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Bête comme Bettencourt

Le jeudi 9 janvier 2003.

C’est Le Monde du 24 décembre dernier qui nous l’apprend, la société Nestlé réclame six millions de dollars de dédommagement à l’Éthiopie. Pour surprenante de brutalité et de sécheresse qu’elle soit, cette information n’a fondamentalement rien qui puisse surprendre.

L’affaire en elle-même reste assez classique pour des capitalistes purs et durs. Le gouvernement marxiste de l’Éthiopie a décidé il y a vingt-sept ans de nationaliser une usine appartenant au groupe allemand Schweisfruth appartenant lui-même à la multinationale suisse depuis 1986. Sans vouloir sombrer dans les clichés sur la légendaire lenteur suisse, ce qui serait politiquement incorrect, et sans abuser non plus d’un humour de comice agricole, reconnaissons toutefois que Nestlé tarde un peu à se réveiller. Le coucou est en panne. Mais cette situation relèverait du plus haut comique si les intérêts de l’Éthiopie, pays pauvre d’entre les pauvres et ravagé par la sécheresse, par les famines programmées, par l’incurie et la corruption, n’étaient pas en cause. L’ONG britannique Oxfam est en première ligne dans cette affaire. D’après ses calculs, la somme de six millions de dollars pourrait permettre de fournir de l’eau potable à quatre millions de personnes ou la construction de 6’500 puits. Quand on sait que Nestlé est un des plus importants groupes agro-alimentaires du monde et qu’il détient de ce fait les marques aussi prestigieuses que Vittel, Perrier ou San Pellegrino, on reste rêveur devant une telle obscénité. Pour en finir avec l’aridité arithmétique, l’article du Monde nous apprend également que Nestlé a déclaré en 2001 la somme astronomique de 6,15 milliards de dollars de profit net ; de plus, l’Éthiopie, c’est pas seulement des médailles d’or aux Jeux olympiques pour leurs élites sportives, l’économie éthiopienne dépend du café pour 60 % de ses exportations et permet à un quart de la population de survivre. Et devinez qui est son plus gros client ? Nestlé, bien sûr !Tu m’as compris ?

Les pitoyables enfoirés, la main sur le cœur, n’ont rien inventé et surtout n’ont pas servi à grand-chose. L’Éthiopie meurt peu à peu. Nestlé n’a pas besoin de pleurnicher, les artistes de music-hall qui cachetonnent à la Sacem le font bien mieux à sa place. Liliane Bettencourt, la plus grosse fortune de France, détentrice d’un gros paquet d’action Nestlé, et également propriétaire de L’Oréal, société multinationale de cosmétiques, spécialiste en son temps du recyclage des anciens nazis pour son encadrement, peut dormir tranquille et conserver sa capacité de nuisance intacte. Si seulement il lui venait à l’esprit de faire pression pour que Nestlé abandonne sa dette en faisant de la pub autour de ce petit geste, on pourrait penser que le capitalisme est parfois capable d’un peu d’humanité. Un petit peu. Mais une conclusion pareille est-elle acceptable et même imaginable pour les libertaires que nous sommes ? Allez un p’tit Nescafé pour retrouver la force de balayer toutes ces pourritures.

Jipé