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Prière de faire suivre

Deux mots au bureau confédéral de « Force Ouvrière »

novembre 1960.

Sêchement rédigé, le communiqué est tombé devant nos yeux et c’est avec stupeur que nous l’avons enregistré. La Confédération Générale du Travail-Force Ouvrière ne participera pas à la manifestation contre la prolongation de la guerre en Algérie, organisée par les étudiants et qu’appuient toutes les autres organisations ouvrières.

Ainsi les secrétaires confédéraux ont jugé que leur place n’était pas dans la rue, mêlées aux travailleurs qui clameront leur volonté de mettre fin aux massacres. Pourtant le camouflet qu’ils viennent de recevoir dans l’antichambre de la Présidence de la République, où on ne leur a laissé que la faculté d’assuyer les paillassons, aurait du leur ouvrir les yeux sur une politique qui consiste à se carrer les fesses dans des fauteuils dorés ou à discuter entre la poire et le fromage aux côtés des grands de ce monde. Et je ne suis pas bien sur que Jouhaux, qui lui au moins avait l’avantage d’être intelligent et attentif à la sensibilité populaire, n’eut pas piqué une colère devant tant de bétise.

L’affaire est à la fois ridicule et odieuse !

Ridicule, car la Confédération est tout de même autre chose que ces hommes fatigués, craintifs et paralysés par un anti-communisme maladif qui ne relève pas de l’appréciation politique mais de la médecine générale. Et la réaction ne s’est pas fait attendre. L’Union parisienne des Syndicats Force Ouvrière a non seulement donné son accord aux étudiants mais décidé de participer à la manifestation, interdite ou pas. À Toulouse, à Nantes, à Grenoble, les travailleurs de Force Ouvrière s’apprêtent à prendre une place dans la lutte contre la guerre. Je ne dirais rien du téléphone mais je suis persuadé qu’au lendemain du communiqué les secrétaires généraux ont du plus d’une fois maudire l’appareil. Ridicule, car enfin on se demande quelle autorité peut conserver dans les « conseils » qui font leurs délices et où ils ont l’impression enfantine de régler le sort du monde, des personnages aussi ouvertement désavoués par les travailleurs de l’organisation qu’ils prétendent représenter.

Odieux, car le prise de position des secrétaires confédéraux semble donner des militants de l’organisation une opinion qui est fausse. Il n’est pas vrai que les militants de base de FO ne voient de solution que dans de Gaulle et son gouvernement qu’il ne faut en rien gêner. Il n’est pas vrai que les militants FO soient des « minus » qu’il faut se garder de mettre en contact avec les staliniens de peur qu’ils ne se pourrissent. Il n’est pas vrai que sous prétexte d’apolitisme les militants FO se contentent d’un étroit et désuet corporatisme, les militants ont lu la Charte d’Amiens et ils savent fort bien que la lutte contre la guerre les concerne et seuls les politiciens des syndicats qui font passer l’intérêt de leur parti avant l’intérêt de la classe ouvrière le nient.

Odieux ! car l’attitude du bureau confédéral laisse penser que la Confédération, sous prétexte d’opportunisme, pourrait fort bien s’accommoder d’un régime « dur » où seule l’organisation syndicale « sage » serait tolérée.

Rêve des Belin, des Cordier, des Froideval, des Dumoulin ! Que Bothereau et ses amis y réflechissent sérieusement. Eux non plus ne voulaient pas forcément le malheur du monde du travail. Ils se prennaient pour des « gros malins » persuadés que personne ne pouvait détourner le cours de l’histoire et que le mieux était de faire le gros dos, de laisser passer l’orage et de coller auprès des gouvernements de moindre mal.

Mais l’histoire en a jugé autrement. Le sort des collaborateurs « honnêtes » du régime de Vichy serait un excellent sujet de méditation pour le Bureau Confédéral FO.

Maurice Joyeux