndicale et politique.

Ainsi, dans le syndicalisme enseignant de la FEN, les anarcho-syndicalistes et syndicalistes révolutionnaires — dont quelques trotskistes lambertistes (du nom de leur principal leader) — cohabitaient dans une tendance historique, car fondatrice dès 1910 du syndicalisme enseignant, dite « École émancipée », du nom de leur revue syndicale et pédagogique. Cette tendance était devenue minoritaire après la réunification syndicale, dans une fédération autonome dominée par les socialistes mais avec une très forte opposition communiste (cégétiste). En 1968, au sein de l’École émancipée, face à une tentative de mainmise de l’OCI sur la tendance, l’UAS (Union des anarcho-syndicalistes) réagit violemment et entreprit d’exclure les trotskistes, suivie en cela par d’autres camarades, sauvant ainsi la liberté de penser et d’agir de la tendance École émancipée. Les exclus fondèrent une éphémère ÉÉ-bis, dite ÉÉ-FUO (Front unique ouvrier), pour finalement quitter majoritairement la FEN, et rejoindre le modeste syndicat enseignant de FO, renforçant la minorité ouvrière et leurs copains trotskistes qui s’y trouvaient déjà.

L’OCI fut de plus en plus influente au sein de FO. Elle se transforma en Parti des travailleurs (PT), parti qui présenta des candidats aux élections, mais sans jamais avoir de stratégie bien marquée sur ce terrain, privilégiant surtout son « entrisme » dans de nombreuses organisations. D’abord une tentative avortée en direction des francs-maçons du Grand Orient ! Puis, tout récemment, le Parti des travailleurs a pris le contrôle de la Libre Pensée, qui n’a plus désormais rien de libre, ni de pensée, provoquant ainsi de facto une scission de ceux qui refusent leur mainmise et un diktat sur cette historique organisation de lutte contre tous les bourrages de crâne et les culs bénits. Et par ces temps de retour inconsidéré de la bête immonde que constituent toutes les religions, on aurait bien besoin d’une organisation d’envergure capable de l’écraser !

Ce fut vraiment un coup médiatique génial, réussi par la moins connue, la plus fermée et aussi la plus sectaire (au sens littéral du terme) des organisations trotskistes, cette Lutte ouvrière dont l’appellation exacte est Union communiste trotskiste, quand elle propulsa la candidature à l’élection présidentielle de la jeune employée Arlette Laguillier. « Travailleuses… Travailleurs ! », tout le monde connaît désormais son célèbre leitmotiv incantatoire… Véritable événement aussi car elle fut la première femme à briguer les suffrages des électeurs. Et, inlassablement, son discours se répétera au fil d’un quart de siècle. La seule embellie viendra quand, et ceci est très rare dans le marigot trotskiste, LO se présentera aux élections européennes en s’associant avec la LCR, obtenant quelques élus au Parlement européen, la barre fatidique des 5 % de voix étant franchie. Ainsi le « Hardy des travailleurs » (du nom secret de son PDG Robert Barcia), avec son organisation de moines-soldats résidant au château de Presles et dont la grande manifestation annuelle est une fête champêtre (à l’image de la fête de l’Huma du PCF), obtenait en quelque sorte une consécration ! Quelques célébrités du show-biz lui apportèrent même un soutien, dont le chanteur Alain Souchon et la dame patronnesse des miss France, Geneviève de Fontenay, la petite sœur des pauvres au grand cœur, comme chacun a pu s’en apercevoir ! Soutien retiré depuis qu’Arlette a refusé d’appeler à voter au second tour de l’élection présidentielle en faveur de « l’escroc, contre le facho ! »

