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Les Luttes sociales sont les meilleures armes contre le fascisme et la démocratie blindée

Le jeudi 13 mars 1997.

Si l’on ne se fiait qu’à ce que nous régurgitent les grands médias, chacun d’entre nous devrait être depuis longtemps convaincu que le FN est le mal absolu.

De même, le chômage ne serait que le produit de la guerre économique que nous mène le reste du monde.

Face à cette situation, le patronat et l’État agiraient pour le mieux, au service de l’intérêt général, même et surtout si cela passe par des coupes sombres dans les budgets sociaux, par l’annonce de milliers de licenciements, par la mise à l’index des populations dites immigrées, présentées comme une véritable cinquième colonne de sabotage au service de l’étranger.

Chaque jour il se trouve un politicien quelconque montant au créneau télévisuel pour alimenter le vide du petit écran et marteler ces " évidences " qui distillent des sentiments et des attitudes entremêlant tout à la fois impuissance et indignation, pitié pour les plus démunis et lutte pour sa propre survie.

Et pourtant, malgré cette propagande systématique, il se trouve des électeurs sans état d’âme qui votent pour des fascistes et des salariés qui se mettent en grève afin d’obtenir des améliorations qui sont " impossibles à satisfaire " (retraite à 55 ans, réduction du temps de travail sans perte de salaire, etc.).

Le " bon peuple " n’en fait qu’à sa tête et quelles qu’en soient les raisons, il y a là un fait de société incontournable : s’il est vrai que les populations ont toujours su que les élites dirigeantes usaient et abusaient du pouvoir à leur seul profit, les situations économiques et sociales actuelles laissent entrevoir l’émergence de discours critiques capables de donner un sens et des perspectives politiques nouvelles à cette conscience d’être dominé et exploité.

Et, comme toute l’histoire de l’humanité le démontre, il n’y a aucune obligation à ce que ces propositions aillent obligatoirement dans le sens d’une plus grande convivialité et égalité entre les êtres humains.

Il est devenu plus que banal d’affirmer que " cette société ne fonctionne plus ".

Chacun sait qu’elle ne permet plus d’assurer notre bien-être matériel ni d’assumer des relations valorisantes avec autrui.

Nous sommes en situation de guerre civile permanente et nous aurions tort de penser que ce qui se passe en Yougoslavie ou en Albanie ne peut se développer ici même.

À qui la faute ?
Rappelons que les responsabilités sont d’abord celles du capitalisme et de l’État, complices inséparables qui exigent toujours plus de profits et, pour ce faire, imposent toujours plus de pressions aux travailleurs et de contrôle aux individus.

Les rapports sociaux de production capitalistes se sont généralisés à toute la planète et s’attaquent à toutes les niches sociales et économiques où nombre d’entre nous avaient pris leurs habitudes en croyant échapper plus ou moins au " système ".

Il n’est plus possible de se réfugier dans une île perdue ou dans le fonctionnariat pour avoir la garantie d’une vie paisible et d’un revenu tout en cultivant des patates à l’abri de sa clôture délimitant sa propriété privée, réelle ou imaginaire.

Le capitalisme s’impose partout et le contrôle social cerne chacun d’entre nous.

C’est aussi l’échec des stratégies marxistes-léninistes et sociales-démocrates à être des forces de proposition sociétaires capables de mobiliser l’ensemble des exploités.

Les limites de la canalisation des mécontentements et des grèves protestataires vers le bulletin de vote sont évidentes si l’on s’en tient aux seuls taux d’abstention ou à la volatilité des voix d’un candidat à l’autre, tant ils apparaissent tous comme autant de pantins aux yeux de la grande masse.

En ce sens, les pantins du FN ne sont, pour beaucoup, pas pires que les autres, même si nous savons que c’est une erreur de l’analyser comme cela.

Depuis une bonne quinzaine d’années, c’est-à-dire depuis que le monde du travail a pris conscience de l’incapacité politique de la gauche à s’opposer à l’offensive capitaliste, nous sommes dans un cul-de-sac.

À partir de là, la porte était ouverte à la démagogie, aux réactions épidermiques de caractères réactionnaire, raciste et nationaliste.
Et comme préexistaient à l’intérieur des organisations de droite des tendances fascisantes dont on s’aperçoit avec écœurement qu’elles avaient toujours été protégées depuis 1945 — en témoigne l’affaire Papon bien sûr, mais aussi le tristement célèbre S.A.C. dont est issu Pasqua, l’O.A.S., les relations troubles de Mitterand avec le pétainisme, les milieux politico-mafieux au service d’intérêts économiques obscurs tant en France qu’en Afrique, il suffisait d’un leader charismatique et de quelques coups de pouces publicitaires savamment distillés par des socialistes inconscients et poussés par de basses raisons électoralistes visant à affaiblir la droite pour que le FN soit en mesure de rassembler ces forces disparates et puisse décoller politiquement à Dreux en 1984.

