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Venezuela, carrefour pour nulle part

Le jeudi 13 mars 2003.

Le 2 décembre 2002, le gouvernement vénézuélien présidé par Hugo Chavez faisait face aux trois grèves appelées par la CTV (principale centrale syndicale), Fedecámaras (syndicat patronal) et la Coordinadora Democrática (coalition de partis d’opposition et de diverses organisations civiles). En à peine un an, le gouvernement a subi les coups de tempête d’une grève générale, un coup d’État, deux arrêts d’activité et la mobilisation populaire croissante de rejet et aussi d’adhésion à son mandat. Que s’est-il passé avec ce que l’on a appelé la « révolution bolivarienne [1] » — choisie en 1998, et relégitimée dans les urnes en 2000 par une majorité brumeuse — qui a provoqué la crise politique vécue ces derniers temps par le pays sud-américain ?

L’évolution de la Constitution, adoptée en 1999, tronqua dès le départ une réelle participation populaire : six mois pour cristalliser la rédaction d’une nouvelle Constitution, où la majorité officielle à l’Assemblée et élue pour cela se passa d’un réel débat et d’un consensus. Cette anecdote ne fut pas une exception, mais une démonstration du renouvellement des bureaucraties et de l’exclusion camouflée après les appels à la mobilisation populaire. Les principaux partis chavistes (MVR, MAS-oficialista et PPT), en plus d’acteurs issus des forces armées, occupèrent les principaux lieux de décision de l’État sans les transformer, ni substantiellement ni de façon révolutionnaire : des institutions clés comme le Conseil national électoral, le Tribunal suprême de justice ou la principale industrie du pays les Pétroles de Venezuela SA (PDVSA).

Un autre élément catalyseur de la crise a été l’impossibilité manifeste de concrétiser dans les faits les propositions de combattre la corruption, diminuer la pauvreté et augmenter la qualité de la vie en général (pour les chiffres, consulter le rapport annuel de l’organisation des droits humains Provea sur www.derechos.org.ve).

La grève

Le mercredi 4 décembre, deux jours seulement après son début et avec un succès relatif dans la moyenne et grande industrie privée, la grève montrait des signes de faiblesse. Le ralliement des travailleurs de la Marine marchande et de PDVSA fut un signe décisif. Il y eut de plus une dynamique croissante de mobilisation, progressivement interclassiste, de personnes sans appartenance à des partis politiques et dont beaucoup d’entre elles avaient voté pour Chavez à la dernière consultation électorale. Ceux qui avaient appelé à la grève générale mirent en évidence une stratégie obscure, peu claire et contradictoire. Indistinctement, ils demandèrent la démission du président, la réalisation d’un référendum consultatif, la tenue d’élections immédiates, l’application de la Charte interaméricaine démocratique de l’Organisation des États américains et la prise du pouvoir par des membres des forces armées (coup d’État). Cette dernière demande fut écartée après la « suggestion » du Département d’État des États-Unis « d’élections anticipées » comme sortie de la crise.

Ceux qui s’opposent à Chavez se trouvent dans un éventail politique multicolore qui va de la droite la plus récalcitrante à l’extrême gauche. Des intellectuels et activistes révolutionnaires de longue date comme Domingo Alberto Rangel, Agustín Blanco Muñoz, Rafael Iribarren, Humberto D’Carli y Nelson Méndez ont évoqué les inconsistances d’un gouvernement aux paroles incendiaires, aux attitudes populistes et incompétent ; et ont en pris leurs distances avec les secteurs qui appauvrirent le Venezuela durant quatre décennies et qui ont capitalisé, relativement, le mécontentement contre le régime.

Le présent, le futur

Au moment où cet article est écrit, il est question de la tenue du référendum consultatif, une modalité électorale cautionnée par la nouvelle Constitution mais, paradoxalement, éludée par le président qui l’a décrétée. Des secteurs favorables au président et l’opposition commencent à envisager la possibilité de réaliser une réforme constitutionnelle qui réduise la période de la présidence et ouvre le chemin à des élections générales anticipées. Entamer un nouveau processus constitutionnel, sans les limitations et les manipulations de la précédente édition, est une autre proposition qui a rencontré de l’écho dans les discussions. D’autre part, la création d’un « Groupe des amis du Venezuela », emmené par le Brésil, et intégré par des pays comme le Mexique, le Chili et les États-Unis prétend fortifier le travail de médiation dans le conflit que le secrétaire général de l’OEA, César Gaviria, a commencé il y a deux mois au Venezuela. Tout cela dans un contexte d’intolérance et de polarisation, et dont la violence politique a coûté la vie à au moins 48 Vénézuéliens au cours de la dernière année dans des affrontements de rue.

L’illusion persiste que Chavez aurait initié un quelconque type de révolution socialiste. Il faut revoir les conditions dans lesquelles son gouvernement a négocié, récemment, la concession de l’exploitation de la plus grande réserve de gaz du pays, la Plate-forme Deltana, aux transnationales British Petroleum, Exxon Mobil, Chevron Texaco et Statoil pour trente ans. Démonter la supercherie est une tâche ardue tant à l’intérieur qu’en dehors du pays, et ceux qui le font dans une démarche révolutionnaire subissent les moqueries (« agents de la CIA », « laquais de l’oligarchie », etc.) et la menace (Blanco Muñoz, pour citer un exemple, a comptabilisé quarante appels téléphoniques de menaces de mort).

Et les libertaires dans tout ça ? Nous savons parfaitement que des élections aboutiront à un partage du gâteau qu’est l’État, en recomposant les alliances entre partis et la place des nouvelles et des anciennes bureaucraties au sein du pouvoir. Notre travail doit conjurer les risques de l’immédiateté et être placé au cœur de l’effervescence de divers ordres, avec des valeurs et des politiques autonomes et anticapitalistes. Transformer la déception croissante des citoyens, face aux représentants médiatiques de quelque tendance que ce soit, avec la motivation principale de construire une alternative distincte et qui leur soit antagonique. « Capitaliser » dans les consciences les espaces actuels ouverts de participation populaire et l’expérience de mobilisations citoyennes vécues ces dernières années. L’inefficacité du projet étatique de Chavez et la proposition néolibérale présentée par la Coordination démocratique, proposition illustrée par la situation de nos voisins argentins, seront des motivations pour continuer à tisser des réseaux qui valorisent notre proposition auto- gestionnaire et anticapitaliste.

Rafael Uzcátegui


Rafael Uzcátegui écrit pour le journal El Libertario de Caracas.


[1Du nom de Simon Bolivar, fondateur du pays, ndt