La farce électorale est maintenant derrière nous, quelles leçons, quelles perspectives pouvons-nous en tirer ? Premièrement, la crise de légitimité des institutions politiques s’est encore approfondie. Deuxièmement, les ballounes respectives de l’Action démocratique du Québec (ADQ) et de l’Union des forces progressistes (UFP) se sont lamentablement dégonflées. Troisièmement, si le nouveau gouvernement libéral applique les éléments centraux de son programme électoral, nous nous dirigeons tout droit vers une grave crise sociale avec les conflits de classes.
Montée de l’abstention
Malgré le pseudo « caractère historique » de cette élection, les prétendus « enjeux cruciaux » en présence, les « différences fondamentales » entre les divers « projets de société » sur le marché électoral — bref, malgré la présence d’un tiers parti plus clairement campé à droite que les autres, l’ADQ —, le véritable fait saillant de cette élection est la montée de l’abstention, qui passe de 22 à 30 %. Autrement dit, il y a plus d’abstentions que de votes pour le Parti québécois (l’opposition officielle récolte en effet 1 268 678 votes contre 1 620 119 abstentions) ! Les appels au « vote utile et stratégique » des centrales syndicales et du mouvement communautaire n’ont donc pas été entendu par le bon peuple.
Presque tous les commentateurs, et une bonne partie de la gauche, s’échinent à dépolitiser ce refus du système électoral. Tellement, qu’à Québec, une cinquantaine de libertaires et de quidams, à l’appel du collectif anticapitaliste La Rixe, ont tenu à « politiser » leur abstention en participant à un rassemblement près d’un bureau de vote pour ne pas être confondu avec les « je-m’en-foutistes ». Pourtant, on a beau retourner le phénomène dans tous les sens, on ne peut faire autrement qu’accorder un sens politique à l’abstention. Si les gens ne vont pas voter, cela signifie minimalement qu’ils trouvent que ça ne vaut pas la peine de se déplacer, qu’ils sont désabusés, qu’ils n’y croient tout simplement pas. Quand 30 % des « citoyen(ne)s » ne se donnent même pas la peine de poser le geste officiellement le plus important du système politique, on ne peut que conclure à une crise de légitimité qui, en plus, va en s’aggravant. Tous les authentiques révolutionnaires ne peuvent qu’y voir un développement des plus positif…
Écrasement de l’ADQ, flop de l’UFP
L’un des dommages collatéraux les plus réjouissants de la farce électorale est sans aucun doute l’écrasement de l’ADQ qui s’était prise à rêver, depuis quelques mois, au pouvoir ou à tout le moins au statut d’opposition officielle. Non seulement cela ne s’est pas produit mais le parti de droite de Mario Dumont n’est même pas encore assuré d’être officiellement reconnu comme un parti à l’Assemblée nationale. En effet, pour que ce soit le cas, l’ADQ aurait dû faire élire 12 député(e)s (ils en ont 4) ou bien obtenir 20 % des suffrages, or le site web du directeur général des élections ne leur accorde que 18 % des voix. L’ADQ est donc plus faible aujourd’hui qu’au déclenchement des élections… Qui s’en plaindra ?
À l’autre extrémité de l’échiquier politique, le nouveau « parti fédéré de la gauche », l’UFP, a fait un flop monumental. Bien sûr, la « nouvelle gauche » électorale a fait légèrement mieux que lors du dernier scrutin mais c’est tout relatif et globalement comparable. Avec un peu plus de 1 % des voix, l’UFP sauve les meubles, mais, à moins de se mettre la tête dans le sable, il faut admettre que quelques milliers de votes de plus c’est ridicule comparé aux efforts investis en terme de visibilité.
Surtout qu’il y a eu plus de bulletins rejetés — annulations — que de votes pour eux (49 969 contre 40 561) ! Certains se gargarisent du score « honorable » de Kadir dans Mercier, mais ils oublient que c’est loin d’être inhabituel ; rappelons qu’en 1998 Michel Chartrand avait récolté à peine 200 voix de moins dans Jonquierre en se présentant contre Lucien Bouchard. D’autres vont se cacher derrière les « choix stratégiques » de l’UFP et diront qu’il faut mesurer la performance du parti dans les « circonscriptions prioritaires » (celles où il a réellement fait campagne, bref).
Dans les faits, on parle d’une dizaine de circonscriptions et, sauf quelques exceptions (Outremont par exemple), le nouveau parti n’aura réussi à récolter que quelques centaines de voix de plus malgré des campagnes beaucoup plus ambitieuses que celles des années passées. Les gauchistes pourront toujours se rabattre sur le mode de scrutin qui les désavantage (c’est vrai) ou sur des facteurs conjoncturels comme les appels à ne pas « diviser le vote ».
Ceci dit, ils devront également reconnaître que le contexte leur était beaucoup plus favorable qu’en 1998, il y a quand même eu un sommet des Amériques, une Marche mondiale des femmes, une montée des luttes syndicales depuis… Faut croire que la radicalisation, relative mais réelle, de franges importantes de la population aura surtout profité à l’abstention.
Sommes-nous prêt(e)s ?
S’il y a peu de différences fondamentales entre un gouvernement péquiste ou libéral, il y a quand même certains éléments du programme libéral qui ne laissent présager rien de bon pour les classes populaires. Depuis deux ans, les conflits de classes sont en hausse constante. L’an passé, les statistiques sur le nombre de grèves et de lock-out ont littéralement explosé, faisant de 2002 la pire année depuis dix ans pour les relations de travail. Évidemment la grève/lock-out à Vidéotron y est pour quelque chose, mais il y a aussi eu d’autres conflits majeurs plus courts mais tout aussi durs.
Le propre de cette nouvelle vague de conflits est qu’ils sont surtout concentrés dans le secteur privé. Or les secteurs publics et parapublics ont longtemps été la locomotive de la lutte de classe au Québec. Comme 2003 est une année de négociation des employé(e)s de l’État, le Parti libéral pourrait être tenté de donner un coup de main au patronat en cassant tout de suite la vague montante des conflits sociaux. Il est clair que l’issue des négociations publiques influera sur le climat général du syndicalisme. Comme par hasard, le Parti libéral n’a pas prévu un sous dans son cadre financier pour les augmentations de salaires et l’équité salariale dans le secteur public. Autrement dit, il veut faire payer les baisses d’impôts à ses employé(e)s et espère sans doute nous monter contre eux et elles. L’échéance des conventions collectives étant pour ce printemps, les cent premiers jours du gouvernement libéral seront effectivement déterminants et donneront le ton pour le reste du mandat. Et on n’a même pas commencé à parler des coupures dans tous les secteurs, sauf dans la santé et l’éducation…
Nous sommes prêt pour la lutte de classe. Restons forts et mobilisés. Il faut voir l’avenir autrement, hors du capitalisme. Un autre Québec est possible par nos luttes.
Nicolas Phébus