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Insoumission et Bidonville

décembre 1960.

Dans la commune de Nanterre à quelques kilomètres de Paris, trois jeunes gens ont à leur façon manifesté leur désaveu à la guerre d’Algérie. L’un a renvoyé sa feuille de route, les deux autres ont fait savoir par lettre au président de la République qu’ils refusent de faire leur service militaire pour ne pas avoir à s’entretuer avec le peuple algérien.

Considérant que celui-ci n’est assez instruit ni assez évolué aux dires de ceux qui veulent que l’Algérie reste au stade d’une colonie française, ils estiment que l’on n’éduque pas avec des mitraillettes, mais avec de la craie.

C’est pourquoi, pour faire œuvre de pacification, ils se sont installés au cœur d’un Bidonville et ont construit un baraquement plus que précaire afin de permettre l’ouverture d’une école pour adultes et d’une garderie d’enfants. Les armes accrochées au mur sont, vous l’avez deviné, des tableaux noirs.

Pour le jour où la police viendra les chercher et les mettre en prison en raison du crime qui consiste à refuser de tuer quand le gouvernement l’ordonne, ils ont contacté des mouvements divers afin qu’il y ait d’autres personnes qui prennent la relève de leur œuvre de fraternité. Jusqu’ici à ma connaissance, aucune organisation n’a donné une adhésion complète ou de principe, mais certains ne voient aucun mal à ce que leurs militants s’unissent à cette initiative.

Dimanche 20 novembre, ce trio antiguerrier avait décidé de manifester place du Maréchal Foch à Nanterre, afin que la population soit informée de leur action pour la paix en Algérie. Bilan : tous trois, ainsi que quelques sympathisants qui s’unirent à eux ont été arrêtés par la police accourue en masse.

Ce même jour et presque à la même heure, un quartier proche se trouvait envahi par des bulldozers, dont la vue et le bruit des moteurs ne surprennent plus personne de nos jours où ils constituent un spectacle coutumier, celui qui l’est moins, c’est d’assister à la démolition de baraques avec des femmes et des enfants à l’intérieur. C’est pourtant ce que j’ai vu de mes propres yeux : trois bulldozers glissaient parmi la fumée et les flammes dégagées des restes de baraques que des pompiers (normalement arrroseurs) s’ingéniaient à allumer à l’aide de brassées de paille.

Dans l’une d’elles, une ou plusieurs familles se refusaient à vider les lieux, quand une pelle se leva tel un glaive et se rabattit lourdement sur le toit de tôle, éventrant le logis dont les décombres roulaient pêle-mêle : vêtements d’enfants, chaises, tables, matelas et ustensiles de cuisine. Une femme brandissait un enfant de moins d’un an et le montrait aux agents de l’ordre à la foule assemblée.

Il a été dit que les personnes ainsi expulsées seraient relogées. Nous en acceptons l’augure, mais cela justifie-t-il de pareilles méthodes d’évacuation…

Le quartier ou s’élève l’école est jusqu’ici épargné, il reste cela à détruire pour que force reste à la loi.

Th. Garcia