Depuis, les choses n’ont fait qu’empirer.

Le FN, cheval de Troie de la démocratie blindée !
Si la stigmatisation du FN est indispensable, il faut avoir conscience que ce n’est qu’un cheval de Troie derrière lequel se met en place un système politique d’autant plus dangereux que pernicieux.

En fait, c’est depuis la première crise pétrolière de 1974 que des modifications dans notre système politique ont été petit à petit opérées et tendent, petit à petit, à la mise en place de ce que nous pouvons nommer " une démocratie blindée ".

Sans négliger l’importance des textes législatifs et réglementaires pris à l’encontre des populations dites étrangères ou immigrées, il faut souligner la multiplication des textes et de circulaire modifiant progressivement les pratiques du droit du travail qui font qu’aujourd’hui la précarisation est la norme pour la majorité des embauches, que le nombre de salariés payés en dessous du SMIC est impressionnant, que la protection sociale est battue en brèche de tous côtés, que la réorientation des forces répressives donne la priorité à la lutte contre l’ennemi intérieur, que les pouvoirs des préfets et des forces policières se sont considérablement accrus, qu’il y a manipulation idéologique systématique à l’occasion d’attentats à caractère terroriste rarement élucidés et mise en place d’un quadrillage policier permanent.

Établi, depuis 1945, la fonction de l’État se transforme sous nos yeux : de régulateur des tensions sociales par la redistribution d’une partie des richesses sous forme d’allocations et de subventions et par la possibilité qu’il était censé offrir au fils du prolo moyen de s’élever socialement, l’État organise maintenant la privatisation des services publics, la disparition des aides sociales et supprime son appui financier aux différents relais associatifs.

Parallèlement, il se décharge, sous prétexte d’être plus près du citoyen, de certaines de ses fonctions régaliennes (santé, éducation, transports, culture, etc.) sur des structures politiques intermédiaires (régions, communes, secteur privé).

De ce fait, des inégalités naissent entre localités et entre régions accélérant les processus de décomposition des relations politiques et sociales anciennes.

Finalement, l’État peut se définir aujourd’hui comme le gérant local d’une économie mondialisée sur laquelle il n’a plus aucun pouvoir et son rôle se réduit à une fonction de contrôle et de répression, pensée d’une manière globalisée et totalisante, c’est-à-dire que potentiellement l’ennemi est chacun d’entre nous, ici même comme à l’autre bout de la planète.

Citons deux exemples qui matérialisent le mieux cette évolution vers ce qui devient l’enjeu essentiel de cette époque : le contrôle social.

Tout d’abord, la création d’un statut de précaire à vie, le RMIste, ce qui institutionnalise et officialise la précarité comme étant une situation normale, légitime et permanente dans la société, avec son lot de tests et d’examens humiliants, mettant à nue toute la personnalité et la trajectoire sociale d’un individu, le transformant en objet entre les mains des contrôleurs étatiques que sont devenus les travailleurs sociaux.

Autre évolution majeure : l’intégration économique et politique des forces armées dans un dispositif militaire mondialisé.

Ç’en est fini du principe gaulliste de l’indépendance militaire française qui sous-tendait des efforts considérables en faveur de l’appareil militaro-industriel de la part de l’État.

Aujourd’hui on restructure.

Des fabrications entières d’engins de guerre sont confiées à des pools internationaux (allemand, anglais, espagnol, italien, etc.).

Par ailleurs, on redéploie les sites stratégiques, on équipe et spécialise des corps d’armée pour qu’ils interviennent en parfaite coordination avec des forces allemandes et autres.

L’essentiel des préoccupations de l’entraînement des militaires professionnalisés est l’intervention en zones insurrectionnelles et en situation de guérillas urbaines.

Il ne s’agit plus d’affronter l’armée régulière d’un autre État, mais de faire face à des révoltes ou révolutions à caractère social (exemples : Algérie, Albanie, etc.).

La priorité est donnée à la surveillance par satellites et avions téléguidés.

C’est aussi tout un travail d’intégration dans l’imaginaire collectif du fait qu’il est normal de voir des uniformes et des fusils d’assaut dans les transports en commun, dans les écoles et, avec la dernière loi Debré, le contrôle des travailleurs par les flics dans les entreprises, sous prétexte de lutte contre le travail clandestin, est présenté comme une nécessité.

