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Brésil

Les Anarchistes auront toujours raison

Le jeudi 30 octobre 2003.

Récemment, les « journalistes » de « la Voix de la réaction », lisez radio CBN, avaient de la peine à contenir leur joie devant l’approbation de la réforme de la Sécurité sociale au Congrès national.

La réforme tant attaquée par le Parti des travailleurs (PT, au pouvoir) durant les deux mandats de Fernando Henrique Cardoso fut approuvée par la majorité du PT au parlement, avec un appoint d’aide du parti même de l’ex-président, le PSDB. Ironique, non ? Qui a voté comme moi pour Lula doit se sentir assis comme un élève dans une classe devant un professeur qui le qualifie d’idiot et explique pourquoi. Un diplôme d’imbécile a été conféré à l’électeur, principalement électeur de « gauche », qui accréditait l’idée d’un changement avec l’ascension de Luis Inácio Lula da Silva à la présidence (oui, à la présidence, parce que le pouvoir, le pouvoir réel ne change pas de mains avec le vote).

Pendant huit ans, Fernando Henrique Cardoso tenta de prendre la société d’en bas à la gorge avec ce qu’on appelle des réformes, pas celles réellement nécessaires, qui peuvent contrecarrer le pillage de notre pays tant par les corrupteurs nationaux que par les multinationales, mais bien des réformes de caractère néolibéral, qui ne font qu’ouvrir davantage encore les cuisses du Brésil à la fureur de la déprédation du marché international. Le service public fut présenté à l’opinion publique comme la raison des maux de la nation. Le modèle capitaliste ? Il est plus que parfait, inévitable, définitif, sans failles, avec quelques petits défauts ici ou là mais, qui n’a pas de défauts ? On peut toujours améliorer le capitalisme. Au cours de sa campagne, Lula lui-même utilisa une expression fantastique : le juste gain. Il serait possible d’améliorer notre modèle économique basé sur la soumission au tout-puissant marché — et puissant, il l’est ! Mais jamais en arrachant leur « juste gain » aux méga-corporations. Le problème, c’est le service public. Pourquoi ? Parce qu’il est public. Ce qui est public ne rapporte pas. Et si cela rapporte, on l’achève en le mettant au service du privé qui est, comme toujours, bien meilleur. Il suffit de regarder l’énergie électrique et le téléphone, qui s’améliorèrent beaucoup après avoir été privatisés. Ils ne se sont pas améliorés ? Bon, Fernando Henrique Cardoso essaya de faire mieux mais ne put pas poursuivre. Il resta hésitant avec une opposition féroce des fonctionnaires, de la Central Única de los Trabajadores (Cut) et des syndicats baptisés de « gauche » (il y a peu, le FMI lui-même réprimanda l’ex-président pour ne pas avoir fait accepter les réformes dans son gouvernement). Et le système était gêné. Il y avait une grande pression externe pour que les mesures néolibérales soient largement acceptées. C’est de là que surgit la grande idée, une idée qui pouvait amener les Grecs à élire des Troyens.

Vinrent les élections présidentielles. Paradoxalement, le système trouva en un ex-ouvrier et principal leader de la « gauche » l’issue pour approuver les réformes. L’élection de José Serra, le candidat de la majorité, eût signifié quatre années de plus d’opposition aux réformes, et le système était pressé. Il avait déjà attendu suffisamment longtemps. En permettant l’élection de Lula, le système produisit dans la population, malmenée par huit ans de gouvernement de Cardoso, une fausse sensation de changement. En plus de cela, il annula l’opposition impétueuse du PT et d’autres partis de « gauche », fermant la bouche à tout le monde en leur donnant ce qu’ils désiraient le plus : des postes ! Divers syndicats sous influence du PT et de la Cut furent réduits au silence. Le résultat peut être vu par tous. Lula lâcha en moins d’un an ce que Cardoso n’avait pu imposer en huit ans. Et par ricochet, le système parvint encore à casser la déjà rachitique « gauche ». Avec la facture liquidée, le système centre maintenant sa puissance de feu sur la gauche non alignée, légitime, représentée par les mouvements sociaux comme les sans-terres, les sans-abris, etc.

Pourtant, le dernier mythe brésilien est tombé, celui qui disait que le vote, c’est le changement, la transformation. Tout ce que la « gauche » voulait en réalité c’était l’occasion de participer au pouvoir. Ce fut des mains de la gauche que sortit l’approbation de la réforme de la Sécurité sociale. Cette tâche historique ne s’effacera jamais. C’est pour cela que les « journalistes » de la CBN ne parlaient pas d’autre chose. Ils étaient les porte-voix des grands sourires qui se dessinent maintenant sur les visages des canailles qui saignent le Brésil, ici et ailleurs.

Les anarchistes ont toujours eu raison. Tout candidat à une charge élective est un menteur, jusqu’à ce qu’on prouve le contraire.

Carlos Latuff


traduit de Tierra y libertad (FAI), octobre 2003