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Le « droit d’ingérence », et voilà le résultat

Encore la guerre !

Le jeudi 20 février 2003.

Depuis une douzaine d’années, depuis l’effondrement de l’empire soviétique en fait, le principe du « droit d’ingérence » est proclamé par des personnalités et des groupes qui ratissent large : les gouvernements occidentaux, les intellectuels autoproclamés de « l’humanitaire », les lobbies écolo-humanitaires, les bonnes âmes sociales-démocrates. Une fois que les statues de Lénine ont été déboulonnées en Russie ou ailleurs, les opérations d’ingérence se sont multipliées au nom du droit international : Koweït (1991), Somalie (1992), ex-Yougoslavie (1995), Kosovo (1999), Afghanistan (2002).

De la même façon que nous n’étions pas dupes de l’aide américaine au gouvernement du Sud-Vietnam ou de l’aide soviétique au gouvernement afghan, puis de l’aide américaine aux talibans pakistano-afghans, nous nous sommes toujours opposés à cette ingérence. La nouveauté, c’est que la puissance dominante et concernée cherche à impliquer le maximum de pays dans ses intérêts. Le droit international vise autant à convaincre les opinions publiques occidentales qu’à réguler les rapports entre États à l’intérieur des coalitions. Les arguments humanitaires (la faim, l’oppression, etc.) masquent en réalité les intérêts géopolitiques et économiques des États et de leurs firmes trans-nationales. Ils occultent les responsabilités des États et des grandes entreprises dans la dégradation des situations qu’ils prétendent améliorer. On ne peut pas éditer des Corans en série ou financer les madrasas, et ensuite se plaindre que les talibans sont trop méchants. On ne peut pas livrer des produits chimiques ou nucléaires, avec leur technologie, à Saddam Hussein, et ensuite se plaindre qu’il s’en sert.

Le prétendu remède de l’ingérence et de l’intervention — militaires, bien entendu — s’avère souvent aussi néfaste que le « mal » : la guerre civile en Somalie ou en Afghanistan, avec la destruction des quelques infrastructures ; la relance de la culture du pavot en Afghanistan, l’éparpillement des mines antipersonnel qui condamnent le moindre berger à être un éclopé en puissance ; le démembrement ethnique et la misère économique en ex-Yougoslavie, où la situation ne s’est améliorée que par la lutte des Serbes eux-mêmes contre Milosevic et le dégommage des ultranationalistes révisionnistes à la Tudjman en Croatie, etc.

Toute politique d’ingérence favorise l’hyperpuissance américaine qui dispose du premier budget militaire au monde, soit 40 % des dépenses militaires mondiales, le double environ du budget militaire des pays européens membres de l’OTAN, un milliard de dollars dépensé chaque jour pour l’armée, c’est-à-dire l’équivalent du PIB annuel du Burkina Faso. Et ce budget est en hausse, W. Bush a fait retirer les États-Unis du traité ABM, un mince accord qui prévoyait un zeste de désarmement.

Après l’acceptation du « principe d’ingérence » par les opinions publiques occidentales, le monde en arrive maintenant à un cran supplémentaire, encore plus dangereux. Les conséquences d’une guerre en Irak sont incalculables. Outre le pétrole du Moyen-Orient qui passera définitivement aux mains des déjà puissantes compagnies pétrolières américaines, la réaction des populations arabo-musulmanes risque de se durcir, partout. Les dirigeants américains n’ont tiré aucune leçon des attentats du 11 septembre 2001. Bien que leurs radars et leurs systèmes de défense hypersophistiqués aient été incapables de parer l’action terroriste, ils relancent la « guerre des étoiles » (IDS). Bien que leur politique en Palestine et en Israël soit catastrophique, ils la durcissent. Ils ont trouvé dans leur Frankenstein Ben Laden le miroir de leur obsession de puissance, avec son vernis idéologique hurlant « God bless America » ou « Allah akbar ».

Une autre solidarité entre les peuples

Bien sûr, jamais il ne fut question, pour nous, de défendre des dictateurs (Hussein, Milosevic, les talibans, etc.) ou de renoncer à la solidarité internationale. Mais nous concevons cette solidarité autrement : aider les forces autogestionnaires des pays opprimés, accueillir leurs exilés, déserteurs et insoumis. Pousser les États à lâcher les dictateurs (arrêt de l’aide politique, des ventes d’armes, des crédits). Lutter, ici, en France, contre ceux qui sont à l’origine de ces oppressions ou qui alimentent les conflits : les fabricants et exportateurs d’armes, de centrales et de bombes nucléaires ; les multinationales du pétrole qui s’acoquinent avec les dictateurs pour pomper l’or noir (Algérie, Arabie, Gabon, Birmanie, Asie centrale, etc.), qui souillent les plages sans bourse délier mais qui trouvent le fric pour corrompre les intermédiaires ; les politiciens qui couvrent ou organisent tous ces trafics, et qui sortent indemnes de leur magouille, comme le confirme l’affaire Dumas-Elf où l’on retrouve tous les ingrédients du cocktail nauséabond (pétrole, armes, trafic, magouilles) : ces truands de haut vol, de gauche ou de droite, viennent d’ailleurs d’être exonérés par la justice française qui préfère s’attaquer aux voleurs de mobylette.

