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Le Destin de Bush et le déclin du capitalisme US

Le jeudi 13 mars 2003.

Quelle est la véritable signification de la deuxième guerre du Golfe annoncée ? Comme toutes les guerres, la recherche des vrais mobiles et des causes alimente les débats et ajoute à la confusion.

Bush le petit

La responsabilité des leaders est évidente. George Bush, par exemple, fils de « bonne famille », n’est-il pas au fond un rejeton raté, actuellement en phase de montrer au père géniteur qu’il est enfin arrivé à un état de masculinité sans reproches ? Caricature du « petit homme » de Wilhelm Reich, roulant des mécaniques en blouson d’aviateur pour se convaincre qu’il maîtrise quelque chose. Car il faut préciser : détenir le pouvoir n’est pas forcément le maîtriser. Et Bush le petit n’arrive pas à s’en convaincre.

En même temps, loin d’être un « intellectuel » malgré son éducation élitaire, il y a de fortes indications pour que ses invocations fréquentes du Saint-Esprit soient tout à fait sincères. Pendant sa campagne électorale, Bush fut interviewé par un journaliste sur « l’homme qu’il admirait le plus ». Il répondit : « Jésus-Christ ». Comment interpréter cette réplique ? Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la religion sur la mentalité des personnes, surtout aux États-Unis où 54 % des sondé(e)s disent qu’elle tient une place très importante dans leur vie (contre environ 15 % en France, en Angleterre et en Allemagne). En général, la « foi » comble un vide émotionnel ou une déficience analytique. Que notre petit homme soit véritablement croyant ne doit pas dans ce cas nous étonner.

Toutefois, en dehors de sa foi chrétienne, le petit Bush est un vrai cynique qui a le plus profond mépris des personnes qui n’appartiennent pas à son petit monde. Ce constat est net si l’on songe aux anecdotes sur la famille Bush relatées dans le dernier livre de Michael Moore, Stupid White Men. Les Bush se moquent éperdument de l’opinion des autres. Ils sont l’élite de la classe capitaliste. Donc, exécuter des êtres humains à tout va dans le Texas ou pulvériser des Irakiens ne leur pose aucun problème moral, pas plus que cela n’en pose à Ariel Sharon de massacrer des Palestiniens ou à Vladimir Poutine des Tchéchènes. Que les dirigeants se pensent dans leur bon droit n’est pas nouveau et fait partie de l’arrogance propre aux classes dites « supérieures ».

Les « causes » d’une guerre annoncée

Dire que les guerres sont partie inhérente du système capitaliste peut sembler réducteur. Cependant l’acharnement guerrier du gouvernement Bush est à l’évidence une réponse à une crise financière certaine, conséquence de la relation entre le dollar et l’euro.

Le dollar domine les transactions financières internationales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : situation institutionnalisée par la création du Fonds monétaire international (FMI) en 1944. Jusqu’en août 1971, le dollar était basé sur l’or à taux fixe et inchangeable, ce qui donnait une grande stabilité aux échanges monétaires. Le FMI assurait, en outre, le remboursement des créanciers. Les paiements se faisaient en dollars, ce qui permettait le renflouement des banques états-uniennes et l’impression de dollars en grande quantité malgré l’affaiblissement croissant de l’économie.

L’euro perturbe considérablement la santé du dollar, les revenus des grandes sociétés et les institutions financières. Pourquoi ?

Il est probable que le pétrole irakien joue un rôle central dans la hausse quelque peu spectaculaire du taux de l’euro dans les échanges. En octobre 2000, l’euro ne valait que 0,82 $.

Aujourd’hui, il vaut bien plus qu’un dollar. Saddam Hussein semble en partie responsable de cette mauvaise évolution car, depuis novembre 2000, le pétrole irakien est coté en euros. D’autres pays règlent aussi leurs échanges commerciaux en euros, surtout au Moyen-Orient. Quant aux pays exportateurs de pétrole, ils ont tout à fait intérêt à suivre cette tendance car les Européens représentent de loin leur principal marché.

Quelles seraient les conséquences du choix de l’euro dans les échanges commerciaux mondiaux ? Une aubaine pour les banques européennes. Par contre, le dollar, déjà en baisse, pourrait encore être plus surévalué. Plus question d’augmenter le nombre de dollars en circulation pour subvenir aux besoins d’une économie de moins en moins productive.

À cette perspective peu reluisante pour l’économie états-unienne, il faut ajouter l’attrait que provoque l’euro pour les capitalistes russes et chinois, bien que les échanges commerciaux avec l’Europe se fassent en général en dollars. Le manque de stabilité du dollar, indissociable de l’arrogance de la politique étrangère du gouvernement des États-Unis, ne rassure guère cependant les dirigeants des deux pays où les facteurs de production sont prometteurs pour les élites. La zone euro servirait les futurs maîtres du monde.

Dans cette situation de crise potentielle pour l’économie du dollar, il n’est pas étonnant que soient mis en œuvre des moyens d’une extrême violence. L’enjeu est si important que même le souci de maintenir une façade de légitimité morale et juridique n’est plus de mise pour les dirigeants des États-Unis. Bush, Cheney, Rumsfeld et les autres n’ont que faire des victimes d’une guerre ou de la nature des régimes politiques. Ce qui leur importe, avant tout, c’est la logique implacable d’un système économique qui a largement épuisé sa force concurrentielle.

Bush et la dégénérescence

Le destin de Bush représente la dégénérescence d’un système politique de moins en moins capable de contenir les exigences du capitalisme dans sa phase impérialiste. De plus en plus, les droits civiques sont bafoués et font place à la répression ; l’accroissement du nombre de prisons et de la proportion de la population qui s’y trouve le prouvent.

Ajoutez la dérive sécuritaire à la crise du dollar lié aux besoins de contrôler les ressources pétrolières, et vous avez les éléments clés pour comprendre les motivations de ce gouvernement pour une guerre qu’il qualifie de « préventive ». La prévention dont il est question ici n’a pas grand-chose à voir avec les « armes de destruction massive » que posséderait l’Irak. Et voilà la « ruse de l’histoire » : un nabot se transforme en faux géant pour mettre le monde à feu et à sang pour sauver un « empire » voué à disparaître.

Larry Portis