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Nos députés entreprennent de sauver les trois couleurs…

Mais d’où nous vient le drapeau noir ?

Le jeudi 6 février 2003.

Nombre de nouveaux militants, sympathisants, ou tout simplement des personnes curieuses, nous demandent, lors des manifs ou pendant les ventes sur les marchés : mais d’où vient le drapeau noir des anarchistes ? Jusqu’à présent, je répondais par quelques… à peu près. Mais, j’ai décidé d’en savoir plus. Et je ne suis pas allé très loin… chercher la réponse. En effet, Line Roca (de notre groupe) a bien voulu nous éclairer. Elle travaille justement sur le sujet et accepte de nous en livrer la substantifique moelle :

« En 1872, à La Haye, la scission est officiellement consommée entre les socialistes autoritaires et les anarchistes [1]. Au cours des années 1880 se manifeste cependant, chez les anarchistes, le besoin de se différencier des autres groupes révolutionnaires, et l’adoption du drapeau noir est, symboliquement, une étape importante, dans la naissance de l’anarchisme. En effet, le drapeau rouge était jusqu’alors le drapeau de l’Internationale, également choisi par la Commune, ainsi que par le reste du mouvement ouvrier.

« Or, dès 1882, les anarchistes se prononcent pour l’abandon de celui-ci, au profit du noir, celui de la révolte. Le numéro 1 du Drapeau noir du 12 août 1883 s’exprime, en effet, sur ce choix : " Les événements, les faits de tous les jours, nous ont montré clairement que le drapeau rouge, si glorieux vaincu, pourrait bien, vainqueur, couvrir de ses plis flamboyants, les rêves ambitieux de quelques intrigants de bas étages. Puisqu’il a déjà abrité un gouvernement et servi d’étendard à une autorité constituée. C’est alors que nous avons compris qu’il ne pouvait plus être pour nous, les indisciplinés de tous les jours et les révoltés de toutes les heures, qu’un embarras ou qu’un leurre."

« Le 18 mars, Louise Michel s’exclame salle Favié à Paris : "Plus de drapeau rouge, mouillé du sang de nos soldats. J’arborerai le drapeau noir, portant le deuil de nos morts et de nos illusions [2]." Louise Michel reprend le même discours à Lyon, devant une foule qui, lors de la révolte des Canuts, avait vu, pour la première fois l’apparition du drapeau noir. Elle était encore dans les mémoires.

« Le drapeau noir fait ensuite une apparition "officielle" dans la manifestation des sans-travail aux Invalides à Paris, le 9 mars 1883, lors d’un meeting organisé par le syndicat des menuisiers [3]. Louise Michel y arbore, pour la première fois, un drapeau improvisé, à partir d’un vieux jupon noir fixé sur un manche à balai. Plus tard, lors d’un de ses procès, elle affirme : "Le drapeau noir, drapeau de la misère, plutôt que celui de la Commune, doit être considéré comme le symbole des ouvriers sans travail."

« Quelques mois plus tard, pour la fête du 14 Juillet, les anarchistes invitent la population à manifester "un drapeau noir à la main". À cette époque, un article paru dans Le Drapeau noir, rappelle que "seul celui-ci peut convenir pour représenter le combat anarchiste, la guerre de partisans et le combat des tirailleurs dispersés."

« En effet, comme ne manque pas de le noter Gaetano Manfredonia, dans La Chanson anarchiste en France : "Le drapeau noir signifie la distance vis-à-vis de l’héritage communard et des autres courants socialistes, à un moment où le mouvement anarchiste construit sa spécificité." »

Tous nos remerciements à Line Roca.

Patrick Schindler, groupe-claaaaaash@federation-anarchiste.org


[1Le « communisme autoritaire » est défini comme étant celui de l’Internationale et plus particulièrement celui de Marx et d’Engels. Ce dernier, dans une lettre à Paul Lafargue, se plaint que les « bakouninistes » se servent abusivement du mot, pour dénoncer tout ce qui leur est hostile. Cf. Jean Dubois, Le Vocabulaire politique et social en France.

[2Cité par Maurice Dommanget dans L’Histoire du drapeau rouge, des origines à la guerre de 1939. Ouvrage dans lequel l’auteur rappelle à quel point le drapeau noir, pour lequel Jules Vallès s’est prononcé, est lié à la personnalité de Louise Michel et au souvenir de la Commune.

[3Le syndicat des menuisiers avait convoqué les sans-travail à un meeting devant l’esplanade des Invalides. La police dispersa les manifestants qui organisèrent alors, une manifestation vers le boulevard Saint-Germain. Menée par Louise Michel, Émile Pouget et Mareuil, elle fut suivie par 500 ou 600 personnes. Des pillages eurent lieu aux cris de : « Du pain, du travail ou… du plomb. » Et Louise Michel et émile Pouget y furent condamnés, respectivement, à six ans de réclusion.