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Pornographie

libération ou asservissement ?
Le jeudi 13 mars 2003.

Pensée par des hommes pour des hommes, la pornographie a évolué au cours des siècles, et la société contemporaine nous laisse acccroire que, maintenant investie par des femmes, elle serait une avancée sociétale.



La plupart des dictionnaires définissent la pornographie comme la représentation complaisante de faits obscènes — qui choquent la pudeur — concept subjectif et variable selon les époques, les pays et les cultures. Ce qui était qualifié de pornographique au xviiie siècle nous paraît aujourd’hui bien désuet : la vue d’un sein dénudé, d’une cheville…

La pornographie comporte à la fois une dimension provocante et mercantile. Il convient cependant de la distinguer de l’érotisme, lequel peut être également provoquant et poursuivre un objectif commercial mais il dépeint des expériences affectives et sexuelles entre partenaires s’y prêtant de leur plein gré et avec réciprocité dans le but recherché de décupler le plaisir sexuel par des jeux érotiques pour parvenir à la jouissance.

La pornographie n’exprime aucun affect. Les partenaires sexuels se scindent en deux catégories : les dominants — hommes — et les dominées — femmes ou enfants — utilisés comme des objets. La sexualité sert alors d’alibi pour créer ou renforcer une inégalité. Les femmes (ou les enfants dans le cas de pédopornographie) sont alors représentées dans des situations dégradantes, avilissantes, montrant qu’elles ne peuvent trouver du plaisir que dans la soumission et l’humiliation. La pornographie fait l’apologie de la violence envers les femmes, voire les enfants, où l’homme domine par son sexe triomphant.

Indépendamment de l’aspect commercial, la pornographie se différencie de l’érotisme en cela qu’elle n’a aucune recherche esthétique, ne faisant appel qu’à une réalité crue, scatologique, limitée aux organes génitaux, au contraire de l’érotisme qui suggère souvent plus qu’il n’explique une situation intime.

La pornographie ne met en scène que l’aspect physique du corps, l’érotisme joue avec la personnalité entière de l’individu.

Le cyberporno

Si la pornographie a évolué au cours des siècles, peintures découvertes sur les murs des maisons closes de l’Antiquité, écrits et chansons servant parfois d’exutoire aux écrivains officiels, elle s’est développée en trente ans de façon exponentielle et son contenu est devenu extrêmement violent. Internet a fait exploser la pornographie en permettant l’ouverture de nouveaux marchés. En 1996, on comptait 30 millions d’internautes, en 2001, on arrivait à 500 millions ! Le commerce pornographique se fait principalement entre pays à économie développée mais tend actuellement à s’étendre aux pays en voie d’expansion économique. Les sites pornographiques sont évalués à environ 450’000 sur l’ensemble du réseau. Ils proposent des vidéos, des photos, des catalogues de personnes prostituées, des sex-shops, des magasins de lingerie provocante dans le but d’exciter le ou les partenaires masculins. Avec les webcams, certains sites offrent des relations en direct avec de très jeunes filles ou des enfants. La communication est devenue internationale, et, en apportant de nouveaux marchés liés à l’industrie du sexe, 2,5 % du trafic total d’Internet véhiculeraient des images pornographiques, laissent aux utilisateurs tout loisir de visiter de tels sites sans craindre d’être repérés grâce à la complexité et à la technique du réseau Internet. La clientèle de ce marché est composée, d’après tous les sondages, d’hommes à 95 %. On peut y voir des scènes de torture, de viol et même des crimes dont le visionnage ne sera pas sanctionné. Certains sites ont été démantelés par la police parce qu’ils concernaient des personnes mineures. Cependant, les propositions de réglementation sont dénoncées au nom du droit à la liberté d’expression et au respect de la vie privée. Internet est à ce jour le seul espace de communication qui dispose d’un vide juridique pratiquement total.

Le contenu de la pornographie est devenu violent depuis plusieurs décennies. Déjà en 1976, aux États-Unis, le film Snuff avait provoqué des manifestations importantes, notamment de féministes, car il montrait en réel la torture, le meurtre puis le démembrement post mortem d’une femme. Cette escalade de la violence est expliquée comme une riposte au mouvement d’émancipation des femmes né dans les années 70 et qui mettrait en danger la suprématie masculine !

Vers 1976, le cinéma pornographique réalisait en France près de onze millions d’entrées dans les salles et tombait à deux millions en 1985 car dans cette période ont fleuri les sex-shops, les peep-shows, les mirodromes, le minitel rose ainsi que l’explosion de la vente de cassettes vidéo. La production des films pornographiques est le fait de grands groupes. En 2001, Vivendi Universal Canal + avait le monopole du marché de la pornographie au plan mondial.

Le contenu

La pornographie est avant tout une industrie du sexe qui utilise tous les ressorts commerciaux nécessaires à son expansion. Elle induit une vision misogyne des relations sexuelles entre les femmes et les hommes dans un rapport inégalitaire de domination et de violence de la part des hommes sur les femmes, reflet de la société patriarcale.

