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La Précarité comme mode de gestion

Le jeudi 27 février 2003.

Les patrons usent de tous les moyens pour nous asservir. Au nombre de ceux-ci, la précarité. Une contre-offensive devient nécessaire…



Depuis la fin des années 1970 et le début des années quatre-vingt, le passage d’un mode de production fordiste à un mode de production dit « flexible » s’est effectué à marche forcée. Croissance exponentielle du recours par les entreprises aux CDD plutôt qu’aux CDI, à l’intérim, aux contrats sous-payés de type CES-CEC, par le privé comme par le public. Délocalisation et liquidation des établissements industriels à forte culture syndicale collective. Pratique maffieuse de course aux subventions à l’implantation et aux baisses de charges financées par les salarié(e)s pour le plus grand profit des entreprises.

Licenciements massifs. Annualisation du temps de travail, flexibilité imposée aux salarié(e)s induisant des amplitudes horaires importantes, concentrées, et complètement incompatibles avec la vie personnelle ou familiale. Tous les moyens sont bons pour :

 Augmenter la part des richesses qui est volée par le patronat et l’actionnariat : le taux « profit ». Après avoir joué sur la consommation dans une course mercantiliste, on joue sur les coûts de production. Dans les deux cas, les salariés sont les dindons de la farce : productivisme et ses effets destructeurs, aliénant pour les travailleurs, ou licenciement, restructurations, baisse ou gel des salaires, détérioration des conditions de travail, chômage structurel, précarité, surcharge de travail lié à la recherche de la productivité.

 Casser les réseaux de résistance sociale dans le monde du travail. Liquider les syndicats en réduisant les bastions syndicaux, en atomisant les lieux de production pour diluer le rapport de force afin de mieux le maîtriser, jouer sur les conditions de travail en démolissant les acquis sociaux grâce à la peur du chômage. Et si cela ne suffit pas, il reste le spectre de la société policière pour faire taire ceux qui osent encore l’ouvrir dans l’indifférence de la population résignée, ayant perdu toute confiance dans la validité de l’action collective.

 Faire supporter aux salariés le poids de la protection sociale. La part du salaire socialisée est alors présentée comme part patronale alors qu’il s’agit d’une part du salaire mutualisée pour assumer des dispositifs de sécurité sociale (assurance maladie, retraite) collectifs, donc d’une participation des salariés. Le patronat fait systématiquement peser la charge sur les salariés de l’ensemble des dispositifs de solidarité collective — ce qui ne nous étonne guère, nous les anarchistes —, son but étant irrémédiablement de maximiser les profits, quel que soit le prix, ce qui est totalement incompatible avec les intérêts des salariés qui, non contents de se faire boire leur sueur par ces vautours, gagnent jour après jour un peu plus de fardeau.

Cet antagonisme irrémédiable, c’est la lutte des classes, ce rapport de force qui oppose en permanence exploiteurs et exploités. Les patrons et actionnaires n’ont jamais cédé que sous la contrainte d’un rapport de force syndical et social. Il convient simplement de rappeler aux partisans de la cogestion, du « dialogue social » que la collaboration de classes n’a jamais mené à rien et que l’ensemble des acquis — dont cette part socialisée du salaires — a été obtenu par la lutte et le rapport de force.

À trop hanter les bureaux et les salons des patrons, les bureaucraties des confédérations syndicales réformistes liquident les acquis des salariés et creusent une jolie tombe à l’action collective qui risque bien de les engloutir eux de même, une fois qu’ils ne seront plus d’utilité.

