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« avec discrétion et gentillesse »

Le jeudi 27 novembre 2003.

J’écoutais Radio libertaire dimanche soir, et j’ai eu un choc en y apprenant la mort de Jacques. Parce que c’est lui qui m’a fait découvrir la plus rebelle des radios, celle qui a depuis eu tant d’influence sur mon parcours de chanteur et de militant libertaire. Jacques fait partie de ces quelques personnes dont la rencontre a enrichi ma vie, parce que, même si on ne se connaissait pas beaucoup, chaque fois qu’on s’est croisés ce fut un moment important pour moi. J’ai rencontré Jacques en 1990, j’habitais encore Berlin, mais j’étais en tournée en France avec « Sprung aus den Wolken ». Nous jouions avec ce groupe, où j’étais bassiste-guitariste, un punk-rock mêlé d’expérimentations bruitistes et industrielles. Jacques était venu au concert parisien, et nous avait proposé le lendemain de venir chez lui enregistrer une émission de radio, qu’il diffuserait ensuite dans « Epsilonia », son émission consacrée à la musique expérimentale. Je me souviens bien de cet après-midi passé chez lui, où nous avons improvisé de la musique avec les moyens du bord, mais où nous avons aussi, dans la bonne humeur, parlé de politique et de liberté artistique. Quelques mois plus tard, lorsque je me suis installé à Paris, je me suis branché sur Radio libertaire pour écouter l’émission de Jacques, dont je suis un auditeur régulier depuis. Mais, en m’ouvrant ainsi les oreilles, Jacques m’a permis de découvrir les autres émissions de la radio, qui ont très largement contribué à élaborer ma culture libertaire. C’est en effet ainsi que s’est construite mon envie de penser ma vie et de vivre ma pensée, condition nécessaire pour passer d’une démarche anarchiste spontanée mais théorique à une mise en pratique concrète, ce qui est nettement plus intéressant. Ayant choisi à cette époque de chanter mes propres chansons, et en français, c’est à Jacques, que je croisais de temps en temps lors des manifestations, que j’ai envoyé ma première démo, contenant quelques titres joués à la guitare acoustique. Et c’est donc Jacques qui m’a permis d’être pour la première fois de ma vie de chanteur diffusé sur une radio, avec ma chanson « Citoyen du monde ». C’est également lui qui m’a mis en contact avec d’autres animateurs de Radio libertaire, qui m’ont ensuite invité dans leurs émissions. J’ai ensuite revu Jacques dans les concerts qu’il organisait pour les Soirées Epsilonia, et encore au printemps dernier lors de l’émission « Traffic » pour un mini-concert où j’étais invité à chanter en direct du studio Campus. En septembre dernier, lors du concert au Salon du livre libertaire de Merlieux, j’ai encore retrouvé Jacques, qui s’occupait de tout diffuser en direct. Depuis plus de dix ans donc, j’ai le sentiment que Jacques m’accompagne de loin en loin, m’ouvrant de nouveaux horizons avec discrétion et gentillesse, me permettant de réfléchir avec plaisir tant sur l’existence de sonorités et d’idées différentes que d’agir pour construire d’autres futurs, personnels ou collectifs. Jacques, tu me manques déjà, et je te dois beaucoup.

Jacques, merci de m’avoir ouvert les oreilles et la conscience. Amitiés libertaires.

Fred Alpi