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Avez-vous lu Maurice Cury ?

Le jeudi 13 février 2003.

On peut dire de Maurice Cury qu’il a embrassé quasiment toutes les disciplines littéraires. Le roman, bien sûr : quinze titres, dont je me plais à signaler l’un des derniers, et pour moi le meilleur, La Quête du vent [1]. La nouvelle (L’Éternel féminin [2]), les essais, qui font de lui l’homme du combat et de la contestation que ce soit sur le plan politique (Le Libéralisme totalitaire [3]) ou sur le plan littéraire (Littérature et prêt-à-porter [4]). Mais il est aussi auteur dramatique (quatre pièces de théâtre qui attendent leur metteur en scène), scénariste d’environ vingt films de cinéma et de télévision (son roman Sur la route de Salina a été adapté au théâtre, et au cinéma par Georges Lautner, avec Rita Haiworth). Par ailleurs auteur d’une quarantaine de pièces radiophoniques, « Maurice le réfractaire », ainsi que le nomme Jean L’Anselme, n’a cessé de manifester sa révolte contre un monde tel qu’il est, sans jamais abandonner la conviction et l’espoir de ce qu’il devrait être, de ce qu’il sera.

On ne s’étonnera pas que ce rebelle, réglant ses comptes aux médias obsédés par un audimat qui se gonfle à l’échelle de la médiocrité (ce que d’aucuns — journalistes et intellectuels — qualifiaient il n’y a pas si longtemps de télé-poubelle et dont ils font aujourd’hui leurs choux gras), et à l’édition : « Les éditeurs ne sont plus des artisans indépendants tel Poulet-Malassis publiant Baudelaire ou Gallimard fondant la NRF. « Les éditeurs dépendent désormais des banques, de groupes financiers. Leurs problèmes sont la vente immédiate, la rotation rapide des stocks. Selon la sainte loi du profit, ils préfèrent publier Rika Zaraï que René Char. » On ne s’étonnera donc point, après de telles déclarations, de ne pas trouver les livres de Maurice Cury à l’étal de la FNAC ou sur la liste des « livres stars » du Nouvel Obs (au seul critère de leur tirage).

On ne s’étonnera pas non plus que ce demi-siècle d’écriture quasiment professionnelle ne se sépara jamais de celle du poème, qu’elle en est même le terreau essentiel, le révélateur indispensable d’une image enfin visible de l’homme d’aujourd’hui-toujours. L’homme-caméléon. Pour ma part, un écrivain d’aujourd’hui qui ignore la poésie d’aujourd’hui ne saurait être un homme de parole. Maurice Cury est un homme de parole, qui fut toujours lecteur attentif et passionné de ses frères en poésie, dont il fut le critique sensible et le délicat découvreur dans la marge de revues souvent aussi généreuses qu’éphémères.

Comme il ne saurait exister de « poète professionnel », c’est après l’avoir situé en tant qu’écrivain que je signale donc la parution de Poésie complète 1 de Maurice Cury : un demi-siècle de poésie, une vingtaine de recueils devenus introuvables et enfin rassemblés. Toute une vie ! Car jamais il n’abandonna le poème, comme si, nécessairement, il y reprenait souffle.

Les premiers vers n’ont rien de balbutiant, contrairement à l’usage. Il y va d’une espèce d’ivresse, de joyeuseté, d’euphorie créatrice, dont il se sait redevable aux plus grands, à ces défricheurs et déchiffreurs du début du siècle, et dont il va jusqu’à signaler l’influence (Blaise Cendrars : Mine d’or). Ce sont bien plus des signes de reconnaissance que d’allégeance (comment en serait-il autrement en terre libertaire ?), que ce soit envers Paul Éluard (In memoriam), Jacques Prévert ou même Benjamin Péret :

Modifiant la forme de l’instant
tu fermes d’un tour de clef
la caresse oublieuse des fenouils
 
Un marchand de carottes
allume une veilleuse
comme une grosse cerise
bien contente et pas sérieuse.

(Petits poèmes pour un enfant triste)

Un poète de dix-huit ans laissant deviner ces influences-là dans les années cinquante, c’est un poète qui a trouvé le ciel de terre où prendre racine. Devenu plus mature l’indignation, la rébellion, la révolte face à un ordre bourgeois aussi inadmissible qu’intolérable le feront quasiment ignorer aussi bien l’image que la métaphore. Maurice Cury se veut terre à terre, au sens noble du contact rugueux de la réalité, c’est donc moins le poème en prose qu’une prose poétique très particulière qui s’ouvre à son écriture, avec, pourtant et toujours, le retour naturel à un octosyllabe bien tempéré — son aire de repos —, et qu’il manie à merveille :

Ah ! la splendeur enchanteresse
Des corps chauds dans l’ombre tenus
Ondoyants aimables et nus
L’éternité de vos caresses

Au cœur d’une prose poétique que réclame un trop-plein de révolte, l’empreinte d’Apollinaire reste indélébile. C’est que la poésie ne saurait s’inscrire que dans une langue simple nourrie de toutes les passions, hors de toute emphase, de toute déclamation. En secret, Maurice Cury vous confiera que cette langue-là, c’est celle de Racine. Entre classique et baroque, l’écriture d’André Breton elle-même serait-elle sans rappeler les périodes d’un Bossuet ? De la poésie, en tout cas, il affirmait : « Cela ne se crie pas sur les toits. » Une évidence pour Maurice Cury, qui ne la confond pas avec la « littérature. »

Claude Kottelanne


[1Le Nouvel Athanor.

[2E.C. Éditions.

[3E.C. Éditions.

[4E.C. Éditions.