La plus en vue aujourd’hui des organisations trotskistes est indéniablement la LCR. Elle vient avec succès de monter sur le devant de la scène médiatique une figure qui emplit les ondes et surtout le petit écran. Ayant compris la leçon donnée par LO, la LCR a réussi à son tour son lancement de fusée. Un jeune employé des postes va-t-il remplacer l’employée de banque retraitée ? On le voit partout en ce moment et, pour promouvoir un bouquin coécrit, Révolution ! 100 mots pour changer le monde, il n’arrête pas de courir les plateaux de radio et de télé : « Les Grosses têtes », « Y a un début à tout », « Archicon-Ardisson », « Cent minutes pour convaincre » (celui de Strauss-Kahn, avec qui il a pris un sérieux râteau !), LCI (interview — en famille — par un ex de la LCR qui a bien réussi, Edwy Plenel, dont on vient d’apprendre les exploits douteux de porte-plume d’un syndicat policier !), « Campus », etc., et cela n’est pas fini. Les journalistes aiment bien ce facteur lettré et son côté jeune séminariste à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession, révolutionnaire certes mais bien poli et attentif, qui a son mot à dire sur tous les sujets. C’est prioritairement en direction de la jeunesse que son discours s’adresse, à ces jeunes dont il se voit être le porte-parole dynamique. L’ancien candidat à la présidentielles, fier de son score inespéré de 4,25 % (près d’un million de voix) a tout lieu d’afficher sa satisfaction. Talonnant le PCF en voie de décomposition (mais la bête remue encore…), ses copains et lui rêvent de le remplacer, notamment auprès de la mythique « classe ouvrière » ! Pour y arriver les militants de la LCR ratissent large : prêts à récupérer tout ce qui bouge dans la société, tout ce qui est perçu comme « dans le vent »… de l’Histoire bien entendu ! En effet, on les voit dans toutes les manifestations, bien groupés, slogans à l’appui, fidèles à ce dessin humoristique de Wolinski qui montrait dans les années soixante-dix une manif de la CGT derrière une banderole revendiquant « la retraite à 60 ans ! », suivie à une distance respectueuse par un groupe trotskiste arborant sa pancarte « la retraite à 59 ans ! ». Toujours plus à gauche de la gauche. Ce n’est pas du 100 % mais… du 150 % !

Imbattables et experts en démagogie, ces trotskistes sont même prêts à critiquer leur idéologue Trotski, concédant qu’il avait été un tantinet « autoritaire » (doux euphémisme), le remplaçant dans leur imagerie par celle du charismatique « Che ». Pas Chevènement, bien sûr, mais celle de Guevara « parce que très coté chez les jeunes » (sic) ! Toujours à la recherche de l’image positive, branchée…

Et de passer la brosse à reluire sur tous ceux qui semblent être porteurs, car possédant une image positive. Ainsi leur groin va-t-il fourrager du côté de la bonne Louise Michel, de Zapata et même des libertaires…

Faudrait quand même pas prendre les enfants de Bakounine pour des canards sauvages ! Mais oui, « le libertaire » ne leur fait pas peur ; il est même « tendance », à la mode. Pensez aux libéraux-libertaires (lis-lis) à la Dany Cohn-Bendit, qui ont tout du libéral, mais absolument rien de libertaire ! D’ailleurs, ces deux termes antinomiques et récupérateurs ne sont rien d’autre qu’un attrape-couillons pour bobos (bourgeois bohèmes) !

Et de prôner aussi l’autogestion économique et sociale de la société comme perspective révolutionnaire. Ben voyons, comment marier la carpe et le lapin ? À la sauce trotskiste cela donne une autogestion à la Tito, où le pouvoir des travailleurs yougoslaves se résumait au seul droit d’autogérer leurs chiottes, et encore ! L’État et le Parti disparaîtraient-ils par enchantement dans le bestiaire trotskiste ? À moins qu’un modèle guévariste ne les attire encore, comme celui du sucrier barbu des Caraïbes !

Ces 100 mots…, ce n’est rien d’autre qu’un catalogue creux constituant un véritable miroir aux alouettes, destiné à piéger tous les gogos attirés par le chant de leur sirène et à venir renforcer le futur grand parti des travailleurs que la LCR envisage, rêvant de se substituer un jour au PCF. Cette « pêche à la ligne » des trotskouillons rappelle celle, heureusement disparue, que pratiquaient aussi en leur temps les stalino-pékinois !

Après les cocos, voici les coucous ! Toute cette stratégie peut paraître naïve, voire sympathique, si nous n’y regardions de plus près. En effet, leur infiltration dans un certain nombre d’organisations est bien réelle. Cet entrisme est délibéré, à l’instar de leurs frères jumeaux du PT ; et ces champions de la démocratie ouvrière sont en passe de coloniser et de mettre la main sur nombre d’entre elles. En voici une illustration :

Reprenons l’exemple précédemment cité de « l ’École émancipée », cette tendance historique du syndicalisme enseignant révolutionnaire. À peine était-elle débarrassée de l’OCI que la LCR commençait à investir la place encore toute chaude et y pondait à son tour son œuf de coucou (cet épisode est bien raconté par Gaby Cohn-Bendit, alors anarcho-syndicaliste et membre de l’UAS, dans son livre Nous sommes en marche). Leur objectif, clairement affiché, était de prendre la direction de l’ÉÉ, et d’éliminer ceux qui s’y trouvaient. Et ils vont le faire, lentement mais sûrement, d’autant mieux que l’éclatement de la FEN, avec la création de la FSU proche du PCF, va voir bon nombre de militants quitter le terrain du compagnonnage à l’ÉÉ, rejoignant pour certains les syndicats SUD, voire la CNT, ou s’évaporant dans la nature… Les trotskistes de l’ÉÉ vont alors négocier leurs places de bonzes syndicaux avec avantages ad hoc auprès de la direction de la FSU. Mais il restait un domaine sur lequel ils n’avaient pas pu foutre leurs pattes sales, c’était le contrôle de la revue l’École émancipée. Lire à ce sujet dans Le Monde libertaire : « Scission dans l’École émancipée » (janvier 2002), « Interrogations sur l’avenir de l’ÉÉ » (mai 2002), « Crapuleries trotskistes ! Hold-up sur une tribune libre » (juin 2002). Après avoir convoqué une AG bidon, nos tristes trotskistes, qui ont aujourd’hui de solides moyens financiers, ont sorti une seconde revue du même nom, sorte de Canada-dry insipide (« ÉÉ rouge » ou « ÉÉ-LCR », ou « ÉÉ-FSU ») de l’authentique revue qu’ils tentent de faire interdire devant les tribunaux. Ils ont emporté la première manche… Affaire à suivre, et de très près ! La résistance s’organise solidairement contre ces coucous de mauvaise augure…

