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Le Procès de Christine Malèvre

Le jeudi 13 février 2003.

La dernière avorteuse avait été condamnée à mort et exécutée… sous Vichy. Elle avait compati à la détresse d’une femme, enceinte à la suite d’un viol. Christine Malèvre a été condamnée à dix ans de réclusion criminelle. Elle risquait la perpétuité… Elle avait compati à la détresse de quelques malades arrivés en phase terminale de cancers incurables. Faudra-t-il attendre plus de cinquante ans pour reconnaître aux mourants le droit de mourir ou d’être aidés dans ce dernier passage ? Bien sûr, Christine Malèvre a tous les torts. Elle n’était qu’infirmière, elle était trop sensible et, surtout, elle avait agi de son propre chef.

« Le médecin chef voit la famille et, à partir de là, il va prescrire sur une feuille volante tout le traitement qu’il va mettre dans le cocktail, sans date, sans signature et sans le nom du patient ; et au moment du décès de ce patient cette feuille est déchirée et mise à la poubelle.

.- Pourquoi ?

.- Pour ne pas retrouver de traces. Ce que j’ai trouvé le plus intolérable, c’est que l’on puisse déléguer la mort. On peut aussi le faire de façon très subtile, par des prescriptions insuffisantes, par exemple ; on sait très bien que l’infirmière augmentera les doses. »

Ainsi s’exprimait cette infirmière, filmée de dos pour garder l’anonymat, dans un reportage consacré à la naissance d’une association, « Présence et témoignage », et diffusé au cours d’une édition nationale du journal télévisé du soir de FR3. De telles pratiques sont quotidiennes dans les hôpitaux de France.

La bêtise des uns et la lâcheté des autres devaient s’unir pour sonner l’hallali autour de l’infirmière traquée par la police, par les experts, par les collègues soumises, par les médecins arrogants et hypocrites, blessée à mort dans sa conscience professionnelle et qui n’avait eu qu’un seul tort : avoir honoré la parole qu’elle avait donnée.

Ce fut un procès politique. Un procès qui tombait à pic dans le climat tout répressif mis en œuvre par le gouvernement le plus conservateur que la France ait connu depuis Vichy. Un procès qui permettait au nouveau ministre Mattei, de montrer qu’il saurait faire régner l’Ordre moral contre vents et marée et serait à l’écoute de son électorat le plus réactionnaire. Le refus catégorique qu’il oppose à tout débat concernant l’euthanasie rejoint celui qu’il oppose au clonage thérapeutique. Et il est de même nature. Il prend sa source dans la soumission dogmatique à la loi selon laquelle « Dieu est le seul maître de la vie et de la mort ».

Comme les cellules embryonnaires doivent être considérées comme une « personne humaine potentielle », n’avoir d’autre fin que la naissance d’un enfant et ne sauraient donc être l’objet d’aucune intervention humaine, fût-ce pour sauver des vies, aucune intervention humaine ne saurait non plus être admise pour hâter une mort choisie par une personne en phase terminale de maladie incurable. L’hypocrisie et le dogmatisme s’unissent pour maintenir en place un « pouvoir médical » qui méprise les personnes.

Et pour une fois qu’on peut affirmer, dans l’enceinte solennelle d’une cour d’assises et dans le cadre de la dramatisation hyper médiatisée d’un procès pour assassinat, les principes sacro-saints d’une politique répressive voulue par son électorat, il ne faut pas laisser passer une si belle occasion !

Christine Malèvre devait donc payer. Elle paierait la relative libéralisation qui s’annonçait en ces matières sous le gouvernement précédent. Sa condamnation symboliserait le retour à l’Ordre moral appelé par la majorité conservatrice. Les membres gouvernementaux de l’Opus Dei peuvent se réjouir. Les parents éplorés peuvent « faire leur deuil ». Perben peut féliciter le procureur, les jurys manipulés peuvent avoir bonne conscience. Soyez rassurés bonne gens : vous ne serez pas « aidés » à mourir… sauf si vous ne demandez rien.

Bon courage Christine ! Nous t’aimons !

André Monjardet, auteur de Euthanasie et pouvoir médical, L’Harmattan