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« Ici des petits syndicalistes comme toi, on n’en veut pas. »

Le jeudi 13 novembre 2003.

Ça n’est pas de tout repos de s’organiser dans le privé. Et les patrons ne prennent pas toujours des gants pour faire savoir aux éventuels empêcheurs de profiter en rond ce qu’ils pensent d’eux.



Je veux vous livrer, avec un peu de recul, mon témoignage. Dans le privé, le mouvement social de ce printemps dernier a été, je pense, vécu de manières très différentes. Soit le conflit social est clair et la solidarité entre salariés est grande, soit c’est le silence total. L’entreprise dans laquelle je ne travaille plus pour très longtemps (métallurgie), se porte bien. Très bien même. Les bénéfices sont plus que corrects, les membres du directoire sont bien gras, ne vous faites pas de soucis pour eux. Néanmoins pour rester compétitive, elle doit se réorganiser.

Globalisation, quand tu nous tiens ! Plan social inévitable nous dit-on. Mais sans licenciements, promesse solennelle de la direction devant les médias locaux. Juste quelques « délocalisations », euh pardon, des transferts d’activités et des « suppressions de postes », euh, des réorganisations internes de services en sureffectif global. C’est vrai ça sonne mieux. Un peu moins de 10 % de l’effectif du groupe en France voit donc son poste pudiquement supprimé. Mais, fort heureusement, la direction mettra tout en œuvre pour… (sentiment de lassitude et de fatigue extrême, la routine quoi). Pas de chance, je suis concerné. On me demandera en entretien presque de saluer et de remercier le travail remarquable des commissions paritaires, qui ont fait les choix les plus justes et les plus équitables. Ben voyons. à la grenade ça ira comme merci ?

En plein mouvement, ce plan social ne pouvait passer inaperçu. Dans l’entreprise, pour le 13 mai, seul X mettra un petit mot pour inviter les salariés à la grande manifestation. Par tableau d’affichage interposé. D’un côté il vaut mieux que les syndicats l’annoncent comme ça. Syndicats « de direction » pour rester poli. Ils ont tous signé ce plan, après avoir négocié pas loin de cinq minutes. Pas une grève, pas une annonce, deux ou trois tracts pitoyables, quelques règlements de comptes… La plupart des responsables ou membres influents de ces sections ont des postes à responsabilités dans l’usine, des payes correctes et travaillent main dans la main avec la direction. Du coup la mobilisation des salariés est allée de pair : pas un arrêt de fabrication, pas une grève, pas une banderole, pas de solidarité. Personne ne se sent concerné. Désespérant. Le plus beau arrive ensuite. Que mon poste soit supprimé, rien d’extraordinaire jusque-là. Logique même. Jeune, capable de rebondir, peu d’indemnités, pas indispensable… Une réalité dans le privé.

Le problème c’est qu’une activité militante à l’extérieur et des idées peu communes, ça se sait. Des discussions animées avec les représentants syndicaux ça se voit. Des apparitions dans les médias locaux ou nationaux en lien avec ma militance, ça commence à faire beaucoup. Des tables de presse subversives les samedis, c’est trop. Un anarchiste dans le service, vous imaginez, il va nous foutre le bordel partout… Bref, les motifs de suppression de poste sont vaseux : vous êtes arrivé en retard à des réunions (deux !), vos horaires sont irréguliers, même si votre compteur d’heures est excédentaire, plus diverses considérations économico-mondialistes vagues. Les non-dits sont criants par leur absence. Évidemment, comme promis dans la presse régionale pour l’annonce du plan social, aucun licenciement, ça ferait sale pour une entreprise si respectable. Et puis la DRH se détend un peu, annonce que de toute façon, il ne faut pas se leurrer, seul peut-être un tiers voire un quart des suppressions de postes pourront être effectivement reclassées en interne. Bien sûr ça la presse ne le dira jamais !

J’avais compris que je ne resterais pas longtemps là, la suppression de mon poste intervenant environ un mois et demi après l’annonce. La démission d’un « collègue » change la donne. Du coup, on se rappelle de moi et de mes qualités (sic !). Les entretiens sont un enchaînement de beaux discours, feints certes, mais touchants de mauvaise foi. ça c’est la carotte. Le bâton, lui, arrivera de manière informelle, avec un de mes supérieurs hiérarchiques, au cours d’une discussion à son invitation dans son beau bureau. Le tutoiement est de rigueur, la franchise (?) aussi. De cette discussion, je veux faire un florilège de bienveillance paternaliste social-démocrate de droite. Je cite : « Oui, je sais que tu es impliqué dans les mouvements altermondialistes (sic !), je respecte beaucoup Attac et José Bové (re sic !), mais vous êtes là trente ans trop tôt (ah, médium ?), moi aussi je m’y implique à ma façon (En virant des gens et en lisant Les Echos ?), j’admire ton engagement (de plus en plus drôle), je peux te former pour être représentant du personnel, si tu veux faire quelque chose ici (Je m’étrangle presque). » Au bout de ces dix minutes de banalités affligeantes et d’invitations à la compromission, c’est à mon tour de donner mon point de vue, d’argumenter… Ce sera rouge et noir ! La réponse est brève et rapide : « Ici des petits syndicalistes comme toi, on n’en veut pas. »

Après quelques vagues menaces, voici ce qui m’est annoncé texto : « Si tu rentres dans un syndicat, si tu nous fous la merde, ça durera cinq minutes, le temps de monter à la DRH et de te virer, pas plus de cinq minutes. Tu pourras aller pleurnicher aux Prud’hommes, tu ne seras pas le premier et pas le dernier, mais tu peux toujours essayer si tu as du temps et du fric à perdre. Tu es prévenu. En plus avec déjà un licenciement dans ton CV, pense à ton avenir. » Je crois que si je lui avais dit que j’étais militant anarchiste, que j’avais détaillé un peu, j’aurais eu droit à l’exécution sommaire !

Rudejules, militant FA