Accueil > Archives > 2003 (nº 1301 à 1341) > 1307 (13-19 févr. 2003) > [Raffarin, les mains dans le pétrin]

Retraites

Raffarin, les mains dans le pétrin

Le jeudi 13 février 2003.

Ce n’est pas faute d’y avoir participé activement, mais les manifestations du 1er février pour la défense des retraites ont un arrière-goût de duperie. En effet, dans le combat social, il est rare que les adversaires se saluent, voire se félicitent pour leurs résultats réciproques. Or le sieur Raffarin a eu des mots doux à l’égard des manifestants, constatant, lors de son discours au « sénat » social, leur inquiétude et leur nombre. En d’autres circonstances, si le constat s’avère honnête, on capitule et on remballe toute idée de changement en attendant des jours meilleurs. C’est classique, et cela s’appelle de la realpolitik en d’autres continents. Juppé l’avait testée en 1995. Or, pour ce coup, les choses n’ont pas changé : la « réforme » est annoncée. Pouvait-il en être autrement quand ceux qui appellent à manifester la revendiquent ? Ses modalités ont été esquissées. On connaît le tempo, tout doit être bouclé avant les vacances. En clair, avant ou après le 1er février, la donne sur les retraites n’a pas changé d’un iota. À croire que les manifestations furent une « contestation constructive » ou plus précisément une soupape sociale. Les salariés italiens ont déjà connu cela avec Bruno Trentin, leader de la CGIL, prêt à brader les acquis sociaux au titre du modernisme et de la performance économique et qui dut sa sauvegarde aux boucliers des carabiniers face aux jets de boulons des salariés en révolte.

Actuellement, nous sommes dans le même processus. Affichage début janvier d’une déclaration commune aux principaux syndicats, qui se traduit en plate-forme revendicative où chacun peut, en fonction de l’imprécision du texte, y trouver son compte. On utilise des formules creuses faute d’exprimer clairement les revendications. C’est l’unité des sentiments quand il faudrait affirmer la demande ! Ce n’est pas un hasard si les cortèges furent aussi disparates dans leurs slogans. L’un revendiquant 37,5 annuités, l’autre une réforme, le troisième la solidarité entre les générations, etc. Laissant au sieur Raffarin le soin de faire son marché sous des auspices à la de Gaule : « Le Conseil national de la Résistance, […] j’ai entendu, […] je comprends, […] la justice de la République a besoin du courage de la nation. » (extraits du discours au CES le 3 février 2003).

Certes, Raffarin a repris les antiennes de ces derniers temps et du passé : le fumeux rapport Rocard dans les années 80 le disait déjà, il faut agir sur les trois leviers : durée du travail, cotisations, niveau des pensions. Tous l’auront compris, il ne s’agit pas de redistribuer les richesses mais de mieux répartir la misère entre les exploités.

Ainsi, alors qu’en moyenne les salariés, privé ou public, cessent de travailler, librement ou contraints, à 57,5 ans aujourd’hui, charge reste aux « filets » sociaux (aides de l’État et indemnités chômage) de faire le nécessaire. Raffarin annonce que l’objectif est dorénavant 60 ans soit trente mois d’exploitation supplémentaires. Sur le même plan, il suggère d’harmoniser l’âge de départ en retraite pour tous, privé, fonctionnaires, régimes particuliers (marins, cheminots, navigants, électriciens, gaziers, etc.) au taquet le plus haut. À titre ironique, et en raisonnant par l’absurde, le plus sûr moyen que tous travaillent un nombre d’années identiques est de faire commencer tout le monde en même temps et d’arrêter plus tôt. Travail obligatoire de 16 à 53,5 ans ! Le rejeton du bourgeois traité de manière identique au môme du prolo, le rêve d’un partageux qui constate que l’on meurt toujours plus jeune chez l’ouvrier que chez le cadre.

Concernant les régimes de capitalisation, Raffarin a dit qu’ils « sont étrangers à notre histoire sociale » et, dans la même phrase, « permettent aux Français de mieux épargner pour leur retraite […] et de choisir le niveau de sa retraite ». En cela, Fabius, ministre socialiste, peut être content. Ses fonds d’épargne salariaux, les fonds de pensions à la française, auront servi au moins à un gouvernement de droite pour vendre de la capitalisation sans avoir l’air d’y toucher. Remarquons que Mme Notat a sauvé son entreprise. Elle pourra vendre des fonds salariaux « éthiques » à ses petits camarades avec l’imprimatur du gouvernement.

S’il y eut du nouveau dans les intentions du gouvernement, cela réside dans son affichage d’une relance de la politique nataliste : « Faites des mômes pour nourrir les vieux, la nation a besoin du ventre de ses filles. » Objectif : passer le seuil fatidique des 2,1 % du taux de fécondité. Bouttin, la solution pour les retraites, une idée à Raffarin.

En conclusion, le temps n’est pas à tergiverser sur le projet du gouvernement. La mobilisation du 1er février ne l’a pas fait reculer d’un pouce. L’attaque est de même nature qu’en 1995. Certes, sa propagande est plus affinée mais il va falloir défendre nos acquis, et cela passe par l’action directe. N’en déplaise à certains, c’est là où la classe ouvrière est organisée que l’espoir naîtra. La présence en nombre dans les manifestations de cheminots, d’électriciens et de gaziers et de salariés sous statut est encourageante et doit se concrétiser maintenant par la grève.

Delgranados, groupe de Rouen