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La politique algérienne

L’Échéance

décembre 1960.

Nous voici parvenus à cette heure inéluctable que nous n’avons cessé d’annoncer depuis la sortie de ce journal. Il vient un moment où l’on ne peut plus tricher, du moins avec les événements, même si certains parmi les hommes, cherchent leur salut dans le fait de se boucher les yeux et les oreilles face aux réalités.



Nous n’avons cessé de déclarer que depuis deux ans, pour ne remonter qu’à la 5e République, que tous les accords qui se faisaient s’établissaient sur des confusions qu’un semblant d’entente ralliait des fractions opposées, prêtant aux mots et aux formules des sens différents.

Faut-il ajouter que les discours du général de Gaulle qui s’apparentent plus aux prophéties sybillines de l’oracle de Delphes qu’au langage d’un homme politique, n’a pas été fait pour dissiper les brumes et éclairer les esprits.

Mis au pouvoir tout à la fois, par ceux qui voulaient conserver l’Algérie (quitte à continuer la guerre) et par ceux qui voulaient voir se terminer la guerre (quitte à perdre l’Algérie) le président de la 5e a obtenu 80 % des suffrages, ce qui ne représente rien.

De ces 80 % ou de ce qu’il en reste, il ne peut satisfaire les uns sans voir les autres dresser des barricades.

De même, que l’on en tienne compte ou non, qu’on se repliie ou non dans un isolationnisme patriotique cela n’empêche pas les événements internationaux de se poursuivre et de prendre une telle acuité, qu’il faut bien un jour ne pas demeurer aveugle et sourd.

À cet égard, la France se trouve prise entre la perspective inévitable de se voir désavouée à l’ONU pour sa politique algérienne, et le risque de voir le FLN appuyé militairement par l’URSS et la Chine.

Sans jouer les prophètes, l’on peut prévoir que les USA ne laisseront pas le bloc Est prendre des options de l’autre côté de la Méditerranée, et qu’ils imposeront à la France de traiter.

De quelle manière de Gaulle peut-il éviter ce double camouflet diplomatique et militaire, si dur à sa vanité ?

La seule voie de sortie qui lui restait était de signer un « cesser-le-feu » avec le FLN (qui ne représente sans doute pas l’Algérie tout entière, mais qui représente indiscutablement les Algériens contre qui n ous sommes en guerre) et de proposer que l’autodétermination soit effectuée par l’ONU (quitte à oublier qu’on l’a traitée de machin.)

Ce serait trop simple et la politique de grandeur ne doit pas être compatible avec celle de la simplicité.

Le chef de l’État découvre un faux fuyant — un de plus — dans la préfabrication d’une République algérienne rattachée à la France et accordant (avec combien d’années de retard ?) quelques uns des droits revendiqués par les indigènes.

De ce petit tour de prestigiditation, la ficelle est un peu grosse et ne trompe et ne contente personne.

Ni les ultras et les pieds noirs qui ne veulent aucunement tenir compte des dix millions d’indigènes [1], ni les partisans de l’indépendance qui refusent le tour de passe-passe, ni ceux qui veulent la paix et qui sentent bien qu’une telle mesure n’est prise que pour l’escamoter.

En effet, pour que la paix soit possible, il faut que des assurances soient données.

Quelle confiance peuvent avoir les insurgés, et même les indigènes, dans un gouvernement et une législation désignés par le chef de l’État français, même s’il leur est donné de les ratifier.

Quelle confiance peuvent-ils avoir dans une ratification qui sera faite par l’intéressé (juge et partie), sous le contrôle d’une armée qui dressait des barricades en janvier dernier dans le but d’imposer sa loi.

Enfin questions subsidiaires, mais combien importantes :

  • de quelles manières les insurgés pourront-ils participer à cette ratification ?
  • De quelle manière les habitants pourront-ils se faire une opinion quelconque, dans un pays qui interdit chaque mois, chaque semaine et chaque jour, les journaux pouvant apporter des informations, des lumières et des critiques ; dans un pays qui constitue un État dans l’État, avec à sa tête une camarilla, dont le procès Lagaillarde et Cie nous révèle les appétits, les rivalités, les querelles et les ambitions ?

L’esprit fermé à toute évidence, ces personnages qui se déclarent anti-communistes, à tous les échos, par leur imbécilité, par leur opposition à toute entente franco-algérienne, semblent payés à prix d’or par l’URSS pour jeter des populations indigèens dans les bras de la Russie.

À moins que leur inconscience aille jusqu’à supposer que, désavouée par tous, la France soit à même par ses seuls moyens de mettre au pas l’Algérie, l’URSS et la Chine.

La confusion n’est donc pas faite pour cesser ; le référendum que de Gaulle présente et qui se pare de la perspective de la paix n’aura d’autre objet que de le plébisciter, réclamant du peuple une confiance gratuite dans la politique qui prétend y conduire.

Maurice Laisant


[1« D’ailleurs, monsieur, les dix millions d’Arabes, y pèsent pas lourds devant le million d’Européens. Les Arabes y ont peur. Puis il y a des gens avec nous ». Reportage d’Alain Jacob, Le Monde, 18 nov. 1960.