Face à ces multiples offensives des sectes trotskistes, il est important de démontrer qu’elles représentent un danger bien réel pour les organisations et les luttes démocratiques qui se font un peu partout dans le monde. Leurs objectifs et leurs pratiques sont à pointer du doigt, inlassablement.

Mais s’ils sont des maîtres en récupération, il est souvent fort réjouissant de constater qu’ils sont aussi les premiers à être récupérés par le système. Qu’elle est longue et instructive la liste des ex-trotskards renégats, à avoir bifurqué vers les horizons plus confortables du pouvoir politique, vers tous les endroits d’ailleurs où il y a la moindre parcelle de pouvoir… au Parti socialiste, dans les médias, et même… au Medef !

Comme nous avons jadis combattu le stalinisme, nous allons dorénavant devoir combattre le(s) trotskisme(s), car dangereux pour la démocratie et les libertés !

Henri Portier


Au fait, Trotski, vous connaissez ?

C’était ce révolutionnaire russe qui devint, après la révolution de 1917, le fondateur et le grand manitou de l’Armée rouge. Non seulement cette armée contribua à combattre les armées tsaristes contre-révolutionnaires des blancs, mais également à éliminer physiquement tous ceux qui s’opposaient à la politique léniniste de dictature des soviets ; bref, tous ceux qui démocratiquement refusaient la dictature des bolcheviques sur le prolétariat. C’est ainsi qu’en 1921 fut écrasé dans le sang le soviet libre (conseil ouvrier) de la ville de Kronstadt, à forte dominante anarchiste, qui avait été le fer de lance de la révolte révolutionnaire contre le tsarisme ! Et c’est Trotski (avec la bénédiction de Lénine) qui donna cet ordre : « Il faut les tirer comme des lapins ! » Ce fut lui aussi qui, par des trahisons et guet-apens répétés, réussit à éliminer physiquement l’état-major de l’armée des partisans (paysans) libres ukrainiens dirigée par l’anarchiste Nestor Makhno. Armée de paysans révolutionnaires, la Makhnovstchina avait mis en déroute les armées blanches de Dénikine, celles-là même qui avaient auparavant infligé des revers catastrophiques à l’Armée rouge de Trotski.

Lénine, après une attaque cérébrale (due en partie à sa syphilis), et ne disposant que de quelques rares moments de lucidité par jour, rédigea un « testament » pour envisager sa succession (comme un grand patron, celle de la multinationale du bolchevisme). Dans le conflit latent qui opposait Staline à Trotski, il ne put trancher entre les deux bouchers, entre la brutalité de l’un et le bureaucratisme aveugle et inquiétant de l’autre ! Et c’est le plus malin, Staline, qui l’emporta… et élimina son concurrent. Trotski, déchu de sa nationalité, fut condamné à l’exil en 1929. Le « Vieux », comme on l’appelait alors, persona non grata dans de multiples pays, erra quelque temps avant d’être accueilli au Mexique. Pendant son court séjour en France, je tiens à rappeler que c’est un camarade communiste libertaire, Raoul Faure, instituteur pionnier du mouvement Freinet, qui — sans rancune — l’accueillit et l’hébergea quelque temps en Isère…

Fondateur de la ive Internationale, Trotski passa le reste de sa vie à élaborer des théories « gauchistes » (au sens de « à gauche du léninisme ») passant par la révolution permanente, etc., ce qui lui attira la sympathie de quelques intellectuels. Son opposition constante au stalinisme, dont les crimes apparurent au grand jour lors des procès de Moscou, lui valut d’être assassiné en 1940 par les services secrets politiques, ceux-là même qu’il avait contribué à créer en URSS.

Sa fin sinistre fut explicitement commentée par ce remarquable apophtegme d’une vieille anarchiste espagnole : « On a le piolet qu’on mérite ! » Fermez le ban…

H. P.