À l’inverse de la littérature érotico-pornographique comme L’Amant de lady Chatterley, Histoire d’O, Lolita, Emmanuelle, qui laisse au lecteur, à la lectrice, toute latitude pour transposer les faits dans son propre imaginaire, les films ne permettent pas à l’inconscient de se réapproprier les fantasmes qui sont projetés, car l’image est plus primitive et brutale et trop rapide.

La lectrice, ou le lecteur a une attitude active devant l’écrit et interprète les mots, les situations en les adaptant en fonction de sa personnalité et de son vécu et paradoxalement réinvente l’histoire.

Les images projetées sur l’écran ne permettent pas cette distanciation, cette réappropriation. Elles arrivent trop vite et ne permettent pas le recul nécessaire ou l’ajustement de l’inconscient et sont reçues de façon passive.

Le contenu des films pornographiques a évolué en quelques années vers plus de violence, de brutalité envers les femmes (mais aussi les enfants). En cela, elle est le fidèle reflet de la société capitaliste qui renforce les inégalités de classes et les inégalités entre les femmes et les hommes. Les corps de femmes sont montrés comme des objets sexuels, morceaux de viande, des marchandises, avec abus de gros plans pour montrer les pénétrations de tous les orifices et la jouissance finale attribuée à l’émission de la « semence » du mâle. Le pénis n’est filmé qu’en érection, symbole patriarcal de la puissance masculine, jamais avant ou après. L’émission du sperme étant dramatisé comme l’apothéose attendue de l’érection salvatrice qui inonde le corps abandonné de la femme. Les scénarios sont généralement absents car ces films ne cherchent qu’à satisfaire les besoins de domination des hommes sur les femmes, et même en créant des besoins (comme dans la publicité). Ces films ne montrent pas la sexualité entre hommes et femmes, laquelle ne se borne pas à la pénétration et fait intervenir la personne tout entière. La limiter aux organes génitaux lui ôte une part importante liée à la jouissance : l’imaginaire. La jouissance physique est une composante de la sexualité entre partenaires volontaires qui ne se limite pas à la longueur d’un sexe, ou à des pénétrations multiples tenant plus de records à battre que d’une recherche commune du plaisir. Le plaisir sexuel est subjectif et relatif selon les individus ; bander ne suffit pas pour parvenir à la réalisation complète de son être.

Une évolution sociale ?

La banalisation de la pornographie, loin de libérer ou d’émanciper les individus en détruisant les tabous de nos sociétés judéo-chrétiennes, ne fait que renforcer les fondements de la société capitaliste et patriarcale.

L’argent est le moteur et le but de la réussite (réussite sociale face au groupe et non réussite personnelle de l’individu) ; celle-ci ne peut éclore que dans un contexte social inégalitaire, où la force domine, où la liberté est réprimée, où les rapports entre les sexes sont des rapports de forces, lesquels se dégradent, où la domination des hommes sur les femmes se fait plus prégnante — recul des droits acquis, retour à l’ordre moral, renforcement du pouvoir des religions (diktats des intégristes et des fondamentalistes).

L’accès à plus de pornographie donne l’illusion d’une société libérée. Des femmes artistes revendiquent le droit à disposer de leur corps quand, en fait, elles investissent le champ accaparé par les hommes pour disposer, en fait, du corps des autres (tel le film Baise-moi) comme dans la guerre.

Les changements de comportements sexuels restent liés à la société libérale qui s’est dotée d’une nouvelle composante aliénante avec l’envahissement de la pornographie, qui perpétue la domination d’une minorité possédante sur l’ensemble des individus, l’exploitation étant la nature même du capitalisme.

Pendant que certains se nourrissent de situations perverses extrêmes — violences, tortures, viols, meurtres — ils ne participent pas à l’émancipation des individus et du groupe social.

Malgré l’évolution de la pornographie qui pourrait être perçue comme un exutoire aux pulsions agressives principalement masculines, conséquences de la société patriarcale, les crimes sexuels ont augmenté ainsi que les violences domestiques, les viols n’ont pas diminué, l’exploitation sexuelle des femmes, des enfants et des hommes, dans le système prostitutionnel, est grandissante.

Il n’y a pas de réelle libération sexuelle car les esprits n’ont pas suivi les corps, et cette dichotomie aboutit à un mal-être. Il ne suffit pas de multiplier les rapports sexuels pour être émancipé. La sexualité est un moyen pour parvenir à un mieux-être. La pornographie, loin d’avoir libéré les individus, les tient en dépendance, et les bénéfices qu’elle génère renforce la société capitaliste aux dépens d’une société libertaire composée d’individus adultes et épanouis. Allons-nous laisser faire ?

Jocelyne


Jocelyne est militante du groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste.