19 heures. Vendredi 7 novembre. Place de la République à Paris. Sur le terre-plein central, dans le froid piquant, une foule de plusieurs dizaines de personnes se rassemble. Place de la Bastille, place d’Italie, place de la Nation, à Montparnasse, à Saint-Lazare… au même instant, d’autres dizaines de publiphobes 1 pacifiques, joyeux mais déterminés patientent.
La première action directe de ce type, le recouvrement systématique des espaces publicitaires le long des quais et des couloirs du métropolitain, date de mi-octobre et toutes et tous, qui avec un pinceau et un pot de peinture, qui avec un marqueur, qui avec des mots, qui avec ses mains ballantes mais prêtes à aider, attendent le départ pour essaimer une idée : stop à la publicité et à son cortège de nuisances.
19 h 30. Un groupe de plus de 50 personnes s’engouffre dans la bouche béante, immédiatement accompagné par quatre vigiles de la RATP visiblement contraints au sourire forcé et à l’ironie par la disproportion des forces en présence. Direction la gare de l’Est en troupeau encore passif. Là, première déferlante contre les toiles géantes — sous l’œil de 2 policiers postés sur le quai d’en face et qui s’enfuient soudain à toutes jambes — avant de rejoindre un autre groupe devant le couvent des Récollets. Après une brève hésitation, quelques personnes auraient été contrôlées au départ de l’action, le cortège de plus de 80 personnes rejoint définitivement le sous-terrain infesté de publicité pour une opération d’hygiène publique, dans la bonne humeur et avec la volonté d’entraîner derrière lui le vaste monde des usagers.
22 h 45. Je ressors à l’air libre. Une vague odeur de peinture flotte encore autour de moi. Le groupe, lui, continue, toujours étoffé, direction Porte-d’Orléans. Depuis plus de deux heures, des dizaines de panneaux publicitaires, eux uniquement, subissent les foudres du coup de pinceau et de la colle à tapisser. Les quais, quand la rame file, ressemblent à une exposition de Basquiat : de larges croix blanches barrent les affiches, des slogans, des aphorismes s’y rajoutent. Les couloirs sont plus déshabillés que recouverts, les pans de papier sont ramassés et jetés à la poubelle. Les panneaux lumineux sont consciencieusement commutés off pour économiser l’énergie.
Les passagers mi-amusés mi-stupéfaits accueillent plutôt favorablement l’action. De station en station, pas de réactions d’hostilité ni de provocations. Pourtant les rames sont bondées et l’heure propice aux débordements. Des tracts distribués pendant que les peintres s’affairent leur permettent de méditer sur le reste du trajet. Certains demandent des précisions, évoquent l’action du 17 octobre, déchiffrent les inscriptions et commentent.
Et dire que sur tout le réseau, au même moment, la publicité commerciale s’efface pour ne pas réapparaître demain, barbouillée par la résistance à la marchandise et au spectacle généralisé.
Le seul incident constaté jusqu’à cette heure, et avec ce groupe, l’arrestation d’un camarade, aura été vite résolu grâce au nombre et contre l’acquittement d’une amende — et le pot de peinture repartira même avec lui.
Monsieur Frédéric