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Musique

« Profiter du temps » de François Béranger

Le jeudi 20 mars 2003.

Allez, on l’avoue ? C’est toujours avec un peu d’appréhension que j’apprends la sortie d’un nouveau Béranger. Vague inquiétude de replonger brutalement dans les années 70, l’émancipation individuelle et sociale à portée de main, les derniers coups de boutoir contre un grand capital d’autant plus brutal qu’il est acculé, tout ça ; et puis, inutile de tourner autour du pot, l’époque où Béranger brandissait ses quarante balais comme un défi à la face de ce public de teenagers qu’il refusait de caresser dans le sens du poil, et qui le lui rendait bien. Crainte donc de constater que Béranger a vieilli, et de mesurer à cette aune mon propre vieillissement. De ce point de vue, le titre « Profiter du temps », écho mi-optimiste, mi-résigné à l’article sans suite de 1980 n’est pas vraiment rassurant. Mais bon, le dernier Béranger, je peux quand même pas laisser passer ça.

Que dire ? Même au rythme d’un disque tous les cinq ans, on a eu le temps de se faire à l’abandon depuis déjà belle lurette du créneau rock (juste une réminiscence par CD histoire de garder la forme) au profit de musiques dansantes, de la ritournelle au tango, généralement composées par Lalo Zanelli. Rien de vraiment neuf de ce côté dans le dernier cru.

Ni — heureusement — dans cette façon de « participer au présent » qui n’appartient qu’à Béranger.

On remarquera, en revanche, le retour en force de chansons, comment dire, d’amour (« mais toutes les chansons sont des chansons d’amour », se rappellent les vieux fidèles) ; la très bonne reprise de « Mamadou m’a dit » qui n’a malheureusement rien perdu de son actualité vingt-cinq ans après ; l’allusion rituelle à la guerre d’Algérie ; la chanson la plus réussie qui risque hélas d’être durablement plombée par son titre :

« Les enfants rahélés », sortie, coïncidence désastreuse, en plein coup de pub de la secte que vous savez ; le retour en guest stars de Jean-Pierre Alarcen et de Jean-Yves Lozac’h ; la voix intacte, inimitable, si habilement maladroite, de Béranger ; et une relative bonne humeur qui tranche avec l’ambiance de ses CD récents.

Et me voilà finalement rassuré : si Béranger vieillit, il vieillit bien. Assez bien pour que j’aie la surprise, rentrant chez moi, de surprendre mes pré-ados de filles en train de passer « Profiter du temps » sans me demander la permission. Elle est pas belle la vie ?

François Coquet