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D’autres outils pour la lutte féministe

Le jeudi 20 novembre 2003.

Laissez-moi vous raconter mon expérience militante à Besançon, et en quoi elle nourrit ma réflexion, qui est un complément au texte d’Adeline Guéret (supplément au Monde libertaire, nº 1334)



Sur tous les fronts

Au niveau syndical, les femmes militent pour de meilleures conditions de travail, contre les discriminations face à l’embauche, au salaire, etc., contre le harcèlement moral, sexuel. Et si elles sont un tant soit peu libertaires, elles militent pour l’abolition du salariat et du capitalisme. Et, dans ce combat, elles retrouvent leurs compagnons de misère.

Au niveau politique, les femmes se battent contre un système de domination qui les exclut et les exploite. Un système foncièrement patriarcal. En ce sens, le faible pourcentage de femmes présentes dans la vie politicienne est aussi dû au fait que les femmes ne se reconnaissent pas dans ce système de valeurs de domination et de pouvoir (à cela s’ajoute aussi une exclusion souvent plus que symbolique des lieux de pouvoirs). Du coup, les féministes (femmes conscientes de leur oppression et souhaitant lutter contre) doivent faire le constat qu’il leur faut détruire le pouvoir politique et non pas essayer de s’y glisser, de s’y soumettre. Et dans ce combat, elles retrouvent leurs compagnons libertaires.

Le string ou le tablier

Au niveau familial, les femmes se battent pour le partage des tâches quotidiennes, pour le partage de l’éducation des enfants. Pour le plein épanouissement d’une sexualité choisie, égalitaire.

Elles doivent aussi désapprendre leur fonction « maternelle » où la cuisine serait un lieu sacré, les enfants leur propriété et l’intérieur leur univers. Car ce sont les femmes qui éduquent, en majorité, les enfants (garçons et filles) et leur transmettent un certain nombre de valeurs. Certains hommes aussi souhaitent s’occuper des enfants, prendre des congés parentaux, rester à la maison, s’occuper du domaine privé. Et, dans ce combat, elles retrouvent leurs compagnons de route ou de vie.

Au niveau social, les femmes se battent contre la publicité sexiste, nous renvoyant des images et des fonctions primaires (femme sexy et accessible ou mère au foyer, le string ou le tablier).

Elles luttent contre les religieux qui tentent de leur assigner un rôle défini (mère au foyer), de leur imposer une tenue vestimentaire (voile), de leur imposer des activités (pas de piscine, pas de cours de biologie, etc. ou alors sans les garçons), qui reviennent sur la mixité scolaire, qui imposent l’éducation de l’histoire de la religion, qui interdisent l’avortement et la contraception dans nombre de pays.

Elles luttent pour une maîtrise de leur sexualité, de leur corps, contre les diverses lois qui les enferment. Et, dans ce combat, elles retrouvent leurs compagnons d’infortune.

La libération des femmes sera aussi la libération des hommes

Dans tous ces secteurs, les femmes peuvent et s’organisent entre elles. Elles le font facilement dans les milieux ouverts à ce genre de problématique qui leur permet d’apporter de nouvelles réflexions.

D’ailleurs, la plupart des organisations libertaires ou syndicales ont des commissions femmes et, lorsqu’il n’y en a pas, les femmes les créent.

Pourquoi ? Afin d’apporter un éclairage nouveau, spécifique à des revendications collectives. Les femmes de LIP, en 73, avaient aussi des revendications spécifiques face à leurs compagnons de lutte qui monopolisaient l’antenne.

Les femmes de la FA avaient aussi des revendications spécifiques à défendre au sein de l’organisation et plus généralement dans le projet sociétaire qui est le nôtre.

Ces débats et ces combats, menés tant au niveau interne que vers l’extérieur, ont permis, par le débat collectif de forger une identité de féministe anarchiste, une identité féministe syndicaliste. Ils ont nourri la réflexion de tous les compagnons et ont permis à chacun et à chacune d’évoluer sur des sujets de société (contraception, place des femmes, forme du militantisme, etc.)

Reprenant les mots de Bakounine :

« La liberté des autres étend la mienne à l’infini », nous comprenons très bien en quoi la domination de plus de la moitié de l’humanité (les femmes) est une entrave à la liberté de tous.

Cette lutte en ce qu’elle touche intimement à chacun d’entre nous est d’autant plus importante. Elle permet le développement d’une éthique de vie, notre éthique anarchiste, puisque le mouvement féministe a toujours trouvé des résonances dans les milieux anars, en particulier individualistes.

Agir autrement

Les femmes ne se reconnaissent pas dans les structures politiques de pouvoir. À Besançon, mais ailleurs aussi, la façon de militer des groupes femmes est totalement différentes de celles des groupes politiques classiques : rebaptisation de rues par des noms de femmes, manifestations de nuit, solidarité internationale directe envers des groupes de femmes (Yougoslavie, Algérie, etc.), présence de stands sur les marchés populaires sous forme de « Troc pour un monde meilleur » (un objet contre une idée pour améliorer ce monde), présence aux fêtes de quartier avec des jeux de « chamboule tout », manifestations diverses, etc. Ces actions, menées seules ou avec les groupes militants, nourrissent notre militantisme et créent des ponts entre nos divers milieux.

Depuis le début de l’année, une association féministe gay/lesbienne a adhéré au projet de local associatif que quelques copains et copines du groupe Proudhon de la FA ont monté avec d’autres individus, au sein d’un Réseau d’échange de savoirs, avec la CNT, Aarg, Charivari. Cette arrivée a tout de suite donné une couleur nouvelle au local et au fonctionnement général.

Les féministes ont tout à y gagner à venir militer dans des structures ouvertes, défendant un projet de société global, égalitaire et libertaire. Ces groupes, lieux privilégiés de la militance, leur apporteront le soutien et l’aide nécessaire aux combats à mener contre les religieux et les exploiteurs de tout poil.

Pour terminer, je reprendrai la dernière motion de congrès de la FA :

« Afin de reprendre l’offensive sur le sujet, il convient d’agir selon deux axes :

 Sur le plan social : s’attaquer aux fondement du patriarcat et à sa matérialisation, le sexisme, de manière collective et organisée. […]

 Assurer la place de femmes et des féministes au sein des organisations dans lesquelles nous sommes investis. […]

En tant que femmes et hommes militant à la Fédération anarchiste, nous savons que nous ne nous situons pas en dehors des rapports de domination qui structurent cette société, même si nous aspirons à en sortir afin de réaliser la liberté réelle et l’égalité politique, économique et sociale. Nous devons donc nous donner les moyens de les déconstruire au niveau individuel et de les abolir au niveau collectif, par l’action individuelle et la lutte sociale, qui sont complémentaires et ne sont en rien contradictoires. »

Fred, groupe Proudhon