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Bordeaux reste fidèle à sa tradition des rafles

Le jeudi 20 novembre 2003.

Ce coup-ci, ce sont des Bulgares qui en on fait les frais



Comme l’an dernier à peu près à la même époque, dans la nuit du dimanche 26 octobre au lundi 27 octobre 2003 à 6 h 30 du matin quarante-cinq Bulgares qui campaient sur un terrain vague de Bordeaux ont été raflés et mis en garde à vue. Quatorze d’entre eux/elles (cinq femmes et neuf hommes) ont été gardés et placés en centre de rétention.

La préfecture a, dès le lundi 27 octobre, prononcé des Arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF), tandis que la rétention était prolongée jusqu’au vendredi 31 octobre.

À 18 heures ce vendredi ils/elles sont donc sorti.e.s libres mais avec des APRF maintenus, que la Préfecture avait déjà commencé à préparer (les billets d’avion étaient retenus pour le samedi 1er novembre et dimanche 2 novembre).

Au service de lois racistes ?

Les deux passages au tribunal ont révélé la logique de la justice qui veut pouvoir à tous moments expulser ceux/celles qu’elle juge indésirables du territoire français, qu’ils/elles soient avec ou sans papier. Ils/elles sont en France depuis moins de trois mois, ont de l’argent et même sont entré.e.s régulièrement en France. Ils/elles répondent donc aux conditions de séjour de la convention de Schengen. Alors pourquoi cet acharnement y compris en se plaçant dans l’illégalité ?

Tous les Bulgares insistaient pour rentrer volontairement par leurs propres moyens. Mais la justice voulait obtenir un retour forcé parce qu’un tel retour signifie qu’ils/elles seront signalé.e.s aux autorités bulgares donc interdit.e.s de sortie du territoire bulgare à l’avenir (par une pastille noire sur leur passeport). L’objectif du gouvernement français est de rendre ces allers retours en France de plus en plus difficiles et de fragiliser ces populations.

Le but n’est pas le renvoi tout court de tous les étranger.e.s qui travaillent en France sans être déclaré.e.s mais plutôt de les maintenir dans la clandestinité comme main d’œuvre corvéable à merci. On voit là la contradiction à laquelle est confronté le gouvernement : d’un côté, répondre à sa logique sécuritaire et raciste, de l’autre, satisfaire aux pressions des secteurs économiques qui exploitent la main d’œuvre clandestine.

Les témoignages de ces treize Bulgares en disent long sur leurs conditions de vie. Point commun à ces 13 personnes : toutes sont bulgares d’origine rom donc discriminées c’est à dire exclues du marché du travail depuis 1990 et sans aide. Beaucoup travaillent en Yougoslavie, d’où leur insistance pour pouvoir repartir volontairement en Bulgarie.

Libéré.e.s mais expulsables

En sortant du tribunal onze Bulgares sont allé.e.s au centre de rétention chercher leurs affaires (deux autres étaient partis après le résultat). Le comité de soutien aux sans-papiers (présent au procès toute la journée) les a accompagné.e.s.

Le grand commissaire de l’hôtel de police est venu dire, visiblement très amusé, qu’ils/elles étaient libres mais que l’APRF courait toujours. Le comité a été reçu par la Police de l’Air et des Frontières (PAF) et là, gros problème : la PAF leur remettait leurs convocations pour le lendemain ou l’après-lendemain. Le commissaire a expliqué que les passeports seraient remis au commandant de bord pendant le vol vers Sofia.

Ensuite, le comité a pris en charge le groupe et trois membres du comité militant.e.s de l’Athénée libertaire (dont deux de la Fédération anarchiste) ont proposé de les héberger à l’Athénée libertaire. Ils/elles ont réalisé qu’ils/elles étaient piégé.e.s. Ils/elles ne souhaitaient pas repartir dans la nature à Bordeaux avec le risque d’être à nouveau arrêté.e.s et remis en centre de rétention. Ils/elles ont donc décidé de prendre l’avion. Nous les avons logé.e.s tant bien que mal dans la grande salle.

Le lendemain à 4 heures du matin une première équipe a conduit quatre d’entre eux à l’aéroport, puis à nouveau trois à 12 h 30 et enfin quatre dimanche matin à 4 heures. Les vols étaient réservés sur Air France et Lufthansa. Lors du dernier trajet les flics ont remercié l’accompagnateur du comité en lui disant qu’il y en aurait d’autres prochainement (effectivement, dans la nuit du 9 novembre, dix-sept Bulgares ont été raflé.e.s, six placé.e.s en rétention pour expulsion) !

Limites de la défense juridique…

Le résultat était couru d’avance : on sait que le Tribunal administratif de Bordeaux ne casse presque jamais les APRF. D’un point de vue juridique la Paf avait donc le droit de retenir leur passeport puisqu’ils/elles avaient un APRF. Seul un rapport de force aurait permis d’obtenir qu’on leur rende leurs passeports. Dans ce cas là, le résultat du TGI l’après midi qui les laissait libres leur aurait laissé la possibilité de ne pas se rendre aux convocations à l’aéroport. Cela montre les limites d’une logique strictement juridique. Il faut avoir en tête la situation politique et la notion de rapport de force.

Les avocat.e.s ont un rôle limité du fait que les lois permettent aujourd’hui d’expulser très facilement alors quand le rapport de force n’est pas là pour prolonger le juridique il faut s’attendre au pire. Que pouvait faire le comité de soutien une fois que le TA avait confirmé les APRF ? Les Bulgares n’étaient pas un groupe en mouvement, ce qui importait pour eux/elles était de pouvoir récupérer leur passeports.

… et du travail de soutien

Le comité de soutien s’est retrouvé dans une situation intenable : il a dû accompagner les bulgares vers leur expulsion. Objectivement, il s’est retrouvé dans la situation de faire le boulot des flics. C’est à dire parquer les expulsables et les amener à l’aéroport.

Les associations caritatives présentes dans les campements bulgares se sont bien gardées de venir les soutenir le jour du procès. Paradoxe : le comité de soutien qui lutte pour la défense des « sans-papiers » (rappelons que les bulgares étaient en situation régulière) sur des principes politiques (lutte collective, pas de cas par cas, respect de l’autodétermination des collectifs de lutte, opposition aux expulsions, etc.) s’est retrouvé à faire le travail humanitaire à la place des associations qui ont brillé par leur absence.

En l’absence de logique de lutte, l’activité de soutien devient pratiquement automatiquement humanitaire. Et l’humanitaire sans logique de lutte amène rapidement vers la cogestion du système répressif. Humainement on ne pouvait pas faire autrement que de respecter leur choix et de les aider dans le cadre de nos possibilités, politiquement le résultat est bien évidemment désastreux.

Muriel, groupe Emma-Goldman, FA Bordeaux