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Informations brèves et décousues sur les migrations

Le jeudi 13 mars 2003.

Tchétchénie : épuration ethnique avec la complicité des puissances occidentales



Ce sont des crimes de guerre à répétition qui se produisent à Grozny, capitale en ruine de Tchétchénie. Les témoignages sur le génocide tchétchène se multiplient, à propos d’exécutions sommaires, tortures, assassinats, au nom de l’antiterrorisme. Car aux yeux de Poutine et de sa clique, tout Tchétchène est un terroriste en puissance ou alors un maffieux.

Mais la Russie reste une puissance mondiale à ménager. Elle est entrée aujourd’hui dans le G8, groupe des huit États les plus riches du monde et s’aligne sur la politique paranoïaque des États-Unis, toujours au nom de la lutte contre le terrorisme. Contre « l’axe du mal », voici un axe Moscou-Washington-Londres et bien d’autres.

Au nom de cette lutte, l’usage de la torture est pratiquement légalisé, que ce soit en Russie contre les Tchétchènes ou aux États-Unis, notamment dans sa base « cubaine » de Guantanamo. Il y a de moins en moins de dictatures formelles dans le monde, mais des régimes se disant démocratiques ne se cachent plus pour torturer, assassiner y compris des civils.

Plus soucieux de leurs intérêts d’États et de leurs parts de marchés, la France et l’Europe laissent faire, voire se permettent de renvoyer des leaders tchétchènes vers la Russie.

Ainsi, Lom-Ali Aldamov, un ancien ministre indépendantiste tchétchène, vient de passer dix-neuf jours en zone d’attente à Roissy. Auparavant, il avait obtenu le droit d’asile en Géorgie, pays de l’ex-URSS. Pendant trois ans, il resta en Géorgie, avant qu’une série d’arrestations de militants tchétchènes ne l’incite à quitter ce pays pour arriver finalement à Roissy le 17 janvier 2003 et y demander l’asile politique. Le 20, il est entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères. Cinq jours plus tard, il reçoit un refus de la part du ministère de l’Intérieur au motif que sa demande est « manifestement infondée » et n’ayant pas pu, dans un premier temps, fournir de passeport.

Il faudra finalement l’action d’associations, dont l’Anafe (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) et le Comité Tchétchénie de Paris ainsi qu’un recours le 6 février contre la mesure de refoulement au tribunal administratif de Pontoise pour que L.A. Aldamov soit autorisé à rentrer sur le territoire français pour y entamer une démarche auprès de l’Ofpra (Libération du jeudi 6 février 2003). Un petit désaveu pour Sarkozy, qui entendait éviter toute vague à quelques jours de la venue de Vladimir Poutine à Paris.

Vers une réforme du droit d’asile en France

L’épisode ci-dessus montre à quel point le ministère de l’Intérieur entend s’emparer de ce dossier du droit d’asile. Si même un ancien ministre étranger est interdit d’accueil en France, quel sort attend la plupart des personnes demandeuses d’asile ?

Le gouvernement a donc prévu de réformer le droit d’asile en France, en se couvrant derrière une harmonisation européenne, les deux allant dans un sens restrictif. Il y a urgence de mesures pour que les demandeurs d’asile aient un minimum de conditions matérielles décentes, notamment un hébergement. Ce sont des mesures que la gauche plurielle au pouvoir pendant cinq ans aurait pu prendre et n’a pas voulu entreprendre, laissant encore une fois ce terrain à la droite.

Or, les mesures qui s’annoncent désormais prévoient surtout de nouvelles restrictions du droit d’asile. Ainsi Sarkozy pense-t-il résoudre les questions d’hébergement, puisque tout sera mis en œuvre pour que les réfugiés n’accèdent pas au territoire. Le projet de loi Sarkozy-Villepin qui devrait être discuté en mars multiplie les cas de figures où le demandeur d’asile est hors jeu.

On ne se plaindra pas de la remise en cause de « l’asile territorial » (asile temporaire accordé à des personnes issues de pays en proie à un état de guerre civile ou d’actes de terrorisme). Mais l’inclusion de ces cas de figure dans le cadre général du droit d’asile en France, ce qui est a priori positif, ne laisse pourtant pas d’espoir sur une amélioration de traitement des demandeurs d’asile en France. C’est en fait vers un affaiblissement du principe d’asile conventionnel (Convention de Genève de 1951) auquel on va assister. Et il va falloir se battre pour y faire face, d’autant que l’Ofpra (office français de protection des réfugiés et apatrides), qui était sous la seule tutelle du ministère des Affaires étrangères, sera sous surveillance du ministère de l’Intérieur (Sarkozy, encore une fois super-ministre).

Ainsi, le texte à discuter au Parlement propose d’instaurer une « protection subsidiaire » en lieu et place de l’asile territorial. Cette protection ne serait valable qu’un an, renouvelable, mais « pourra être refusé à tout instant » en cas de menace simple à l’ordre public.

L’Ofpra pourra refuser d’étudier le fond d’un dossier, s’il estime que le candidat à l’asile peut trouver protection « sur une partie du territoire de son pays ou sur une zone sécurisée gérée dans un pays voisin par les Nations Unies ».

Selon le quotidien Le Monde du 21 janvier 2003, « des procédures prioritaires ont été imaginées pour tenter de réduire encore les flux. L’examen de la demande sera accéléré dans les cas supposés frauduleux par la police ou la préfecture ou lorsque le demandeur dépose sa demande alors qu’il se trouve en centre de rétention en vue de son éloignement ». De la même manière, des procédures accélérées sont prévues dans le cas où l’étranger est issu d’un « pays considéré comme un pays sûr ». Ainsi, des pouvoirs supplémentaires sont accordés à la police aux frontières pour retenir des personnes en zones d’attente, statuer à la place de l’Ofpra et, au final, refouler ces personnes.

Par ailleurs, le droit de contrôle du HCR (Haut-commissariat aux réfugiés) est particulièrement écorné puisque le projet de loi évince tout représentant du HCR de la Commission de recours des réfugiés (CRR).

Le Forum réfugiés dénonce également « l’absence d’indications précises sur le délai au terme duquel le demandeur se verra remettre par les préfectures un "document lui permettant de déposer une demande d’asile" et dont l’énoncé est renvoyé à un décret en Conseil d’État. C’est pourtant ici que les lois de la République sont le plus malmenées, par les pratiques dissuasives de certaines préfectures qui n’ont de cesse de renvoyer ailleurs et à plus tard les demandeurs d’asile qui se présentent à elles pour demander protection. Pratiques que le précédent ministre de l’Intérieur a laissées s’installer et que l’actuel n’a pas encore rectifiées ».

En résumé, il faut dénoncer l’attitude hypocrite qui consiste à se retrancher derrière une harmonisation européenne pas encore arrêtée et à retenir de cette harmonisation future les mesures qui précarisent le plus les personnes demandeuses d’asile, notamment celle qui remet en cause le principe du statut de réfugiés et l’octroi d’une carte de résident permanent (10 ans renouvelables) pour les réfugiés statutaires, en donnant la possibilité de substituer à ce statut une « protection subsidiaire » d’un an, renouvelable sous condition.

Hervé