L’outil principal de cette évolution économique et sociale est, nous l’avons vu, la précarité. Le vieux refrain du « si tu n’es pas content il y a 10 personnes qui attendent pour ton boulot » est bien connu. Le chômage de masse a une fonction politique et économique éminemment importante dans le cadre du capitalisme. La précarité, elle, permet de donner encore plus de poids à ce dispositif, en destructurant les dernières garanties déjà fort limitée en terme de droit contractuel et collectif quant à l’emploi. Elle permet de jouer sur les salaires, reprenant les vieilles recettes capitalistes du début du siècle. Le privé voit déjà le recours à l’intérim exploser, les agences esclavagistes que sont les ETT se chargeant de faire bien vite comprendre au salarié qu’il faut baisser les yeux et fermer sa gueule, accepter n’importe quel boulot dangereux dans n’importe quelles conditions de sécurité, sous peine de se voir rayer des listes de main- d’œuvre et de croupir au chômage…

L’acceptation de cet état de fait par les organisations syndicales est un recul considérable, les conditions de travail et l’absence flagrante de respect du droit du travail, déjà fréquent dans les autres cadres, étant encore plus monnaie courante dans les ETT. Ce mode de gestion devient tellement courant que les contrats plus « stables » de type CDI apparaissent comme des exceptions, des « privilèges ». Autant pour les statuts de droit public. L’État patron est devenu le premier employeur de précaires du pays, avec par exemple pour l’Éducation nationale environ 20 à 25 % de précaires dans les établissement du secondaire, voire jusqu’à 50 % localement. Voilà un terreau de choix pour les discours poujadistes et régressifs qui désignent les « fonctionnaires » ou les salariés de CDI comme des privilégiés… Nul besoin de dire que ce discours est inacceptable et que nous ne pouvons que viser une harmonisation autour du statut et du type de contrat le plus avantageux pour les salariés, et surtout, ce qui réglera définitivement le problème, l’abolition du travail salarié et l’égalité économique et sociale par la gestion directe des moyens de production et d’échange dans le cadre d’une économie socialisée…

Niveler par le haut et non par le bas. Tout cela est encore une question de répartition des richesses. Nous devons dans nos syndicats et sur nos lieux de travail dire et répéter que le problème essentiel provient du vol des richesses que nous produisons par le patronat et le salariat. Qu’il est possible de financer des emplois, une protection sociale, en arrachant aux patrons une part de ce qu’ils nous ont volé. Et qu’il est plus que jamais nécessaire de construire ici et maintenant le rapport de force, par les luttes, qui nous permettra de nous réapproprier les richesses que nous créons et les moyens de production et d’échange, car nous ne saurions nous contenter du partage de la misère et des miettes, et nous n’acceptons pas ce vol que nous subissons sous la contrainte…

Les luttes de précaires, menées depuis quelques semaines par les pions et les emplois jeunes, par les intermittents, par les salariées d’Arcade, l’année dernière par les McDo et les Quick, la syndicalisation qui se développe à la force du poignet dans le secteur, voire le développement du syndicat révolutionnaire et anarchosyndicaliste qu’est la CNT dans six McDonald’s parisiens et sa reconnaissance par les salariés ouvrent des perspectives dans la création de ce rapport de force, dans les lieux de travail, sur la voix d’un retour à l’offensive des salariés dans la lutte des classes, sans lequel il ne saurait exister de perspective révolutionnaire de rupture avec le capitalisme.

Nous devons nous attacher à retisser les réseaux de résistance sociale sur une base de lutte, sans compromis cogestionnaire avec les structures de domination. Redonner du sens au terme solidarité, et à l’idée essentielle d’autonomie individuelle, force collective. Faire circuler les informations et les analyses pour faire reculer la pensée totalitaire que constitue la perspective capitaliste et autoritaire et cesser de se battre sur le terrain de l’adversaire en acceptant les postulats qui ne sont pas les nôtres. Le développement de réseaux anarcho-syndicalistes ou syndicalistes révolutionnaires trans-syndicaux est à ce titre extrêmement intéressant. Pour en finir une fois pour toute avec l’exploitation et la domination, reprenons l’offensive dans le monde du travail comme dans l’ensemble des rapports sociaux, contre le capitalisme, l’État, le patriarcat… C’est à ce prix que nous pouvons nous donner les moyens de vivre libres et égaux, politiquement, économiquement et socialement, dans une société sans classes et sans État.

Sam


Sam est militant du groupe Durruti de la Fédération anarchiste à Lyon.

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