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« L’Enfer des tournantes »

de Samira Bellil
Le jeudi 6 février 2003.

Serge Utgé-Royo, dans Amis, dessous la cendre, crie : « À moi les étrangers ! » Aujourd’hui, j’appelle « À moi les femmes ! ». Les combats que nous avons menés dans les années 70 sont désormais dépassés. Nous devons pourtant les poursuivre, mais il est plus urgent de les réactualiser.

Une partie des victoires de l’époque a été remportée, entre autres, par les féministes, mais aussi par les prostituées. Rappelons-nous les occupations d’églises, en 1975, avec Ulla, Barbara, Jackie blonde, Jackie brune, Carole et Sandra, etc.

Aujourd’hui, quelque part, le même problème se pose, mais il est encore plus grave. Cela ne se définit pas en termes d’égalité entre les femmes et les hommes. Pour toute une partie de la population, un minimum culturel reste à acquérir. Les dysfonctionnements de la société ont créé des îlots de misère où la haine et l’ignorance se disputent les pleins pouvoirs.

Les femmes et les hommes engagés dans des mouvements progressistes ou révolutionnaires en ont-ils pris vraiment la mesure ? Les discours moralisants, humanitaires et politiques ne sont plus de mise. Ils paraissent même démagogiques. Il est urgent d’agir.

La lecture du livre de Samira Bellil, L’Enfer des tournantes, nous rappelle que, dans les cités, de jeunes hommes sont aliénés, qu’ils prennent les femmes pour leurs objets. Ils prêtent aux femmes leurs propres pensées. Du reste, ils ne savent même pas ce qu’est une femme. Ils peuvent ainsi se permettre les comportements les plus crapuleux : toute femme qui échappe à leurs volontés est une « salope ».

Il est temps de se réveiller. Nous avons besoin des hommes comme des femmes pour ce combat. C’est évidemment tous ensemble que nous pourrons retourner la situation du côté de « l’enfer des tournantes », qui n’est rien d’autre que celui des viols collectifs. Ce sont les victoires des féministes entre 70 et 80 qui nous font espérer que d’autres victoires vont se construire, cette fois, dans les banlieues.

Comment pouvons-nous rencontrer ces jeunes des quartiers, parler avec ces mères qui prennent leur défense et ces pères délibérément en fuite ? Ils ont à apprendre que les femmes sont leurs égales et qu’ils ne sont pas les rois du monde.

L’Enfer des tournantes est un magistral coup de poing sur la table. Il nous ouvre les yeux sur la réalité des ghettos. L’État en porte l’entière responsabilité. Ceux qui votent pour ses édiles également. Mais agir au lieu d’élire implique d’agir réellement.

Avec le livre de Samira Bellil, nous prenons un véritable coup de poing dans la gueule. Il nous reste à le répercuter dans les cités, où se perpétue cet enfer, à coup de pompes dans le cul, mais, encore et surtout, de prises de conscience politique.

Jacques Lesage de La Haye