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L’armée française en Côte d’Ivoire

Maintien de la paix ou guerre coloniale

Le jeudi 16 janvier 2003.

Qui aurait cru que la France serait l’un des pays les plus sanguinaires d’Occident ? Alors qu’elle s’engage dans une guerre en Irak aux côtés des États-Unis, la France s’est enlisée dans une sombre position militaire pour tenter d’éteindre un incendie qu’elle a elle-même allumé et activé. Pourtant, les initiatives politiques pour faire cesser le conflit ne manquent pas. Mais à peine les promesses à répétition de cessez-le-feu prononcées, que déjà réapparaissent dans le pays des affrontements à grand renfort d’hélicoptères, faisant des morts par dizaines.

Paradoxalement, ce conflit s’éternise, alors que déjà, le président Laurent Gbagbo doit faire face au mécontentement d’une partie de la hiérarchie des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci), lasse des critiques qui lui sont de plus en plus ouvertement adressées concernant son incapacité à réduire la rébellion. Le peuple ivoirien, qu’il soit du nord ou du sud, chrétien ou musulman, ne veut pas de cette guerre qui, chacun le sait, ne leur apportera rien.

Alors, à qui cette guerre profite-t-elle donc ? La politique d’ingérence en Côte d’Ivoire menée par Dominique de Villepin, sensée ramener la paix, ne fait qu’animer une tension déjà vive au sein du peuple ivoirien. Par ailleurs personne dans les sphères de la classe politique française ne s’affole d’une telle ingérence, comme s’il était convenu que la Côte d’Ivoire était encore un territoire français. Clairement, la France se dit le pays le plus légitime pour envoyer une armée de maintient de la paix. En réalité, la France a, surtout, des intérêts capitaux dans le pays (voir encadré) et n’est pas prête à les laisser filer. Depuis plusieurs années, le PIB et les ressources agricoles de la locomotive d’Afrique de l’ouest intéressent non seulement la puissance économique américaine, mais aujourd’hui le Japon et de plus en plus clairement la nouvelle puissance chinoise qui vient de faire cadeau à Abidjan d’un gigantesque centre culturel. Pourtant, le discours de la France est des plus honorables. Il semble dénué de tout intérêt mercantile : « Maintenir la paix ». Mais une armée maladroite qui fait trente victimes lors d’un conflit à armes inégales est elle une armée qui maintient la paix ? À chaque « légitime défense », les soldats français font un massacre. Et les délégations répétées de diplomates se sont chaque fois soldées par un échec.

La France s’est embourbée dans une spirale de mort en se voilant la face sur le sens véritable qui a fait naître ce conflit. Les revendications de la partie la plus pauvre du peuple ivoirien sont pourtant claires. Or, elles ont a été prises en otage par un groupe de rebelles assoiffés de pouvoir qui ont imposé cette sale guerre. Loin de vouloir « brûler la Côte d’Ivoire parce qu’elle est la poule aux œufs d’or » comme a insisté Laurent Gbagbo lors d’une magistrale déclaration aux religieux ivoiriens, les peuples du nord, majoritairement musulmans, veulent l’arrêt pur et simple de la politique d’identification entreprise par le gouvernement de la ii e République de la Côte d’Ivoire. C’est ce que réclament en substance les rebelles par la démission du président et du gouvernement en place. Pour preuve, leur premier geste à été l’assassinat, le 19 septembre dernier, du ministre d’État, Émile Boga Doudou, le père de cette politique xénophobe. Les rebelles, originaires à 70 % des pays limitrophes du nord et de l’ouest, refusent la notion d’« ivoirité » (« Comment tout a commencé », page de droite). La Côte d’Ivoire appartient à tous ses habitants quelle que soit leur confession, leur origine ou identité culturelle. Aussi, toutes les richesses de ce pays et ses infrastructures ne doivent-elles pas être partagées entre les soixante trois ethnies et les 26 % d’immigrés qui ont tous participé à construire ce pays depuis l’indépendance ?

La France qui se dit, donc, le pays le plus légitime pour s’interposer dans ce conflit, est-elle légitime pour s’immiscer dans la répartition des richesses ? Non. Mais alors que font nos troupes, disproportionnellement armée, dans l’ancienne colonie française ? Par l’entremise de la force, sous couvert de maintien de la paix, la France ne fait que maintenir ses intérêts économiques, et ne se soucie guère de la répartition égalitaire des richesses. Par sa présence, elle attise une crise identitaire liée à son passé colonial sans en mesurer les conséquences.

Cette guerre est le spectacle consternant de l’inégalité qui ne cesse de progresser entre l’Occident et les pays en voie de développement. Elle a pour unique but de maintenir sa mainmise post coloniale.

Pour le maintien des leurs intérêts économiques, la France et les États-Unis partent main dans la main dans des guerres gagnées d’avance, au détriment des valeurs humaines fondamentales et détruisent, devant nos yeux médiatisés, des peuples, des cultures, des pays, sans entendre leurs cris de détresse et leur désir de vivre.

Olivier Leclercq


Les intérêts français

La Saur, filiale du groupe Bouygues, est l’actionnaire de référence de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) et de la Société des eaux de Côte d’Ivoire (Sodeci), et a en concession des éléments les principales infrastructures (autoroute, aéroport, futur troisième pont). Dans le BTP, on retrouve encore Bouygues, comme dans de nombreux pays d’Afrique francophone, mais aussi Colas, et Jean-Lefebvre.

De nombreuses filiales de banques françaises sont implantées dans les grandes villes du pays : la SGBCI (Société générale), la Sib (Crédit Lyonnais), la Bicici (BNP). Le groupe Bolloré touche un peu à tout : le transport bien sûr (Saga, SDV, Sitarail), mais aussi le tabac (Sitab), le caoutchouc (Sogeb), le café et le cacao (Dafci). Air France est actionnaire majoritaire de la compagnie régionale Air Ivoire et partenaire exclusif d’Air Afrique.

25 % de la Société ivoirienne de raffinage sont entre les mains de TotalFinaElf qui contrôle également 38 %

de la distribution d’hydrocarbures dans le pays.

Le groupe Castel détient des brasseries et s’est engagé dans l’industrie du sucre.

France Telecom contrôle l’opérateur téléphonique, Côte d’Ivoire Télécom, et la Société ivoirienne de mobiles (Sim). La CFAO (anciens Comptoirs français d’Afrique de l’Ouest) — qui représente Peugeot, Citroën et une bonne partie du parc automobile nippon — détient la plus grosse part du marché pharmaceutique, le plastique, l’agro-industrie, etc.

Enfin, la France a toujours été présente par le 43e BIMA basé à Port-Bouët, et ses conseillers détiennent des postes stratégiques dans l’administration ivoirienne.