Il est temps de prendre conscience que le FN est utilisé comme paravent derrière lequel se développe un système répressif extrêmement puissant et efficace qui se gargarise des mots République et démocratie.

A vouloir continuer à n’avoir peur que de ceux qu’on nous présente comme étant les seuls fascistes, attention à ce que notre liberté ne soit bientôt plus que virtuelle !

Un mouvement social en quête de sa propre extension !
Le mouvement social capable non seulement de contester ces orientations mais aussi en capacité de proposer des dynamiques et des perspectives sociétaires alternatives, paraît bien embryonnaire.

Cependant, nous aurions tort de désespérer.

À partir du moment où celles et ceux qui n’acceptent pas l’ordre social imposé par le capitalisme et l’État ne peuvent plus s’appuyer sur des partis politiques coincés dans leurs calculs et combinaisons électorales, il faut bien que ces militants inventent leurs propres pratiques et définissent par eux-mêmes leur propre fonctionnement, leurs propres perspectives et revendications.

C’est un processus social difficile à mettre en place parce que les prises de conscience nécessitent du temps, de l’expérimentation et une sacrée dose de volonté pour se frayer un chemin à travers toutes les embûches et traquenards.

Néanmoins, il est certain que beaucoup de choses ont changé dans la tête des militants depuis les premières coordinations SNCF et des celle des infirmières de 1986, en passant par la lutte contre les CIP, la multiplication de syndicats autonomes, indépendants, alternatifs ou anarcho-syndicalistes (SUD, CNT, PAS, CRC, etc.), sans oublier celles et ceux de " CFDT en lutte ", etc.

Pouvons-nous oublier la série de grèves qui a eu lieu en pleine présidentielle de janvier à juin 1995 ?

Pouvons-nous oublier le mouvement de novembre/décembre 1995, sa radicalité et son slogan : " Tous ensemble " ?

Pouvons-nous oublier la grève des routiers pour la retraire à 55 ans et la réduction du temps de travail ?

Pouvons-nous oublier la lutte des sans-papiers qui fêtera son premier anniversaire le 18 mars prochain ?

Pouvons-nous oublier la lutte des employés du CFF ?

Pouvons-nous oublier le conflit des intermittents du spectacle toujours en cours ?

Pouvons-nous oublier les grèves qui se développent en ce moment même dans les transports publics, l’éducation, la santé, etc. ?

Pouvons-nous oublier l’électrochoc de l’appel à la désobéissance civile ?

Pouvons-nous oublier la première réaction de solidarité transnationale des travailleurs de Renault après l’annonce de milliers de licenciements ?

Sans compter la multitude de conflits " anonymes " qui se développent un peu partout et montrent pour beaucoup un degré de radicalité étonnant.

Ce qui caractérise l’ensemble de ces mouvements, c’est cette nécessité et cette volonté d’aller à l’affrontement de manière unitaire, en dépit des stratégies des partis politiques, des querelles de chapelle syndicale, en dépit et parfois contre elles.

Ce qui est remarquable, c’est cette détermination à prendre ses affaires en main, à fonctionner en Assemblées générales où chacun peut librement s’exprimer.

Ce qui est encourageant, c’est qu’en dépit de tous les mensonges et tentatives de sabotages médiatiques, les populations soutiennent les grévistes.

Ce qui est significatif, c’est qu’au bout du compte des revendications globalisantes et attractives pour tous les salariés émergent petit à petit : retraite à 55 ans et réduction du temps de travail, augmentation de salaires.

Il y a là les bases d’un cahier de revendications capable de poser les bases d’un vaste mouvement à l’échelle du pays, voire plus, qui pourrait bien imposer des solutions efficaces au chômage et à la précarité.

Ce sont des conceptions et des pratiques relevant des traditions libertaires qui sont mises en avant par les salariés en lutte comme par les sans-papiers et les intellectuels : autonomie, responsabilité individuelle, action directe, désobéissance civile, refus de subordination aux stratégies électorales, etc.

Les anarchistes ont à l’évidence toute leur place dans ces mouvements et peuvent contribuer efficacement à la cristallisation d’une dynamique sociale en gestation depuis de longues années et qui immanquablement ne peut plus guère tarder à trouver sa propre expression organisationnelle et ses propres finalités.

Soyons sûr qu’à ce moment-là le FN se révélera pour ce qu’il est, une machine à briser les luttes émancipatrices.

Le printemps des luttes sociales est la meilleure arme contre les pratiques fascistes du FN, de l’État et du capitalisme. Il est temps !

Bernard — groupe Déjacque (Lyon