L’ingérence est partout, celle du plus fort. La société policière s’élargit à l’international : les gyrophares, les uniformes bleu horizon et les descentes de police avalisent, légitiment, cautionnent d’avance auprès des citoyens, les opérations militaires internationales sous les uniformes kaki pour le pétrole (Moyen-Orient, Asie centrale) ou le cacao (Côte d’Ivoire), tandis que les paradis fiscaux rotent tranquillement de prospérité… Quelques dissidents de la galaxie football évoquent-ils le fait que l’équipe de Monaco serait financée par la maffia russe ? Ces empêcheurs de tourner le ballon en rond reçoivent gentiment un carton jaune et sont priés de ne pas détourner le bon peuple de son gavage quasi quotidien. Il n’y aura pas de résolution de l’Onu contre Monaco, les GI’s ne seront pas parachutés sur le Rocher pour rétablir la démocratie, et les princesses ne seront pas déférées menottes aux poignets auprès du Tribunal pénal international pour complicité dans la finance plus ou moins occulte. Ouf, le paradis fiscal peut vivre tranquille !

Quelle intervention pour quelle libération ?

En 1936, déjà, les révolutionnaires espagnols disaient à la classe ouvrière des autres pays : « Aidez-nous en vous battant dans votre pays contre le capitalisme et l’État. En les faisant reculer, vous augmenterez votre liberté et la nôtre. » Les staliniens de l’époque ont préféré envoyer les Brigades internationales qui furent héroïques, certes, romantiques en diable, mais qui ont contribué à imposer la main de fer stalinienne sur les libertaires et les anti-staliniens. Aide-toi et le monde t’aidera. L’émancipation des travailleurs et des peuples sera l’œuvre des travailleurs et des peuples eux-mêmes. Ces principes ne sont pas creux ! Au contraire, ils évitent tout autoritarisme qui, venu de l’intérieur ou de l’extérieur, aboutit inévitablement à vider toute libération de sa substance. Car la libération ne s’impose pas, elle se fait.

La solidarité ne s’impose pas non plus, elle se construit. Éradiquer les plants de pavot sans promouvoir des cultures alternatives et un débouché correspondant, c’est du pipeau. Dire au caïd machiste de banlieue : « Ce n’est pas bien ce que tu fais », sans lui donner, à lui et à son quartier, les moyens d’une autre vie, c’est foutu d’avance. Déresponsabiliser les uns et les autres, en clamant que « c’est la faute à pas de chance » ou « c’est la faute à la société », c’est oublier que la société, c’est nous, c’est s’en remettre aux puissants pour tenter de trouver une solution, c’est demander à l’ONU qui ne se bouge pas pour les Palestiniens, les Kurdes et les Tchétchènes de faire ce qu’elle ne peut ou ne veut pas faire.

Depuis l’effondrement de l’empire soviétique, le prétendu « droit d’ingérence » ne sert qu’au redéploiement géopolitique du capitalisme libéral dirigé par les États-Unis. L’argument idéologique de la lutte anticommuniste ayant disparu, les experts du Pentagone nous ont fabriqué du « choc des civilisations » : diviser pour régner, la vieille recette est accommodée à une nouvelle sauce. Leurs marionnettes devenues des Frankenstein, les Saddam Hussein, Ben Laden et consorts, sont recyclées en repoussoir. Le « combat pour la liberté », la « lutte éthique contre les dictatures », qui seraient enfin possibles comme nous l’assurent Madelin et compagnie, ne sont que des prétextes hypocrites. Les masques tombent. Les sacs de riz envoyés en Somalie sont remplacés par les bombes à fragmentation larguées en Afghanistan.

La prétendue « communauté internationale » n’est qu’un club plus ou moins coopté de dirigeants défendant avant tout leurs intérêts et leur pouvoir. Le droit international qu’elle prétend élaborer est brandi quand cela les arrange (Koweït, Irak, etc.), bafoué dans de nombreux cas (Israël, par exemple) ou inopérant (la séculaire revendication du Kurdistan, la Tchétchénie, le génocide du Rwanda, etc.). Nous nous sommes toujours opposés au prétendu « droit d’ingérence » sans avoir été bien compris. Aujourd’hui, on constate les dégâts de cette dérive géopolitico-humanitaire : la guerre qui se veut globale !

Philippe Pelletier


1er février

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